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Pourquoi les péages en flux libre, déjà en place sur certaines autoroutes, sont-ils critiqués ?

Depuis le lancement du dispositif sur l’axe Paris-Normandie en décembre, les commentaires négatifs se multiplient, de la part de conducteurs occasionnels, d’abonnés télépéage, ou même d’entreprises de location de véhicules.
Les 88 km de l’A79, séparant Digoin (Saône-et-Loire) de Montmarault (Allier), sont équipés du flux libre. Ce nouvel axe autoroutier a été ouvert à la circulation en novembre 2022. (Richard Damoret/REA)
publié le 4 janvier 2025 à 8h15

L’A13 est en flux libre. Depuis la nuit du 9 au 10 décembre 2024, sur cette autoroute reliant Poissy (Yvelines) à Caen (Calvados), exit les traditionnelles barrières de péage auxquelles il fallait auparavant s’arrêter. Désormais, les automobilistes passent sous des portiques qui enjambent la route. «Des caméras et des capteurs intelligents détectent et identifient les plaques d’immatriculation ou un badge de télépéage. Ils calculent le montant du péage en fonction de la catégorie du véhicule (voiture, poids lourd, moto) et du trajet réalisé», explique dans un communiqué le groupe Sanef, gestionnaire du réseau.

Le dispositif avait déjà été déployé en juin 2024 sur l’A14, le tronçon qui relie La Défense (Hauts-de-Seine) à Orgeval (Yvelines). Avec la nouvelle étape franchie sur l’A13 en décembre, l’axe Paris-Normandie (A13-A14) est devenu le premier ensemble existant entièrement converti au flux libre. Auparavant, Sanef expérimentait depuis 2019 le péage en flux libre sur l’A4, mais au niveau d’un seul diffuseur, celui de Boulay-Moselle. Les 88 km de l’A79, séparant Digoin (Saône-et-Loire) de Montmarault (Allier), sont également équipés du flux libre, mais parce que ce nouvel axe autoroutier (géré par le groupe APRR) a été ouvert à la circulation en novembre 2022. Ainsi, la mise en service était postérieure à la loi d’orientation des mobilités de 2019, qui prévoit la mise en place du «flux libre intégral sur les autoroutes», et impose en corollaire que toute nouvelle autoroute soit dépourvue de barrières de péage. Entre autres, l’A69, le projet en construction entre Toulouse et Castres qui a soulevé de vives contestations, sera donc aussi parsemée de portiques flux libre.

Amende forfaitaire de 375 euros

Si le conducteur n’est donc plus sollicité pour mettre la main à la poche pendant qu’il est en route, le péage n’a évidemment pas disparu pour autant. A l’issue de leur trajet, les conducteurs sont tenus de s’acquitter des frais de péage dans les soixante-douze heures. Différentes possibilités sont proposées pour le paiement. Soit en ligne, sur le site de la société d’autoroute. Mais cette modalité est critiquée par certains, car elle risque d’exclure les personnes avec un accès limité aux outils numériques, du fait de leur âge ou leur faible connexion. Soit chez un buraliste du réseau Nirio («près de 7 000» sont agréés Nirio, le service de paiement du groupe FDJ). Une réponse à la fracture numérique, mais qui nécessite quand même de se déplacer dans un point de vente. Soit, pour les abonnés télépéage, avec leur badge permettant une facturation mensuelle automatique. Mais des utilisateurs, dont un journaliste de la Voix du Nord, rapportent avoir été exhortés à payer pour leurs passages aux péages en flux libre tout en étant pourtant «équipés du télépéage». «Je découvre le racket made in Sanef», fustige ce journaliste.

Autre motif de grogne : les montants dus en cas d’oubli. Une fois passé le délai de soixante-douze heures, s’ouvre la «phase transactionnelle». Le gestionnaire se charge alors de réclamer le paiement, en appliquant une indemnité forfaitaire, en plus du prix du péage. Son montant, de 10 euros dans un premier temps, passe à 90 euros au bout de quinze jours. Enfin, au-delà de deux mois, on passe à la «phase contraventionnelle». Le dossier passe entre les mains du Trésor public, et le conducteur en défaut de paiement se voit appliquer une lourde amende de 375 euros, qui équivaut au montant de l’amende forfaitaire majoré de quatrième classe. Il se trouve en effet en infraction au code de la route, où figure l’obligation pour les usagers des autoroutes de s’acquitter du paiement des péages. Le site officiel «Service public» précise que «si vous ne payez pas l’amende forfaitaire majorée dans un délai de quatre mois à partir de son envoi, l’administration bloquera la vente du véhicule tant qu’elle ne sera pas payée». Et que, en outre, «si vous avez plus de cinq amendes forfaitaires majorées en douze mois, vous risquez une amende de 7 500 euros».

