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Plus de 3 600 morts depuis la fin de la trêve : à Gaza, le rythme quotidien des victimes de frappes israéliennes est reparti à la hausse

Deux mois après la fin du cessez-le-feu, le nombre de morts dans l’enclave palestinienne s’approche des 54 000, d’après les chiffres du ministère de la Santé gazaoui.
La Palestinienne Maha Elayan embrasse le corps de son fils de 7 ans, tué lors d'une frappe aérienne israélienne sur une école de la bande de Gaza, le mercredi 7 mai 2025. (Abdel Kareem Hana/AP)
publié le 25 mai 2025 à 7h09

Voilà bientôt 600 jours que le ministère de la Santé de Gaza, sous contrôle du Hamas, publie son communiqué quasi-quotidien. Le 26 mai, il fait état de 38 morts et 169 blessés sur les dernières vingt-quatre heures - un bilan qui n’inclut pas les hôpitaux du nord de Gaza. Alors que l’armée israélienne a repris ses bombardements en mars, après deux mois de cessez-le-feu, le bilan depuis le 7 octobre 2023 est en passe d’atteindre les 54 000 morts, d’après le ministère.

En moyenne, d’après les calculs de CheckNews à partir des chiffres publiés par le ministère de la Santé, le nombre de morts dépasse actuellement les 400 par semaine. Un rythme de pertes humaines que Gaza n’avait pas connu depuis le printemps 2024, lors de l’invasion par l’armée israélienne de Rafah, dans le sud de l’enclave, et les bombardements s’en suivant.

La journée du 18 mars 2025, qui avait marqué la fin des 58 jours de cessez-le-feu, avait été particulièrement meurtrière : le bilan des frappes israéliennes allant de Rafah à la ville de Gaza ce jour-là a dépassé les 400 morts selon le ministère de la Santé, un niveau quotidien jamais constaté depuis le mois de décembre 2023. Le soir même, Benyamin Nétanyahou avait prévenu : «Ce n’est que le début.»

Depuis, les frappes de Tsahal se sont multipliées. Le 19 en fin d’après-midi, par exemple, 24 Palestiniens dont au moins deux enfants ont été tués dans un bombardement visant des funérailles à Beit Lahia, dans le nord, d’après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies. Début mai, l’armée israélienne a annoncé le début de l’opération «Chariots de Gédéon», promettant d’intensifier ses opérations terrestres dans l’enclave palestinienne, pour «vaincre le Hamas et ramener les otages». Depuis, les bilans quotidiens dépassent fréquemment les 100 personnes mortes. Le ministère de la Santé à Gaza a aussi ajouté une nouvelle ligne dans ses communiqués, comptabilisant désormais les victimes depuis le 18 mars – 3 822 «martyrs» au 26 mai, témoignant d’un nouveau chapitre dans cette guerre.

Pour Gabriel Epstein, chercheur au sein du think tank Israël Policy Forum et spécialisé dans le décompte des morts à Gaza, c’est aussi le type de cibles qui a changé. «Il est devenu plus difficile de comprendre la logique derrière chaque frappe, juge-t-il. L’armée israélienne a sans doute épuisé sa liste de cibles prioritaires, elle vise désormais des cibles d’opportunité, en fonction des renseignements qu’elle reçoit.» Et le chercheur d’expliquer que frapper des immeubles déjà en mauvais état, à cause d’attaques passées, rend beaucoup plus imprévisible le comportement de l’édifice. «Pour un nombre comparable de frappes, vous pouvez avoir davantage de victimes», estime Epstein.

Données critiquées

Les bilans fournis par les différentes autorités de Gaza ont cependant souffert de nombreuses critiques et soupçons de partialité depuis le début du conflit, régulièrement documentés par CheckNews. Sur le total, sa composition, la répartition (inconnue) entre civils et combattants, mais aussi sur la méthode de comptabilisation et le format de publication, parfois erratique.

De novembre 2023 au printemps 2024, la méthodologie de comptabilisation des morts par le ministère de la Santé gazaoui a été peu claire, parfois vraisemblablement modifiée sans grande transparence et complexe à suivre. Sans parler des difficiles remontées de données du fait des attaques israéliennes contre les hôpitaux censés comptabiliser ces morts. Cette période, pour laquelle le nombre de décès est donc à prendre avec précaution, est représentée en gris dans notre graphique ci-dessus.

