Mercredi 25 septembre, plusieurs médias algériens, dont la radio publique Radio algérienne, ont annoncé que l’Etat algérien avait déposé plainte contre l’eurodéputée du parti Reconquête auprès du tribunal judiciaire de Paris pour «diffusion de fake news». En cause, des propos (flous) portant sur le montant de l’aide au développement versée par la France à Alger.
Le 20 septembre, l’élue européenne et compagne d’Eric Zemmour était intervenue au téléphone dans l’émission des Grandes gueules, sur RMC, pour commenter le gouvernement Barnier. L’occasion pour elle de critiquer les hausses d’impôts évoquées par le nouveau Premier ministre. Et de dénoncer des dépenses indues selon elle, évoquant l’aide au développement versée à deux pays : «Est-ce que vous savez, par exemple, qu’on donne 800 millions d’euros à l’Algérie, en aide publique au développement ? Est-ce que vous savez qu’on donne, chaque année, 120 millions d’euros en aide publique à la Chine, c’est-à-dire la première puissance économique du monde ? Alors qu’on est en train de faire des appels aux dons pour financer des scanners à l’hôpital Georges-Pompidou…» Quelques heures plus tard, elle repartage l’extrait sur ses différents réseaux sociaux (TikTok, Instagram, X).
‼️ Nous donnons 800 millions d’euros à l’Algérie, et même 120 millions d’euros d’aide au développement à la Chine.
— Sarah Knafo (@knafo_sarah) September 20, 2024
La première puissance économique du monde, on l’aide à se développer ! 😂
Pendant ce temps, en France, on fait des appels aux dons pour financer nos hôpitaux… pic.twitter.com/D7uMB0Qeio
Dès le lendemain, l’avocat Nabil Boudi annonce le dépôt d’une plainte (sans évoquer au nom de qui) pour «diffusion de fake news», suscitant une réponse ironique de l’eurodéputée : «Veuillez m’excuser, j’ai dit que l’Algérie avait reçu 800 millions d’euros d’aide au développement grâce à la France. En réalité, c’est plutôt 842 millions d’euros, et seulement de 2017 à 2022 (dernière année connue, donc sans doute encore plus aujourd’hui).»
Sarah Knafo cite comme source l’OCDE et le site officiel du gouvernement français. Son tweet comporte un lien vers le site officiel du gouvernement listant le montant des aides aux différents pays. Entre 2018 et 2022, soit sur cinq années, le montant de l’aide versée à l’Algérie s’établit à 588 millions d’euros, dont 132 millions pour l’année 2022. Sur le site de l’OCDE consacrée à l’aide publique au développement française, on peut accéder aux données jusqu’à 2021, donnant un montant de 771 millions de dollars (689 millions d’euros) sur six ans. Soit 128,5 millions par an en moyenne.
A noter que, selon les données de l’OCDE, le montant de l’aide versée par la France à l’Algérie est loin d’être le plus important. Avec 130 millions, le pays est loin du top 10 des bénéficiaires de l’aide française, emmené par le Maroc, avec 652 millions de dollars en 2022. Dixième pays de la liste, le Sénégal avait perçu cette même année 245 millions de dollars. Les aides versées ne ciblent pas exclusivement les pays les moins avancés (PMA) mais se destinent également à des «pays et territoires à revenu intermédiaire». On en compte plusieurs dizaines (dont l’Algérie et le Chine). Le montant total de l’aide publique au développement versée par la France était de 15,1 milliards d’euros en 2022.
Dans son article sur la plainte, TSA, média francophone algérien, affirme que la plainte déposée tient au fait que Sarah Knafo «a prétendu que l’Algérie percevait chaque année 800 millions d’euros de la France au titre de l’aide au développement». Ce qui, concernant la sortie de Knafo sur RMC, est erroné. De fait, l’eurodéputée a cité le montant de 800 millions d’euros sans rien préciser de la période de référence. Ce qui ne permet pas à l’auditeur de se faire la moindre idée du montant annuel… sans être explicitement faux.
Enquête
A l’inverse, on pourra noter que le JDD, qui a volé au secours de Sarah Knafo, lui donne raison en affirmant à tort que l’eurodéputée «a déploré que la France ait accordé “800 millions d’euros à l’Algérie” ces dernières années». Ce qui est donc également faux.
En fait, la polémique s’explique surtout par le fait que Sarah Knafo avait déjà précédemment évoqué le même versement de 800 millions, mais en affirmant à tort, et de manière explicite, qu’il s’agissait d’un montant annuel. Le 19 mai 2024, en pleine campagne pour les élections européennes, l’énarque déclarait que la France pouvait faire pression grâce à l’aide publique au développement sur les pays qui refusent de récupérer leurs ressortissants faisant l’objet d’une OQTF. Elle ciblait alors l’Algérie en expliquant, qu’«aujourd’hui, on donne 800 millions d’euros à l’Algérie tous les ans. L’Algérie un pays qui refuse de reprendre ses clandestins, comment est-ce qu’on peut continuer à faire ça ?»
Comment peut-on donner 800 millions d'euros d’aide au développement à l'Algérie chaque année, alors qu'elle refuse de reprendre ses clandestins qui sont parfois des bombes sur pattes ? pic.twitter.com/bK7Tg9pdp3
— Sarah Knafo (@knafo_sarah) May 20, 2024
Plusieurs médias avaient alors infirmé son propos. Contactée par CheckNews le 6 juin, Sarah Knafo nous avait indiqué que ce chiffre avait pour source «l’OCDE citée par le magazine Challenges». Mais comme nous l’avions démontré dans une vidéo produite dans le cadre de notre partenariat avec la pastille Désintox pour la chaîne Arte, la lecture du magazine par Sarah Knafo était erronée.
Dans son édition du 18 avril, Challenges évoquait bien 842 millions de dollars (soit 753 millions d’euros) mais spécifiait qu’il s’agissait de l’aide cumulée sur six ans, de 2017 à 2022 (1).
La France donne 800 millions d’euros par an à l’Algérie ? 🤔 #news #fakenews #france #algérie pic.twitter.com/ZRdJziN1EW
— Désintox - ARTE (@ArteDesintox) June 11, 2024
Cinq mois plus tard, Sarah Knafo n’a pas réitéré explicitement son erreur. Mais s’est donc abstenue de préciser que le montant évoqué correspondait à plusieurs années. Ce vendredi 27 septembre, CheckNews n’avait pas pu obtenir confirmation du dépôt de la plainte auprès du parquet de Paris.
(1) La différence entre le montant évoqué par Challenges et celui qu’on trouve sur le site de l’OCDE tient au fait que, selon le média, la valeur avait été recalculée en millions de dollars constants (2021) afin de neutraliser l’inflation sur la période.