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Pour éviter les attaques des Houthis en mer Rouge, des navires affichent leur absence de lien avec Israël dans leurs données de navigation

Tandis que les bateaux de commerce continuent d’être visés par des missiles tirés par la milice lorsqu’ils naviguent au large du Yémen, certains misent sur les données rentrées dans le «système d’identification automatique». Sur recommandation des Houtis eux-mêmes.
Malgré les tentatives des Occidentaux pour protéger les navires commerciaux et militaires, la mer Rouge constitue l’un des fronts du conflit au Moyen-Orient. (Sayed Hassan/Getty Images. AFP)
publié le 16 janvier 2024 à 18h35

Parmi les répercussions régionales de la guerre entre Israël et le Hamas, l’une affecte particulièrement le trafic maritime mondial. En mer Rouge, les Houthis multiplient, depuis plusieurs semaines, les attaques contre des navires, au nom de leur solidarité affichée avec les Palestiniens de la bande de Gaza. Après un cargo américain lundi 15 janvier, un vraquier grec a encore été touché, ce mardi 16 janvier, par un missile tiré par la milice rebelle yéménite. Chaque fois, les vaisseaux naviguaient au large du sud du Yémen, à quelques dizaines de kilomètres du détroit du Bab-el-Mandeb, porte d’entrée vers la mer Rouge.

Les Houthis, soutenus par l’Iran, avaient annoncé début décembre que «tous les navires liés à Israël ou qui transporteront des marchandises» vers Israël seraient considérées comme «des cibles légitimes». Pour autant, dans un communiqué de décembre, l’ONG Human Rights Watch rapportait qu’au moins cinq navires avaient été attaqués sans que soit faite la preuve de leur affiliation à Israël. Toutes ces attaques à coups de missiles ou de drones armés ont perturbé le trafic maritime dans cette zone stratégique, où transite environ 12 % du commerce mondial. En face, une coalition emmenée par les Etats-Unis répond en menant des frappes qui visent les positions des rebelles.

Une stratégie d’affichage pour éviter les détours

Malgré les tentatives des Occidentaux pour protéger les navires commerciaux et militaires, la mer Rouge constitue ainsi l’un des fronts du conflit au Moyen-Orient, où les armateurs redoutent de faire passer leur flotte. La menace a contraint de nombreuses compagnies de fret maritime à éviter la zone. N’empruntant plus ce couloir qui joint l’Europe à l’Asie, elles se reportent sur une route plus longue, autour de la pointe de l’Afrique, au prix d’un surcoût du transport et de délais plus longs d’acheminement. Un détour qui se serait imposé à 90 % des porte-conteneurs devant initialement traverser le canal de Suez, à l’autre extrémité de la mer Rouge, selon un expert interrogé par Associated Press.

Comme alternative à cette solution de dernier recours, de plus en plus de navires ont adopté une stratégie d’affichage : signaler qu’ils n’ont aucun lien avec Israël dans les données rentrées dans les systèmes de navigation. C’est ce qu’a repéré TankerTrackers, un service en ligne indépendant qui suit plutôt habituellement le transport de pétrole brut. Des signalements effectivement constatés ces derniers jours par Kpler, qui fournit des données mondiales sur le suivi des navires à travers sa plateforme MarineTraffic, comme le confirme un porte-parole du groupe à CheckNews.

Par là, les sociétés maritimes semblent se conformer aux recommandations formulées par Mohammed Ali al-Houthi, membre du Conseil politique suprême des Houthis, dans des publications sur X (ex-Twitter). Le 29 décembre, tandis que l’utilisation de «la formule “Nous n’avons aucune relation avec Israël”» commençait à se répandre, le leader houthi appelait tous les bateaux transitant par la mer Rouge à suivre cette méthode, «qui renforce la confiance des forces armées yéménites envers ces navires opérant de manière claire et transparente». «C’est une solution simple qui n’entraînera aucun coût financier pour aucune entreprise», répétait Al-Houthi dans un post du 7 janvier adressé «aux ministères des Transports de tous les pays du monde et aux compagnies maritimes internationales».

Dans sa publication sur X du 14 janvier, TankerTrackers note que 27 navires affichaient ce jour-là des mentions telles que «no contact Israel», «no link Israel», «no relation with Israel» ou «no Israel involved» (pas de contact, de lien, de relation ou d’implication avec Israël). La plupart se trouvaient alors en mer Rouge ou à destination du Bab-el-Mandeb.

Comment les sociétés propriétaires des navires s’y prennent-elles pour faire passer ces messages ? «Il s’agit d’une information communiquée manuellement par les navires», souligne le porte-parole de Kpler. Plus précisément, tout se passe au niveau du Système d’identification automatique (SIA), ou «Automatic identification system» (AIS) en anglais. Un système d’échanges automatisés de données qui permet qui permet aux navires et aux services de surveillance du trafic de connaître l’identité, le statut, la position et la route des vaisseaux se situant dans une zone de navigation. Ces données sont collectées par des stations terrestres et satellitaires, qui reçoivent les signaux émis par les bateaux. Puis elles sont diffusées par des sites spécialisés, comme MarineTraffic, ce qui permet de suivre en direct le trafic maritime mondial.

Une cinquantaine de navires qui transitent chaque jour

Parmi ces «données AIS» figurent à la fois le port de provenance du navire, le pays du port de provenance, le port de destination, le pays du port de destination et la «destination déclarée» («reported destination» en anglais). C’est ce champ des données que les compagnies utilisent pour afficher une absence de lien avec Israël. Ce mardi 16 janvier, le nombre de navires affichant ce message avait encore un peu grimpé, puisque au total ils étaient «39 à travers le monde» à en faire part, d’après la liste consultée par CheckNews et consolidée avec l’aide de TankerTrackers. Tous ne franchiront pas le détroit dans les prochaines heures, mais ce chiffre atteste d’une «stratégie» qui prend de l’ampleur, quand on sait qu’une cinquantaine de navires transitent chaque jour par ce point de passage.

Parmi ces 39 navires, on retrouve une bonne partie de pavillons asiatiques (Corée du Sud, Chine, Malaisie, Vietnam, Singapour, Hongkong), le reste des bateaux étant immatriculés dans des paradis fiscaux (îles Marshall, Panama, Malte, Belize, Barbade). A noter également la présence dans cette liste d’un navire battant pavillon en Arabie Saoudite, un pays qui s’était récemment engagé dans un processus de normalisation de ses relations avec l’Etat hébreu, qu’il a décidé de suspendre dès le début de la guerre. Aucun message au sujet des relations avec Israël n’était, en revanche, mis en avant par le vraquier grec visé par la dernière attaque.

Autre stratégie relevée par TankerTrackers, concernant un navire immatriculé à Singapour : indiquer que l’ensemble de l’équipage est de nationalité chinoise («all Chinese crew»). Lundi, Business Insider et Bloomberg décomptaient neuf navires usant de cette communication.

Enfin, certains indiquent la présence à bord de gardes armés – parfois en complément de leur détachement d’Israël. Une pratique qui est fréquente s’agissant de navires amenés à traverser la mer Rouge : se sachant exposés aux assauts des pirates lorsqu’ils longent la Somalie pour naviguer jusqu’au détroit du Bab-el-Mandeb, nombre de vaisseaux font figurer la mention «armed guard onboard» dans la section «reported destination».