Menu
Libération
CheckNews
Vos questions, nos réponses
CheckNews

Pourquoi l’enfarineur de Jean-Luc Mélenchon n’a-t-il pas été directement interpellé par la police ?

François De Rugy et le leader de La France insoumise ont été visés l’un après l’autre par des lancers de farine, le vendredi 11 et samedi 12 juin. Les deux auteurs ont été interpellés. Mais pas vraiment avec la même célérité.
L'homme qui a enfariné Jean-Luc Mélenchon à Paris, le 12 juin 2021. (Clément Lanot)
publié le 16 juin 2021 à 17h13
Question posée par Domi le 14/06/2021

Bonjour,

Nous avons reformulé votre question qui était «Pourquoi la police n’a pas arrêté l’enfarineur de Jean-Luc Mélenchon alors qu’elle a interpellé l’enfarineuse de De Rugy ?»

Ce samedi 12 juin, plusieurs «Marches des libertés» ont été organisées en France pour manifester «contre les idées d’extrême droite». A Paris, le leader de La France insoumise (LFI) Jean-Luc Mélenchon s’est mêlé au rassemblement. Alors qu’il répondait à la presse, peu après le départ du cortège de la place de Clichy vers 14 heures, il a reçu un jet de farine en plein visage. Son auteur a prétendu avoir été inspiré par un geste semblable, la veille, à destination cette fois de l’ancien ministre de l’Ecologie François de Rugy. Vendredi 11 juin vers 20 heures, le député LREM avait subi le même sort sur une terrasse de la place du Bouffay, dans le centre-ville de Nantes. Tête de liste de la majorité pour les élections régionales dans les Pays-de-la-Loire, il discutait avec un autre élu à un apéro entre militants et colistiers, quand il a reçu le paquet de poudre blanche.

Gardes à vue

La jeune femme ayant enfariné François de Rugy a été interpellée, puis déférée au parquet de Nantes le dimanche 13 juin après quarante-huit heures de garde à vue. Poursuivie pour «violences sur personne dépositaire de l’autorité publique, sans ITT» et «refus de se soumettre aux relevés signalétiques», elle a été remise en liberté avec une convocation au tribunal pour le 28 juillet, selon nos confrères de Ouest-France. Sollicité pour confirmation, le parquet de Nantes n’a pas donné suite.

Quant au jeune homme ayant enfariné Jean-Luc Mélenchon, il a également été arrêté avec un comparse l’ayant accompagné pour filmer la scène. Placés en garde à vue pendant vingt-quatre heures, ils ont été relâchés dimanche 13 juin, après s’être vu remettre une convocation devant le tribunal correctionnel pour le 7 juillet. Ils sont respectivement poursuivis pour «violence sur personne chargée d’une mission de service public», et pour complicité de ce délit, a confirmé le Parquet de Paris à CheckNews.

Deux villes, deux ambiances

L’enfarineuse de François De Rugy, comme l’enfarineur de Jean-Luc Mélenchon (ainsi que son complice), ont donc tous deux été interpellés, placés en garde à vue, puis remis en liberté avec une convocation au tribunal pour une date ultérieure. En revanche, la chronologie des faits diffère, comme le soulignent des internautes sur Twitter.

A Nantes, «Emilie G.» a presque immédiatement été interpellée après les faits par des policiers en civil présents sur les lieux, ce dont s’est félicité François de Rugy sur Twitter. A l’opposé, à Paris, après avoir enfariné Jean-Luc Mélenchon, celui qui se fait appeler «Til» a pu donner des interviews puis quitter les lieux librement. Il n’a finalement été interpellé que dans la soirée, sur le chemin entre son domicile et celui de son ami, à Issy-les-Moulineaux, commune limitrophe de Paris. Votre question porte sur cette différence de traitement apparent, et la liberté dont a pu jouir le Youtubeur controversé après l’altercation avec le député insoumis.

Les témoins ayant assisté à la scène sont d’accord sur un point : aucun agent des forces de l’ordre n’était présent quand les faits se sont déroulés. Nadège Abderrazak, journaliste au premier rang pour RT France, explique à CheckNews : «de ce que j’ai pu voir, il n’y avait pas de dispositif policier à proximité» à ce moment-là. Ce que confirme La France insoumise, également contactée : «Il n’y avait pas de policiers dans l’immédiate proximité de Jean-Luc Mélenchon car nous étions dans le carré de tête. Les policiers ne s’y trouvent pas, ils restent sur les bords».

