Question posée sur Twitter, le 4 avril 2022
Vous nous avez interrogés sur une déclaration de Yannick Jadot, invité sur France 2 lundi 4 avril, ayant affirmé que «la France aujourd’hui est le pays européen qui paie son électricité la plus chère». Et d’en attribuer la faute au «parc nucléaire défaillant» et au «retard pris sur l’isolation des logements», alors que le pays a connu ce jour-là une vague de froid inédite au mois d’avril depuis 1947 et que la moitié des réacteurs français étaient à l’arrêt. Contactée, son équipe de campagne précise le candidat d’Europe Ecologie-les Verts fait référence au prix de l’électricité vendu au marché de gros et non au coût facturé au consommateur.
La France est le pays européen qui paye son électricité la plus chère en Europe.
— Yannick Jadot (@yjadot) April 4, 2022
Le dogmatisme nucléaire nous a empêchés de rénover les logements et de développer les énergies renouvelables. #Les4V #Jadot2022 pic.twitter.com/7AZrn8nuWk
«Effectivement lundi, entre 8 heures et 9 heures, nous avons payé les prix les plus élevés en Europe. C’est une situation exceptionnelle», confirme EDF. D’après les données fournies par Epex Spot, la principale bourse d’électricité en Europe, le mégawattheure était vendu en France 2 987,78 euros à 8 heures du matin, contre 243,13 euros en Angleterre, 230 en Belgique, 101,16 en Allemagne et au Luxembourg, 470 en Italie du Nord ou encore 286,08 en Espagne. Du jamais vu depuis 2009, d’après Epex Spot.
Pour tenter de limiter le pic, RTE avait lancé un appel vendredi 1er avril à limiter ses consommations d’énergies lundi, à cause du grand froid annoncé. Finalement, «la mobilisation des particuliers, entreprises et collectivités a permis d’économiser 800 MW à la pointe de consommation», soit «l’équivalent de deux fois la consommation de la ville de Montpellier et quasiment la puissance d’un réacteur nucléaire», a salué le gestionnaire.
Passé le pic, dès 9 heures, le prix sur le marché de gros français a chuté pour atteindre 478,81 euros, puis 325,22 euros à 22 heures, des tarifs dans la fourchette (haute) de ceux pratiqués sur le marché ce jour-là.
Lundi, la demande d’énergie a été particulièrement forte en France
Normalement, l’écart de tarif entre les pays est beaucoup plus faible. D’après les experts contactés par CheckNews, l’envolée de lundi matin s’explique avant tout par le fonctionnement du marché. «Le prix est fixé du jour pour le lendemain. Quand la demande est plus forte et que les interconnexions entre les réseaux électriques des pays sont saturées, le prix de marchés divergent. En France, ils ont même explosé, lundi matin», explique Nicolas Goldberg, spécialiste de l’énergie chez Colombus Consulting.
«C’est un marché de court terme avec toujours une livraison physique. Chaque pays définit un carnet d’ordres [établissant la quantité d’électricité à vendre ou acheter, pour différents niveaux de prix, ndlr] tous les jours à midi. Ensuite, un algorithme détermine une courbe d’offre et une courbe de demande pour ensuite calculer un prix. Avec une spécificité pour le marché européen : avant la clôture du carnet, les capacités d’interconnexion entre les pays sont intégrées dans l’algorithme et donc le flux d’électricité est optimisé», explique à CheckNews Philippe Vassilopoulos, directeur du développement chez Epex spot. Lundi, la demande a été particulièrement forte en France, compte tenu de la saison, dans un contexte où l’offre était fortement réduite. A noter qu’en dehors de ce type de situation, la France est le premier exportateur européen d’électricité.
Le parc particulier de chauffages électriques en France
Contacté par CheckNews, EDF pointe les températures particulièrement basses enregistrées dans la nuit de dimanche à lundi. «Tout dépend du besoin de consommation. Lundi, les autres pays en Europe n’ont pas fait face à la même vague de froid et donc n’avaient pas autant besoin de consommation. C’est un marché très fluctuant qui change tous les jours et même toutes les heures», explique EDF. Or, la consommation française d’électricité est particulièrement sensible à la température. RTE a ainsi calculé qu’en «raison du parc de chauffage électrique» un degré en dessous des normales saisonnières en hiver provoquait une hausse de consommation de 2 400 MW. D’après les experts interrogés, cette sensibilité est particulière à la France.
Mais la température n’est pas l’unique explication. «La demande en électricité ce jour-là n’était pas non plus très haute. On était à 30 GW en dessous du record de pointe [observé à 102 MW, le 8 février 2012, ndlr]. L’hiver, on est régulièrement entre 80 et 90 GW d’appel. Par contre, 29 GW du nucléaire sont à l’arrêt en ce moment», explique Nicolas Goldberg.
Ordres de grandeur du jour :
— Nicolas Goldberg (@GoldbergNic) April 4, 2022
Pic de consommation : 71 GW
Record de conso : 102 GW
Fessenheim : 1,8 GW
EPR : 1,6 GW
Interconnexions : 13 GW
Nucléaire arrêté : 29 GW
Centrales à gaz : 13 GW
Fossile arrêté depuis 2012 : +10 GW
Éolien au moment du pic : 4,2 GW sur 18 GW installés
En effet, 25 réacteurs étaient à l’arrêt pour maintenance, lundi matin, réduisant d’autant l’offre d’électricité disponible. Dans le détail, «quatre réacteurs étaient à l’arrêt pour contrôle préventif de corrosion sous contrainte, 18 arrêts étaient programmés pour contrôle de maintenance et rechargement de combustible, un réacteur arrêté pour préparer une visite décennale et deux arrêts étaient non planifiés», explique EDF. Pourquoi autant d’arrêts étaient planifiés ? «On essaie de faire en sorte qu’il n’y ait pas beaucoup de travaux en hiver, ils se concentrent donc entre le mois d’avril et de d’octobre», explique EDF.
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Ainsi, le pic de froid survenu dans une période inhabituelle a particulièrement mis à mal l’équilibre électrique français. Enfin, selon Sophie Méritet, économiste de l’énergie, «avec la guerre russo-ukrainienne, le prix de l’électricité a fortement augmenté, il a été multiplié par quatre ou cinq par rapport à la normale». «La France a donc eu besoin d’électricité au moment où le prix du marché était déjà élevé à cause la crise», observe-t-elle.