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Pourquoi des députés Nupes ont-ils voté un amendement LR visant à interdire la téléconsultation à domicile ?

Le texte, déposé par une députée Les Républicains et voté en commission des affaires sociales, vise à encadrer strictement le recours à la téléconsultation. La députée LFI Caroline Fiat, qui soutient cette proposition, assure n’avoir comme objectif que la protection des patients.
L'un des écueils de la téléconsultation, pointé par la députée FLI Caroline Fiat, est l'impossibilité pour le médecin de disposer de toutes les informations (tension, etc.) concernant l'état du patient. (BSIP/Getty Images)
publié le 14 octobre 2022 à 18h55

«Victoire !» La députée insoumise Caroline Fiat s’est félicitée, mercredi 12 octobre, du vote d’un «amendement visant à encadrer la téléconsultation avec un professionnel de santé de chaque côté de l’écran ! Chose promise, chose due !» Un principe qui remettrait en cause le principe même de la téléconsultation dans de nombreux cas, puisqu’il ne serait donc plus possible d’y avoir recours seul à domicile. Ce qui a suscité l’incompréhension et les moqueries des internautes.

Contactée par CheckNews, cette ancienne aide-soignante tient à préciser qu’elle s’est «toujours opposée à la téléconsultation sans professionnel de santé» : «Il faut que le médecin ait toutes les informations, comme la tension de la personne par exemple. Et pour ça, il faut un professionnel de santé des deux côtés de l’écran. C’était d’ailleurs un engagement d’Agnès Buzyn», alors ministre de la Santé, lors des premiers débats sur la téléconsultation.

Lors de l’examen en commission, d’autres parlementaires de gauche ont d’ailleurs soutenu le même amendement. «Dans la marchandisation de la santé, la téléconsultation prend une place motrice», estime ainsi le député Nupes Pierre Dharréville : «Quand vous avez des cabines dans les supermarchés, je pense que ça pose un problème, y compris du point de vue des comptes de la sécurité socialeConcrètement, cet amendement prévoit que «les actes de téléconsultation doivent être réalisés par le biais d’une maison de santé pluridisciplinaire, d’une officine ou d’une collectivité, afin de garantir un meilleur encadrement de cette pratique». Et renvoie l’application concrète de la mesure à un futur décret.

«Rigidifier» la procédure

A noter qu’il s’agit d’un amendement adopté en commission des affaires sociales, avant même l’examen en première lecture. Il n’a donc rien de définitif, contrairement à ce qu’ont pu comprendre de nombreux internautes. Lors des débats, la rapporteur générale de la commission des affaires sociales, la députée Renaissance Stéphanie Rist, s’est par ailleurs opposée à l’amendement, estimant qu’il participait à «rigidifier» la procédure, et qu’on «peut avoir de la téléconsultation correctement faite même quand on n’est pas accompagné». Une position de la majorité qui laisse penser que l’amendement pourrait finalement ne pas figurer dans la loi de financement de la sécurité sociale 2023.

L’incompréhension vis-à-vis du tweet de Caroline Fiat a été d’autant plus grande que l’amendement voté par la députée Nupes a été déposé… par plusieurs députés LR, dont Josiane Corneloup. L’exposé sommaire du texte précise que la mesure vise «un meilleur encadrement de cette pratique pour éviter les abus et pour répondre aux attentes des patients». La formulation pouvait d’ailleurs faire penser à une autre proposition, faite par la majorité, de mettre fin au remboursement des arrêts de travail délivrés en téléconsultation, du fait de certains «abus».

De fait, Josiane Corneloup, qui a déposé l’amendement voté par Caroline Fiat, assure de son côté ne pas être opposée à la téléconsultation, mais avance un besoin «d’encadrer» la pratique, citant notamment l’augmentation du nombre d’arrêts maladie. «En téléconsultation, vous pouvez consulter dix fois dans la semaine. Il faut une régulation», explique la parlementaire à CheckNews. «Vous verrez qu’avec cette mesure il y aura beaucoup moins d’arrêts maladie. Ça va freiner toutes ces dérives qui s’installent. La téléconsultation pose aussi la question de l’équilibre des dépenses de santé.» «Dans certaines cabines de téléconsultation, les personnes âgées peuvent être démunies, notamment avec les appareils connectés qu’il faut utiliser, poursuit-elle. Elles ont besoin d’un accompagnement.»

«Je ne fais pas de corporatisme»

Interrogée sur le fait que la mesure pourrait empêcher l’accès aux soins de personnes habituées à consulter depuis chez elles un psychiatre, par exemple, pour des raisons de confort ou de mobilité, Josiane Corneloup avance que la France compte «22 000 officines [de pharmacie] et que la grande majorité des Français habitent à moins de dix minutes de l’une d’elles».

Et la députée est bien placée pour le savoir : elle était elle-même pharmacienne. Ce qui pose une autre question : peut-elle dès lors défendre un amendement, qui bénéficierait mécaniquement aux pharmacies, sans que cela constitue un conflit d’intérêts ? «Ce n’est pas un conflit d’intérêts, puisque [la téléconsultation en pharmacie] existe déjà. Mais il faut la développer. En tout cas, je ne fais pas de corporatisme, mon sujet c’est l’accès au soin et la régulation des dépenses de santé», avance-t-elle, précisant bien qu’elle n’exerce plus ce métier aujourd’hui. Comme elle le confirme à CheckNews, c’est sa fille qui a récupéré l’officine.

Caroline Fiat tient de son côté à préciser que son vote de l’amendement avait pour seul but «de protéger les patients» en leur proposant un accompagnement adapté, mais «surtout pas pour les fliquer». La députée LFI reconnaît au passage n’avoir «pas pensé» aux consultations psy à domicile, et n’écarte pas l’hypothèse d’un sous-amendement qui permettrait de conserver cette possibilité.