Samedi 24 février, la Maison de la mutualité, à Paris, accueillait une conférence organisée par le Conseil national de la résistance iranienne (CNRI) en amont de la journée internationale des droits des femmes, le 8 mars. Sur la scène, aux côtés de la présidente du CNRI, Maryam Radjavi, deux anciennes figures de la politique française ont aussi reçu les applaudissements de la foule : Michèle Alliot-Marie d’abord, l’ancienne ministre de la Défense de Jacques Chirac, ensuite passée par l’Intérieur, la Justice, et les Affaires étrangères sous Nicolas Sarkozy, régulièrement invitée à intervenir dans les événements du CNRI. Mais aussi Najat Vallaud-Belkacem, ex-ministre de l’Education nationale sous François Hollande.
Discours à la conférence à l’occasion de la Journée internationale des femmes
— Maryam Radjavi (@Maryam_Rajavi_F) February 24, 2024
La participation active et égale des #femmes au leadership politique, condition sine qua non de la démocratie#IWD2024#WomenForce4Changehttps://t.co/DBkSJowPmL pic.twitter.com/Ej91K4moc6
A l’issue de la conférence, cette dernière a adressé, dans un message publié sur Instagram, sa «force à Maryam Radjavi, l’incroyable présidente du Conseil national de la résistance iranienne [et] à toutes celles qui au péril de leur vie résistent contre le fondamentalisme islamiste». Mais la présence à la Maison de la mutualité de la désormais présidente de France terre d’asile a aussi été pointée du doigt. Car le CNRI, et par extension son bras militant, l’Organisation des moudjahiddines du peuple iranien (OMPI), est contesté pour son idéologie et son fonctionnement.
Bus rempli de femmes «qui semblaient toutes être des officielles»
Sur Twitter (renommé X), Najat Vallaud-Belkacem a notamment été interpellée par l’association Femme Azadi, créée en réaction au soulèvement populaire né après la mort de Mahsa Amini en Iran septembre 2022, et plutôt proche pour sa part de la droite royaliste iranienne. L’ancienne ministre se voit ainsi reprocher son intervention à cet événement organisé par «les islamo-marxistes moudjahidin du peuple pour promouvoir leur secte classée terroriste il y a encore peu de temps». «Un événement soi-disant [en faveur] des droits des femmes, alors qu’ils ont battu des femmes juste devant la porte» de la salle de spectacle, ajoute l’association. L’épisode auquel cette publication fait référence, c’est une opération de tractage menée aux abords de la Mutualité par quelques militants du mouvement Femme, vie, liberté, dont certains membres auraient été violemment chassés par les hommes déployés par le CNRI pour assurer la sécurité de l’événement. Venus dénoncer les méthodes de l’organisation, «six filles ont été insultées, ont pris des coups de poing, des coups de pied» tandis qu’«un gars a fini à terre avec la lèvre ouverte», relate à CheckNews un témoin de la scène.
Auparavant, le même témoin avait vu débarquer, dans une rue adjacente, un bus rempli de femmes occidentales «qui semblaient toutes être des officielles». De fait, au-delà de Michèle Alliot-Marie et Najat Vallaud-Belkacem, étaient aussi réunies samedi, d’après le programme consulté par CheckNews, l’ancienne otage franco-colombienne Ingrid Betancourt, l’ancienne présidente de l’Equateur Rosalía Arteaga, la lauréate du prix Nobel de la paix 2011 Leymah Gbowee, une eurodéputée néerlandaise, des députées belge, danoise, islandaise, maltaise, moldave, lituanienne… ou encore l’avocate française Dominique Attias, qui s’est chargée de faire passer l’invitation à «NVB», selon le récit fourni par l’ex-ministre.
Certaines intervenantes ont d’ailleurs diffusé des photos de l’événement (comme les députées italienne, Naike Gruppioni, et canadienne, Judy Sgro) qui montrent le parterre d’un millier de personnes, iraniennes pour la plupart. L’oratrice principale, Maryam Radjavi, a ouvert les hostilités avec un discours appelant à renverser le régime des mollahs, défendant «la participation active et égale des femmes» au pouvoir et renvoyant vers les douze points de son «plan des libertés et des droits des femmes».
Intense lobbying
Mais de nombreux militants iraniens et experts estiment que cette façade aux allures progressistes, se détachant de la religion, voire prônant des valeurs féministes, masque une idéologie bien différente. L’Organisation des moudjahiddines du peuple iranien a en effet été bâtie, lors de sa création au milieu des années 60, autour d’un programme d’inspiration marxiste et islamique, et sur la violence comme mode d’action en vue de renverser la monarchie. Après l’arrivée au pouvoir des mollahs, consécutive à la révolution de 1979, les représentants de l’OMPI ont été écartés des instances dirigeantes et ont donc fait du régime islamique la nouvelle cible de leurs opérations. Chassée d’Iran à partir de 1981, l’organisation s’est réfugiée en Irak, où elle a alors œuvré au service de Saddam Hussein, ennemi juré du pouvoir iranien à l’époque. En parallèle, son leader Massoud Radjavi a fui Téhéran et posé ses valises à Auvers-sur-Oise (Val-d’Oise), au nord-ouest de Paris. Là, il a donné naissance à une autre organisation, le Conseil national de la résistance iranienne – qui réunissait au départ plusieurs groupes d’opposants au régime iranien, même s’il n’est plus aujourd’hui que la vitrine politique de l’OMPI.