Mais l’absence de la police au moment des faits ne suffit pas à expliquer l’absence d’interpellation sur les lieux de la manifestation. Notamment car très vite, les policiers ont semble-t-il repéré l’individu, resté à une centaine de mètres de la scène pour répondre à d’autres médias. Comme en témoigne Antoine Forestier, journaliste pour BFM TV : «On a demandé à l’individu s’il n’avait pas peur de se faire interpeller, il était le premier surpris que ce ne soit pas déjà le cas. L’interview a duré une dizaine de minutes, au début j’ai remarqué des policiers en uniforme à une quinzaine de mètres, mais à la fin de l’interview il n’en restait qu’un, en civil, qui surveillait l’individu et communiquait par talkie-walkie.»

Un simple contrôle d’identité

Surtout, rapidement après, l’enfarineur est entré en contact avec la police, sans qu’il soit possible d’établir à l’initiative de qui. Le compte @BreakNewsFrance, relayée par Manuel Bompard, député européen LFI, affirme que l’homme a été arrêté par le service d’ordre du mouvement et amené aux forces de l’ordre.

Faux, rétorque l’intéressé, contacté via Twitter. «Sachez que je n’ai pas été amené à la police par le service d’ordre de la manifestation, c’est un dangereux mensonge du compte @BreakNewsFrance et repartagé par Manuel Bompard», nous indique-t-il. «C’est moi qui suis allé vers des policiers de la BRAV [Brigades de répression des actions violentes motorisées, ndlr], au cas où des antifascistes auraient voulu faire usage de la violence contre moi», assure «Til». Du côté de LFI, on livre cette version : «Ce qu’on nous a rapporté, c’est que le service d’ordre de la manifestation a signalé le mec à la police, qui l’a suivi et a relevé son identité».

Les journalistes présents, contactés par CheckNews, n’ont pas été témoins directs de la façon dont le jeune homme est entré en contact avec la police. «Après les interviews, il a continué dans une petite rue jusque dans le square Hector Berlioz, accompagné tout le long par un homme avec une caméra. On les a alors aperçu avec deux agents en civil, dont une policière avec un brassard police», détaille Antoine Forestier.

Ce qui est certain, c’est que les policiers les ont ensuite relâchés. «Ils ont discuté cinq minutes, elle a fait son relevé d’identité et tout le monde est ressorti du square». Un récit confirmé par le principal concerné : «Les deux policiers en civil ont pris mon identité, et mon adresse, en cas de dépôt de plainte [de Jean-Luc Mélenchon] puis m’ont laissé partir.»

Motif d’interpellation

Dans un premier article, qui a été modifié ultérieurement, BFM TV affirmait avoir eu des explications des autorités justifiant que l’homme soit laissé libre. «L’homme n’a pas été interpellé, puisque l’enfarinage n’est pas un motif d’interpellation ni de garde à vue», expliquait la chaîne d’information en continu, citant alors une source policière.

«Au contraire, l’enfarinage est bien un motif d’interpellation, et ce sont deux élus donc ce n’est même plus une simple contravention, c’est du délit, relevant de l’article 222-13», argumente Me Thierry Vallat, avocat au bureau de Paris. «François de Rugy et Jean-Luc Mélenchon sont exactement dans la même situation : ce sont des personnes dépositaires de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public, attaquées dans un espace public donc dans l’exercice leurs fonctions».

A propos des raisons qui ont pu pousser la police à une interpellation tardive, Thierry Vallat émet cette hypothèse : « La police n’a peut-être pas souhaité prendre de risque de troubler l’ordre public, dans le contexte d’une manifestation, qui sont parfois émaillées de violences». Et l’avocat de préciser que les forces de l’ordre constatant une infraction «n’ont pas obligation d’interpeller immédiatement».

Contactée par CheckNews pour savoir pourquoi l’enfarineur de Jean-Luc Mélenchon n’a pas immédiatement été arrêté et placé en garde à vue après son contrôle d’identité, la préfecture de police de Paris n’a pas répondu à nos sollicitations.

A noter enfin que si François de Rugy a porté plainte, comme il l’a fait savoir sur Twitter, Jean-Luc Mélenchon s’y est refusé. «Il a été recontacté par la sécurité intérieure qui l’a invité à porter plainte, ce qu’il n’a pas fait. Il estime que c’est au procureur de décider d’engager des poursuites ou non», déclare l’équipe de La France insoumise. Pour Me Vallat, ces décisions ne peuvent expliquer la différence de traitements des deux auteurs des faits, « l’infraction constatée restant la même.»

EDIT : mise à jour le 22 juin à 17:12 avec ajout de la précision « interpellé sur le chemin entre son domicile et celui de son ami »