Un lien entre le décès d’un jeune pompier, intervenu avec ses collègues sur un incendie de voitures dans la nuit du dimanche 2 juillet au lundi 3 en Seine-Saint-Denis, et les violences urbaines de ces derniers jours, a-t-il été établi de façon précipitée ?
Tout est parti d’une déclaration de Gérald Darmanin, rapidement suivie d’une dépêche de l’AFP). A 8 h 21, le ministre de l’Intérieur déclarait ainsi sur Twitter : «Cette nuit, en luttant contre un feu de plusieurs véhicules dans un parking souterrain à Saint-Denis, un jeune caporal-chef de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris de 24 ans est décédé malgré la prise en charge très rapide par ses équipiers.»
Moins de dix minutes plus tard, une première alerte est publiée par l’AFP, indiquant une relation entre les «émeutes» et ce décès : «Emeutes : un pompier de 24 ans décédé à Saint-Denis en luttant contre des incendies de véhicules (Darmanin)». Elle est rapidement reprise par de nombreux médias (dont Libération, dans son «direct» ouvert à la suite de la mort de Nahel).
«Des feux de parking, on en traite dix par semaine»
Dans la foulée, plusieurs matinales radio ont fait réagir leur invité politique. C’est le cas par exemple de France Inter, qui recevait Eric Dupond-Moretti. Interrogé après une longue séquence sur les violences urbaines, le ministre de la Justice a simplement déclaré : «Il faut que tout ça, ça s’arrête. Et vite.» Idem pour Olivier Klein, invité de France Info, interrogé par le journaliste sur ce «premier décès depuis le début des violences». Le ministre chargé de la Ville a ainsi estimé que cette mort «renforçait encore plus l’appel au calme que [le gouvernement] porte».
Sur les réseaux sociaux aussi, les réactions se multiplient : «Victime collatérale des émeutes, un jeune pompier laisse sa vie pour sauver les autres», se désole Julien Dive, député LR de l’Aisne, citant la dépêche AFP.
Victime collatérale des émeutes, un jeune pompier laisse sa vie pour sauver les autres. Cette période n’a aucun sens.
— Julien DIVE (@JulienDive) July 3, 2023
Plus que les mots c’est l’action politique qui est urgente.
Mes condoléances à sa famille et ses collègues. https://t.co/ADdUYSHpcw
Problème : à ce stade, la corrélation entre la mort de ce sapeur-pompier de 24 ans et les violences urbaines consécutives à la mort de Nahel n’est pas établie.
Joints par CheckNews, les pompiers de Paris indiquent ainsi ne faire pour le moment «aucun lien» entre ce décès et les violences urbaines qui agitent la France depuis plusieurs jours. «Des feux de parking souterrains, on en traite dix par semaine», explique leur service de communication. Avant d’ajouter : «Ça s’est passé dans un quartier calme, rue du Landy, où il n’y avait pas de problème de violences au moment où nous sommes intervenus.»
Contacté, le cabinet de Gérald Darmanin indique également qu’il «faut être très prudent» sur la corrélation potentielle entre cet événement et les violences de ces derniers jours, car «l’enquête est en cours». Et précise que le ministre de l’Intérieur n’a pas «fait le lien» entre cette mort et les violences urbaines dans ses communications, contrairement à ce que laissait entendre la dépêche de l’AFP.
Dans un communiqué publié lundi matin, la préfecture de police de Paris se bornait de son côté à rapporter les faits suivants : «Lundi 3 juillet 2023, vers 3 heures du matin, rue du Landy à Saint-Denis, pour un motif ignoré, un incendie s’est déclaré dans le parking souterrain d’un immeuble d’habitation de quatre étages. Rapidement sur place, les sapeurs-pompiers constatent que le feu se propage aux étages. […] Lors de l’intervention, un soldat du feu du centre de secours de La Courneuve, au grade de caporal-chef, fait un arrêt cardiorespiratoire. En dépit d’une prise en charge immédiate par ses collègues présents, puis des efforts des équipes médicales pour le réanimer, il décède à 5 h 45 à l’hôpital […]. Le service départemental de police judiciaire de la Seine-Saint-Denis a été saisi de l’enquête.»
«J’ai fait une erreur»
A 9 h 02, l’AFP a finalement publié une troisième version de sa dépêche, indiquant cette fois qu’une enquête était «en cours pour déterminer les circonstances de l’incendie des véhicules» et «qu’aucun lien formel n’a été encore établi entre l’incendie sur lequel ce pompier intervenait et les violences urbaines qui agitent de nombres villes de France depuis la mort mardi dernier à Nanterre du jeune Nahel, 17 ans, tué par un policier». Et dans une quatrième version de la dépêche, publiée à 10 h 26, l’agence précise à plusieurs endroits «qu’aucun lien n’est établi avec des violences urbaines», s’appuyant notamment sur «une source policière» et sur une déclaration du maire de Saint-Denis, Mathieu Hanotin.
Contactée par CheckNews, la journaliste qui a rédigé les dépêches pour l’AFP reconnaît s’être trompée dans ses premières formulations : «J’ai fait une erreur. Parce qu’on baigne dans les violences depuis près d’une semaine. Je suis juste humaine et faillible.»