«Courrier pédagogique»

«Sur cette somme, Sanef ne perçoit rien. Nous n’avons donc pas intérêt à ce que nos clients en arrivent là», soutenait Joselito Bellet, responsable du projet flux libre Paris-Normandie, auprès de la Dépêche de Louviers en mars 2024. Afin d’assurer la meilleure information possible, «Sanef a installé plus de 200 panneaux de signalisation réglementaire qui jalonnent les 210 km de l’axe entre Paris et Caen», expose le groupe à CheckNews. S’y ajoutent «près de 40 panneaux provisoires et plus de 40 calicots en français et en anglais installés sur les ponts de l’axe», ainsi que «des bâches grand format installées sur les anciennes barrières de péage». Lorsque les usagers empruntent pour la première fois une autoroute à flux libre, les sociétés d’exploitation s’engagent à lui adresser un «courrier pédagogique» afin de lui en expliquer le fonctionnement. Toujours dans cette optique de souplesse, «si c’est le premier retard de paiement, on laisse encore dix jours supplémentaires», explique à BFMTV le directeur de l’expérience client chez Sanef, Vincent Fanguet.

De plus, pour prévenir tout manquement, un système de notification est proposé aux usagers. «En s’inscrivant en ligne, il est possible de bénéficier de rappels après chacun des passages ou de mettre en place un paiement automatique qui permettra d’être directement débité du montant du péage après chaque trajet», souligne le site du ministère de la Transition écologique. Mais des internautes regrettent d’avoir à communiquer des données personnelles pour bénéficier de ces services en ligne. Et notent qu’il faut aussi créer un compte pour avoir accès au détail des trajets et paiements.

Pour leur part, les automobilistes équipés du télépéage sont invités à vérifier que leur badge se trouve bien sur le pare-brise, côté conducteur. La société APRR, qui exploite l’A79, indique dans un communiqué transmis à CheckNews que «dans 90 % des cas où le badge ne fonctionne pas, c’est qu’il a été mal positionné sur le pare-brise». Pour le reste, c’est-à-dire en cas de badge bien positionné et non détecté par les portiques, un service de notification est, là encore, proposé aux abonnés télépéage.

Parmi les autres acteurs subissant les conséquences du passage au flux libre, les entreprises de location de véhicules. De fait, lorsque leurs clients ne payent pas les péages en flux libre, il leur revient d’identifier les mauvais payeurs et de faire le lien avec les exploitants. Depuis que le flux libre a été lancé sur l’A13, une agence située à Caen rapporte ainsi, auprès de BFMTV, qu’elle a dû traiter plus d’«une trentaine d’avis de paiement». Une charge de travail supplémentaire. Dans une moindre mesure, le système contraint aussi les propriétaires de véhicules qui les prêtent à d’autres conducteurs puisque, en cas de défaut de paiement, ils doivent eux-mêmes contacter les sociétés d’autoroutes pour leur désigner la personne au volant lors du passage sous le portique (auprès de qui le paiement sera sollicité).

«Gains de temps, de sécurité et de carburant»

Face aux critiques, les exploitants se réfugient derrière un nécessaire temps d’adaptation. Dans le document envoyé à CheckNews, APRR dénombre une hausse de «23,6 % des transactions payées dans les soixante-douze heures entre 2023 et 2024», puis se félicite : «Depuis le lancement [de l’A79], 15 millions de trajets ont été comptabilisés, et seulement 1 % sont aujourd’hui en attente de paiement.» Invité samedi 4 janvier sur France Inter, Arnaud Quémard, le directeur général du groupe Sanef, se félicitait aussi du succès du dispositif. A l’en croire, alors que le flux libre a été mis en place le 10 décembre sur l’A13, le taux de paiement spontané y est «largement supérieur à 90%».

Surtout, autorités et sociétés d’exploitation vantent les avantages de cette conversion au flux libre. «L’Etat s’est engagé dans le développement des autoroutes à péage en flux libre au regard des gains de temps, de sécurité et de consommation de carburant offerts par la suppression des barrières de péage», fait valoir le ministère de la Transition écologique sur son site. Avec le flux libre, «les moteurs ne tournent plus à l’arrêt, il n’y a plus besoin de réaccélérer en sortie de barrière de péage», en plus de diminuer «le stress des conducteurs qui n’ont plus à hésiter et choisir leur voie, à chercher leur moyen de paiement, etc.» pointe le communiqué de l’APRR.

A la Transition écologique, on met aussi en avant des vertus environnementales. «L’absence de barrière de péage permet de limiter la consommation d’espace naturel et de libérer les emprises des anciennes gares de péage», loue le ministère. D’après les deux sociétés pour le moment concernées, 16 hectares de nature ont été épargnés grâce à l’absence de péages «physiques» sur l’A79, tandis que 28 hectares seront désartificialisés sur l’axe A13-A14 avec le démantèlement à venir des barrières de péage.

Mise à jour : Le 4 janvier à 10 h 02, avec ajout de la déclaration d’Arnaud Quémard, directeur général du groupe Sanef. Le 5 janvier à 9 h 23, avec ajout de la réponse de Sanef sur les moyens déployés pour informer les conducteurs.