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Pourquoi dit-on qu’il ne faut «pas confondre météo et climat» quand il fait froid, alors qu’on attribue les canicules au réchauffement climatique l’été ?

Le changement climatique d’origine humaine modifie la probabilité de survenue de nombreux phénomènes météorologiques. En comparant les données météo et les modélisations d’un monde sans réchauffement, il est possible de relier l’effet d’un réchauffement sur le temps long à des événements isolés.
A Deauville en juillet 2015, lors d'une vague de chaleur. (Charly Triballeau/AFP)
publié le 14 janvier 2024 à 12h54

Difficile de croire qu’en 2024 il y a encore des gens pour prononcer une phrase comme «il fait moins trois degrés à Paris, tu parles d’un réchauffement climatique». Pourtant, des bas-fonds du réseau social X (ex-Twitter) au dernier repas de famille, ce poncif continue sa carrière. Il est parfois contré, à la volée, par un constat bien plus pertinent : il ne faut pas confondre la météo, le temps qu’il fait à un moment donné, et le climat, qui reflète les tendances sur plusieurs décennies. Non, on ne peut pas déduire que le réchauffement global de la planète n’existe pas parce que «cette année, on a un été pourri», ou qu’il fait froid courant janvier.

Paradoxalement – tout du moins en apparence – depuis quelques années, lorsqu’ils sont invités à commenter certains phénomènes météorologiques extrêmes (et notamment les canicules) dans les médias, un certain nombre de chercheurs avancent volontiers un lien avec le changement climatique. Deux articles de presse pris au hasard étaient ainsi titrés, en août dernier «Canicule : la vague de chaleur liée au réchauffement climatique», et en août 2022 : «Canicule : le changement climatique derrière la météo». D’où une question régulièrement adressée à CheckNews : y a-t-il un «deux poids, deux mesures» dans les médias quant à l’usage de l’argument : «il ne faut pas confondre météo et climat» ?

Une interrogation (ou une accusation) qu’on retrouve fréquemment sur les réseaux sociaux. Ces derniers jours, alors qu’un sujet de la rubrique Vrai ou Faux de FranceInfo répétait que les basses températures observées actuellement dans certains pays d’Europe n’infirment pas la réchauffement climatique, un twitto acquiesçait mais écrivait : «C’est aussi con que de dire que la terre se réchauffe quand il fait 40 en juillet dans le sud-est de la France.»

L’essor de la science de l’attribution

Sollicité par CheckNews, Fabio D’Andrea, l’un des chercheurs du Laboratoire de météorologie dynamique (LMD) de l’Institut Pierre-Simon-Laplace, explique : «Il faut tout d’abord rappeler que lorsque l’on parle de changement climatique, on parle d’une augmentation sur le long terme notamment des températures, et d’un changement de probabilités de tous les phénomènes météorologiques. Sur une période donnée, les températures oscillent autour d’une moyenne ; et, dans une situation météorologique donnée, elles peuvent ponctuellement être au-dessus ou au-dessous de la moyenne. Mais avec le changement climatique, la moyenne continue d’augmenter.»

Avec le réchauffement global de la planète, la probabilité de canicules augmente (et a déjà augmenté), de même que la probabilité de phénomènes extrêmes froids diminue (et a déjà diminué). De même, les hivers sont moins froids qu’ils ne le seraient dans un monde sans réchauffement, et il y a moins d’événements extrêmes froids. «Quand on a un épisode, en Suède par exemple, avec des moins vingt, des moins quarante, ce sont des évènements qui ont existé, dont on s’attend à ce qu’ils continuent d’exister», nous précise Frédéric Hourdin, directeur de recherche au LMD. «C’est juste qu’on les verra moins souvent, ou que la période durant laquelle il fera aussi froid sera plus courte.»

Si ces constats n’ont pas fondamentalement changé, la façon de les présenter au public a, elle, récemment évolué. «Au cours des dix dernières années, il y a eu un développement de ce que l’on appelle la science de l’attribution, ou attribution d’événements extrêmes», observe ainsi Fabio d’Andrea. «La science de l’attribution donne des réponses à la question : est-ce que ce phénomène particulier serait survenu sans le changement climatique ? Il s’agit de chercher à déterminer dans quelle mesure la probabilité de survenue d’un événement particulier – une canicule, des inondations – est augmentée par le réchauffement climatique, et dans quelle mesure elle l’est par d’autres facteurs.»

