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Pourquoi le traitement contre le cancer d’un retraité lorrain, dont l’histoire a été médiatisée, n’est plus remboursé à 100 % ?

Le tarif pris en charge par l’assurance maladie correspond désormais au prix des médicaments génériques. Pour l’organisme, la faute revient au laboratoire produisant le médicament d’origine, qui a refusé de s’aligner sur ce prix.
Jean-Pierre Capdeville, atteint d'un cancer du poumon, a constaté en avril que le traitement contre sa maladie n'était plus remboursé intégralement. (Thierry Fedrigo/L'Est Republicain. Maxppp)
publié le 3 décembre 2023 à 13h02

Depuis plusieurs jours, de nombreux médias ont consacré des articles à l’histoire de Jean-Pierre Capdeville, retraité lorrain qui se bat pour obtenir la prise en charge totale de son traitement contre le cancer du poumon. Une situation qui a suscité de nombreuses incompréhensions. Explications.

Ses déboires ont d’abord été relatés dans le journal régional, le Républicain lorrain, qui y a consacré un article lundi 27 novembre. Mais ce n’est que deux jours plus tard, lorsqu’il est apparu dans un reportage de BFMTV, que le récit de Jean-Pierre a réellement attiré l’attention du public. Sur Twitter (renommé X), une publication qui reprenait la séquence diffusée à l’antenne de BFMTV a presque atteint les sept millions de vues.

Jean-Pierre Capdeville est âgé de 70 ans, atteint d’un cancer du poumon depuis ses 52 ans, et suit le même traitement depuis une dizaine d’années : un comprimé par jour d’Iressa 250 mg, un médicament du laboratoire AstraZeneca. D’après le récit fait aux médias, il a découvert en avril, alors qu’il s’était présenté dans une pharmacie, que son médicament ne lui est plus intégralement remboursé. Désormais, l’Iressa 250 mg est pris en charge par l’assurance maladie à hauteur de 60 % – à près de 1 390 euros la boîte, le retraité doit donc débourser 635 euros de sa poche. Car la Sécu ne prend plus en charge que les 755 euros correspondant au prix des médicaments génériques.

Perte du brevet

Le traitement produit par AstraZeneca est en fait ce que l’on appelle un princeps, soit le médicament «d’origine», qu’un brevet protège pendant une dizaine d’années. «Depuis la perte de son brevet, il existe de nombreux génériques avec un écart de prix important entre Iressa et les génériques. Jusqu’au 1er janvier 2023, le médicament de référence et les génériques étaient remboursés entièrement malgré cette différence de prix», retrace la Caisse nationale de l’assurance maladie (Cnam) auprès de CheckNews.

Cependant, à compter du 2 janvier, le Comité économique des produits de santé, un organisme interministériel chargé de fixer les prix des médicaments pris en charge par l’assurance maladie, «a décidé d’appliquer pour ces médicaments un TFR (tarif forfaitaire de responsabilité), c’est-à-dire une base de remboursement maximale qui s’applique quel que soit le prix du médicament». Comme le rappelle le site de la Cnam, le tarif forfaitaire de responsabilité est «calculé à partir du prix des médicaments génériques les moins chers». De ce fait, «si vous refusez un médicament générique parce que vous préférez un médicament d’origine, vous serez remboursé uniquement sur la base du TFR».

Même si les cancers sont «des ALD (affections de longue durée) ouvrant droit à une prise en charge à 100 % des traitements», un reste à charge peut s’appliquer à un certain nombre de frais, «comme les franchises médicales sur les boîtes de médicaments», note la Ligue contre le cancer. La mise en place d’un TFR pour le groupe de médicaments basés, comme l’Iressa 250 mg, sur la molécule baptisée «géfitinib» – et utilisée dans le traitement de certains cancers, dont le cancer bronchique non à petites cellules (CBNPC), la forme la plus fréquente du cancer du poumon – ne contrevient pas au principe de prise en charge des cancers. La Cnam pointe que «le TFR est mis en place uniquement lorsqu’un certain nombre de génériques sont mis sur le marché. C’est le cas de ce médicament, qui compte sept génériques».

La responsabilité revient donc, selon l’assurance maladie, au laboratoire AstraZeneca : «Pour que M. Capdeville n’ait plus de reste à charge sur son traitement, il est nécessaire que le laboratoire vende le médicament d’origine au même prix que les génériques.» D’ailleurs, renchérit la Cnam, les laboratoires décident de s’aligner sur le TFR «dans la majorité de cas». Mais pas cette fois.

«Droit de substitution»

La solution pour Jean-Pierre Capdeville, faute de revenus suffisants pour financer les 635 euros du reste à charge, serait alors de se rabattre sur les génériques. Le problème, explique-t-il, c’est qu’il n’a pas supporté ceux que son médecin lui a prescrits : au Républicain lorrain, il rapporte avoir été «pris de saignements, de nausées, de vomissements».

Il existe bien une exception en vertu de laquelle le retraité lorrain pourrait être dispensé du reste à charge. De manière générale, lorsqu’un patient se présente en officine muni d’une prescription, le pharmacien a la possibilité de lui fournir le générique à la place du médicament inscrit sur son ordonnance. Mais uniquement «à condition que le prescripteur n’ait pas exclu cette possibilité par une mention expresse et justifiée portée sur l’ordonnance», dispose le code de la santé publique (article L. 5125-23). Pour cause, les médecins peuvent s’opposer «au droit de substitution du pharmacien pour des raisons tenant à l’état de santé du patient», souligne la Cnam. Seules quelques situations médicales le justifient, détaillées dans un arrêté de 2019 : ce peut notamment être le cas pour «un patient présentant une contre-indication formelle et démontrée à un excipient à effet notoire présent dans tous les médicaments génériques disponibles, lorsque le médicament de référence correspondant ne comporte pas cet excipient». En ce qui concerne Jean-Pierre Capdeville, toutefois, le recours à cette exception «n’est pas possible juridiquement car les médicaments sous TFR sont exclus du dispositif prévu par l’arrêté [de] 2019», nous répond la Cnam.

Les autorités sanitaires pointent par ailleurs le fait que de toute manière, s’agissant de l’Iressa 250 mg, les génériques ne contiennent pas d’excipients tels que des problématiques de tolérance spécifiques à ces médicaments puissent se poser. Lorsqu’on consulte la liste des médicaments du groupe générique «Gefitinib 250 mg – Iressa 250 mg», on constate que tous présentent le même «excipient à effet notoire» : le «lactose». La fiche technique de l’Iressa 250 mg relève également que ce médicament «contient du lactose», ce qui implique que «les patients présentant une intolérance au galactose, un déficit total en lactase ou un syndrome de malabsorption du glucose et du galactose (maladies héréditaires rares) ne doivent pas prendre ce médicament». Dans les génériques, la dose de lactose «est identique à l’Iressa», ou même «légèrement inférieure», détaille à CheckNews l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). En outre, «à ce jour, l’ANSM n’a pas identifié de signal de sécurité concernant une différence entre l’Iressa et ses médicaments génériques».