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Possible nomination de Thierry Beaudet à Matignon : qu’est ce qu’un «gouvernement technique» ?

L’hypothèse du choix, par Emmanuel Macron, du président du Conseil économique, social et environnemental pour le poste de Premier ministre relance la piste d’un gouvernement constitué d’experts, non affiliés à des partis politiques.
Le président du Conseil économique, social et environnemental, Thierry Beaudet, en avril. (Ludovic Marin /AFP)
publié le 2 septembre 2024 à 19h48

Les consultations se poursuivaient ce lundi 2 septembre à l’Elysée dans l’optique, pour le président de la République, d’arrêter son choix sur le profil du futur Premier ministre. Si différents noms ont été égrenés dans la presse depuis qu’Emmanuel Macron a exclu toute option soutenue par le Nouveau Front Populaire, une personnalité semble constituer une hypothèse sérieuse : Thierry Beaudet, actuel président du Conseil économique, social et environnemental, pourrait bien tenir la corde selon les informations de l’Opinion. Un profil issu de la société civile jugé moins politique que les précédentes propositions. Et qui ouvrirait la piste, selon les commentateurs, à un «gouvernement technique». Concrètement, ça signifie quoi ?

Du strict point de vue du droit, pas grand-chose. Deux constitutionnalistes confirment à CheckNews que cette notion n’a pas de «consistance juridique». En revanche, en sciences politiques, on parle d’un «gouvernement technique» pour qualifier un gouvernement constitué de «personnes qui ne sont pas liées à un parti politique», explique à CheckNews Damien Bol, chercheur enseignant au Cevipof, spécialiste en comportements politiques. «Ces personnes sont envoyées au gouvernement en raison de leur expertise. En théorie, elles sont neutres, même s’il est difficile d’être neutre politiquement en tant que citoyen. Disons, en tout cas, qu’elles ne sont affiliées à aucun parti.» A cet égard, si Thierry Beaudet ne se réclame ouvertement d’aucun parti, sa position relativement à la loi immigration, par exemple, est connue, puisque début janvier il déclarait sur X avoir manifesté contre.

Damien Bol précise qu’en cas de nomination d’un Premier ministre non partisan, alors l’hypothèse la plus réaliste est que le gouvernement tout entier soit technique, composé de personnalités non affiliées à un parti : «Mettre un ministre politique dans une telle configuration n’aurait pas grand sens, car il serait contraint de toutes parts», précise-t-il. L’inverse est plus courant : on retrouve fréquemment des ministres issus de la société civile dans des gouvernements partisans.

«Neutre politiquement»

En Europe du Nord, l’hypothèse d’un gouvernement technique a un goût d’inédit. En France, une telle situation remonte à 1877, après une dissolution décidée par le Président Mac Mahon dans le contexte d’une lourde crise politique. La pratique d’un gouvernement technique est plus courante en Europe du Sud. «En 2008, pendant la crise économique, plusieurs pays ont recours à un gouvernement technique pour mettre en place des mesures d’austérité, détaille Damien Bol. Puis on a vu ce système revenir en Italie pendant la crise du Covid, avec le gouvernement de Mario Draghi. A chaque fois, on a recours à cette pratique quand on éprouve des difficultés à trouver une coalition ou une majorité absolue.»

Un gouvernement technique est un gouvernement à part entière : «Il a davantage de pouvoirs qu’un gouvernement d’affaires courantes [en place actuellement, ndlr] dont le but principal est de ne pas laisser le pays à l’abandon.» Le politologue ajoute : «Le gouvernement technique peut soumettre des lois et mener des politiques publiques, même s’il ne bénéficie pas de la légitimité symbolique que lui aurait conférée une victoire à une élection. Il demeure soumis au jeu démocratique car le gouvernement ne pourra rien faire sans le Parlement, qui vote les propositions de loi et constitue un garde-fou.»

Mais dans le contexte d’un gouvernement «neutre politiquement», qui donnera couleur et orientation aux projets de loi ? En d’autres termes : dans cette hypothèse, Emmanuel Macron continuerait-il d’insuffler sa propre vision politique ? Puisque les comparaisons sont rares, difficile, à l’heure actuelle, de connaître la marge de manœuvre du Premier ministre à la tête d’un gouvernement technique dans un régime semi-présidentiel. Damien Bol : «Techniquement, le Premier ministre ne serait pas issu du parti présidentiel, donc il pourrait conserver une certaine liberté vis-à-vis du président. Il n’est pas exclu qu’il puisse prendre une certaine indépendance. En même temps, il ne bénéficie pas de la légitimité démocratique, bien qu’affaiblie, du Président. Dans tous les cas, cela devrait être très intéressant à observer.» Pour une grande partie de la gauche, à l’instar de François Ruffin, il n’y a pas de doute : un gouvernement technique reviendrait à «continuer la même politique menée depuis quarante ans».