«Le reporting par le ministère de la Santé, sous contrôle du Hamas, s’est amélioré de manière significative depuis mai 2024, mais le ministère continue de mener des révisions importantes et des problèmes méthodologiques persistent», écrit Gabriel Epstein, dans une analyse publiée dans le Washington Institute le 21 mai.

En janvier 2024, le ministère a par exemple invité les Gazaouis à remplir un formulaire en ligne pour signaler des personnes décédées et pas enregistrées par le système hospitalier. A partir des informations saisies par les familles, des enquêtes médicales et le recoupement de témoignages, un «comité judiciaire» en vérifie la véracité, comme l’expliquait à Drop Site le directeur de l’information du ministère de la Santé gazaoui, Zahir al-Wahidi. Ce travail a été réalisé avec rigueur à partir d’octobre 2024, d’après Gabriel Epstein.

Jusqu’à janvier 2025, les décès validés par cette commission étaient intégrés directement dans le bilan quotidien, selon une méthodologie peu transparente. Mais depuis le début de l’année, le ministère publie ces décès par vague, une fois par mois environ (dans notre graphique ci-dessous, cela correspond aux barres en noir). La dernière publication de ce type remonte au 27 avril, quand le ministère a annoncé 697 décès validés – sans que l’on puisse donc savoir exactement quand ces morts sont survenues.

Autre exemple de turbulence méthodologique récente : à la fin du cessez-le-feu, le 18 mars et les deux jours qui ont suivi, le ministère de la Santé a publié des chiffres dans des formats et périmètres variables. A part la journée du 18 mars, qui a donc dépassé les 400 morts d’après plusieurs sources, le bilan des deux jours suivants ne peut être que déduit de manière incertaine.

26 800 femmes et enfants tués

En revanche, le ministère gazaoui a fini par convaincre plusieurs spécialistes sur la pertinence de son bilan global en publiant une liste de personnes mortes, régulièrement mise à jour. Le 19 mai, une nouvelle version de cette liste, arrêtée au 11 mai, a été publiée : 1 000 pages de victimes avec leur nom, âge, date de naissance, numéro d’identité… Un niveau de détail rare pour un conflit armé.

En croisant ce document avec les précédentes versions, et en vérifiant notamment la validité des numéros d’identité, Gabriel Epstein a tenté d’en vérifier la pertinence. «La liste publiée par le ministère de la Santé le 19 mai 2025 est quasiment complète, et les preuves disponibles suggèrent qu’elle reflète en très grande partie des décès réels», conclut-il. Au sein de cette liste de Palestiniens décédés, le chercheur dénombre 26 124 hommes adultes (49,3 % du total), 10 328 femmes adultes (19,5 %), et 16 506 enfants (31,2 %), dont la mort est directement liée à des faits de guerre, selon le ministère, entre le 7 octobre 2023 et le 11 mai 2025.

Dans son analyse, Epstein écarte catégoriquement les chiffres publiés par le bureau de presse du Hamas, pourtant repris par d’autres institutions (le bureau statistique de l’autorité palestinienne, le ministère de l’Education…) Le bilan du ministère de la Santé gazaoui, lui, a finalement été accepté par les organismes internationaux et est aussi utilisé par les services de renseignement, y compris israéliens, comme le racontait Vice. Il est toutefois loin d’avoir épuisé les zones d’ombre. «Ni le bilan global ni sa composition démographique ne peuvent être considérés comme définitifs», prévient Epstein.

Contactés par CheckNews, ni le ministère de la Santé gazaoui ni son directeur de l’information, Zahir al-Wahidi n’avaient répondu. Le 29 avril, le ministère annonçait sur son canal Telegram l’ouverture d’un nouveau formulaire visant à dénombrer le sujet éminemment complexe des «décès indirects causés par les conditions difficiles engendrées par la guerre», comme les patients atteints de cancer ou nécessitant des dialyses, victimes du difficile accès aux soins.