Depuis, le mouvement a changé de tête. L’épouse de Massoud Radjavi, Maryam, a hérité de la direction de l’OMPI en 1989, puis de la présidence du CNRI en 1993. A la suite du renversement de Saddam Hussein en 2003, les combattants de l’OMPI sont désarmés et regroupés dans un camp près de Bagdad (qu’ils ont quitté en 2013, pour s’établir en Albanie), mettant ainsi un terme à leur lutte armée, après deux décennies marquées par de multiples attentats perpétrés contre les autorités iraniennes.
Ces attaques ont valu à l’OMPI d’être décrite, dès 1994, dans un rapport officiel américain, comme une organisation de nature terroriste, appliquant le culte de la personnalité. Puis d’être inscrite, trois ans plus tard, sur la liste noire des organisations terroristes tenue par les Etats-Unis, où elle a été rejointe en 2003 par le CNRI. L’Union européenne a également décidé, en 2002, de faire figurer les moudjahidin du peuple sur sa propre liste de structures terroristes. L’OMPI a finalement été retiré de ces listes en 2009 pour l’UE, et en 2012 en ce qui concerne les Etats-Unis, au prix d’un intense lobbying et d’une évolution de leurs moyens d’action. En 2011, le Wall Street Journal a ainsi révélé que plusieurs personnalités américaines avaient perçu entre 25 000 et 40 000 dollars pour soutenir publiquement les moudjahidin.
Grands rassemblements réguliers
Pour continuer à exister sans recourir à la violence, le CNRI a pris le relais de l’OMPI, et s’est trouvé des relais politiques dans de nombreux pays occidentaux. En France, l’organisation peut ainsi compter sur le soutien du comité parlementaire pour un Iran démocratique (CPID), qui réunit depuis une quinzaine d’années des députés français de sensibilités politiques différentes. Actuellement, le comité est piloté par Cécile Rilhac (apparentée Renaissance), une élue… du Val-d’Oise, où le CNRI est ancré territorialement, par le biais de son quartier général toujours établi à Auvers-sur-Oise. Pas plus tard que le 30 janvier, le CPID a organisé à l’Assemblée nationale un colloque sur la situation iranienne, au cours duquel Maryam Radjavi était invitée à prononcer un discours. Un lobbying politique que déplorait la sénatrice centriste Nathalie Goulet auprès de l’Express, il y a quelques années : «Les élus français signent leurs pétitions sans connaître le sujet, parce qu’ils se font harceler à la sortie des séances.» Mais pour Najat Vallaud-Belkacem, contactée par CheckNews, cette présence a permis à l’organisation de s’imposer progressivement comme «l’interlocuteur institutionnel quand on veut s’adresser à l’opposition iranienne».
En parallèle, le mouvement programme à intervalle régulier de grands rassemblements, auxquels il convie systématiquement des personnalités. Le dernier «sommet mondial pour un Iran libre», organisé en juillet par le CNRI à son siège du Val-d’Oise, a vu défiler au pupitre une centaine de retraités de la politique. Dont les anciens ministres français Hubert Védrine, Bernard Kouchner et Michèle Alliot-Marie, déjà. Mais aussi le précédent vice-président américain, Mike Pence. Lequel faisait figurer, dans sa déclaration financière transmise en juin au Bureau d’éthique gouvernementale des Etats-Unis, des honoraires de 190 000 dollars versés au titre de sa participation à l’édition 2022 du sommet, en Albanie.
Ce qui interroge quant à une possible rétribution des intervenants sollicités par le CNRI. S’agissant de la conférence qui s’est tenue samedi, Najat Vallaud-Belkacem assure qu’elle n’a «absolument rien touché», tandis que Michèle Alliot-Marie, également contactée, n’a pas donné suite.
Fonctionnement et gouvernance réputés sectaires
Plus largement, se pose la question du financement de l’organisation. Son porte-parole en France répète aux médias qu’il repose uniquement sur les «dons d’Iraniens en Iran et d’Iraniens de la diaspora». Mais comment le CNRI peut-il se payer des salles telles que la Maison de la mutualité ? Et comment est-il parvenu à financer le parti espagnol d’extrême droite Vox, comme l’a révélé il y a cinq ans le quotidien El País ? Les moudjahidin «ont un trésor de guerre amassé grâce aux aides de Saddam Hussein», «sont assez autonomes sur le plan financier et peuvent ainsi [organiser] des meetings extraordinaires ou même acheter les voix de quelques députés», analysait Bernard Hourcade, directeur de recherche émérite au CNRS et spécialiste de l’Iran, auprès du Monde ou de France 24.
L’expert qualifiait par ailleurs l’organisation de «secte politique». De fait, son fonctionnement et sa gouvernance réputée sectaire sont régulièrement dénoncés. Ses adhérents voueraient un véritable culte de la personnalité à leur cheffe, Maryam Radjavi, qui se fait appeler «Soleil de la révolution». Dans les pages de Libé en 2007, d’anciens moudjahidin racontaient par exemple le contrôle absolu des consciences instauré au sein de l’organisation : interdiction du mariage, obligation de divorcer ou bien séparation des combattants de leurs enfants.
Malgré toutes ces ombres entourant l’organisateur de la conférence auquel elle a pris part, Najat Vallaud-Belkacem maintient qu’elle a simplement voulu «saisir cette occasion de prendre la parole en soutien aux femmes» et de «dénoncer le poids de la religion, quand elle est utilisée pour oppresser les femmes» comme c’est le cas selon elle en Iran. Et de se fixer comme limite «en participant à un événement comme celui-là, de ne pas commettre d’ingérence dans la politique iranienne» : «Je choisis le camp des femmes iraniennes en lutte contre la tyrannie.»