Les études d’attribution reposent généralement sur une comparaison entre les données sur un phénomène météo sur un certain un territoire et sur une certaine période de temps (un épisode de canicule aux Etats-Unis, par exemple). Ces données sont tout d’abord comparées aux modèles établis, puis comparées à un modèle dans lequel le réchauffement d’origine anthropique ne serait pas à l’œuvre. Ces travaux, qui permettent d’estimer la contribution humaine à la survenue d’évènements particuliers, ont commencé à voir le jour dans la première moitié des années 2000, et n’ont depuis cessé de se développer.

«L’évolution des températures moyennes est si franche depuis les années 1980 que les comparaisons statistiques [avec des modèles] ont été rendues possibles», note Frédéric Hourdin. «On peut établir de tels liens lorsqu’on a à la fois les observations, le modèle qui colle avec les observations, et que l’on parle d’un phénomène pour lequel les processus en jeu sont identifiés et confirmés.» Certains phénomènes météorologiques se prêtant mieux que d’autres à l’exercice.

Chercheuse au LMD, Aglaé Jézéquel travaille spécifiquement sur ces questions d’attribution, et se porte très clairement en faux contre l’idée «d’un deux poids deux mesures quant à l’attribution d’évènements chauds ou d’évènements froids au changement climatique». «On peut tout à fait estimer et quantifier dans quelle mesure un épisode de froid a été moins intense, ou moins long, dans un contexte de réchauffement climatique… C’est d’ailleurs fait.» Elle renvoie aux publications réalisées sur le site ClimatMeter, où des résultats d’attribution sont régulièrement mis en ligne – comme par exemple sur les inondations de l’automne 2023 en France et en Italie. «La seule chose qui change, c’est peut-être la perception du public : dans un cas on parle de la contribution à un phénomène extrême, chaud, et dans un autre on parle – en l’occurrence, peut-être, on parle moins – d’un phénomène qui est moins intense qu’il ne l’aurait été sans changement climatique.»

Une attribution possible… mais est-elle pour autant utile ?

L’essor des études d’attribution ne tient pas qu’à la qualité des données ou des modèles disponibles. «C’est une science qui s’est développée pour répondre à cette question récurrente, [issue de la société civile], de savoir dans quelle mesure les événements météos sont influencés par le changement climatique», commente Fabio D’Andrea.

Frédéric Hourdin en fait lui aussi le constat : «Quand je vais dans les médias, je passe effectivement la moitié de mon temps sur cette question…» L’émergence de cette discipline tient au fait «que c’est une question légitime, que tout le monde se pose». «A partir du moment où la question est légitime, et intéresse la société, les articles scientifiques passent beaucoup plus facilement dans des revues de renom. Mais cela pose des questions sur les priorités de recherche, par rapport à d’autres enjeux qui sont, par exemple, de développer et de vérifier la validité des modèles qui permettent de prévoir l’évolution future du climat.»

«C’est une vraie question : qu’est-ce que nous apporte, réellement, le fait de nous pencher, spécifiquement, sur des études de cas d’évènements observés ?» interroge Aglaé Jézéquel. «L’attribution ne permet pas seulement de quantifier le changement de probabilité d’un évènement dans une région donnée. Ces travaux permettent aussi de mieux comprendre comment différents processus physiques vont contribuer à l’émergence d’un événement extrême, par exemple un cyclone. Mieux comprendre, pour pouvoir mieux l’expliquer au public et aux décideurs – car le changement climatique est quelque chose de très difficile à rendre tangible et à percevoir.»

La chercheuse soulève néanmoins un lièvre : «Lorsque l’on met l’accent sur le fait qu’un phénomène est aggravé par le réchauffement climatique, il faut avoir conscience qu’on peut participer à invisibiliser d’autres causes qui participent elles aussi au problème.» Lorsqu’une zone est inondée, se focaliser sur le rôle du changement climatique, c’est ne pas relever que la situation est aussi liée à des choix politiques locaux, qui vont de la gestion des terrains agricoles au développement des infrastructures, en passant par des priorités d’investissements. «Plusieurs travaux de recherche interrogent cette “climatisation” des débats, cette propension de certains responsables politiques locaux à attribuer les catastrophes et leurs conséquences au changement climatique, pour se défausser de leurs responsabilités» quant aux conditions qui renforcent les conséquences des évènements extrêmes sur l’homme.