Lundi 18 octobre s’est ouvert devant le tribunal correctionnel de Paris le procès de l’affaire dite des sondages de l’Elysée, pour des faits qui se sont déroulés pendant le mandat de Nicolas Sarkozy, dont cinq ex-collaborateurs sont sur les bancs des prévenus. «Il y sera question de la sondagite aiguë sous son quinquennat, sous l’angle du délit de favoritisme et de détournement de fonds publics pour certains d’entre eux», écrit Libé.
A la barre
Vous nous demandez, à cette occasion : «Pourquoi Nicolas Sarkozy est-il protégé par son immunité présidentielle dans l’affaire des sondages ? Je ne vois pas en quoi un sondage sur la popularité des opposants politiques de Nicolas Sarkozy peut faire partie de la fonction présidentielle (ça n’aide pas à gouverner la France). N’a-t-il pas agi en tant que candidat et non en tant que Président ?»
Irresponsabilité et inviolabilité
L’immunité présidentielle est consacrée par l’article 67 de la Constitution, qui distingue eux niveaux de protection.
Le premier est l’inviolabilité de la personne présidentielle. «On ne peut pas aller le chercher, l’obliger à témoigner, ni agir contre lui devant un juge, détaille Paul Cassia, professeur de droit public à l’université Paris 1 Sorbonne. Cette inviolabilité ne joue que quand il est président de la République, […] jusqu’à ce qu’il ait fini son mandat, et un mois après.» Cette inviolabilité concerne notamment les actes extérieurs ou antérieurs au mandat de chef de l’Etat.
Deuxième volet de l’immunité : l’irresponsabilité pour les actes commis en qualité de Président. Elle «joue pour tous les actes qui se rapportent à sa fonction, sans limite dans le temps», poursuit Paul Cassia auprès de CheckNews.
Toutefois, pour les actes les plus graves, des exceptions existent à cette irresponsabilité : «Elle ne fait obstacle ni à sa destitution par le Parlement constitué en Haute Cour ni à sa condamnation par la Cour pénale internationale», écrit Jean Jeanneney, professeur de droit public à l’université de Strasbourg dans le Monde.
Sondages «détachables» de la fonction présidentielle
C’est ce second volet – l’immunité, l’irresponsabilité – qui joue dans cette procédure. Après la réponse à cette question : les sondages se rapportaient-ils à la fonction présidentielle de Nicolas Sarkozy ? Les parties civiles ont tenté de faire valoir que non, ce qui aurait privé l’ancien chef de l’Etat de son irresponsabilité et donc de son immunité.
Pour appuyer son propos, l’association Anticor donnait en 2012 des exemples de sondages a priori très éloignés de la fonction de Président, mais sûrement utiles pour le candidat que Sarkozy allait devenir : «Ceux ayant trait à la perception par les Français de la liaison entre Nicolas Sarkozy et Carla Bruni, depuis la rumeur jusqu’à la période post-mariage, tous ceux ayant trait à l’image de nombre des concurrents politiques de l’UMP ou de lui-même directement (par exemple au sujet d’une intervention télévisée de son potentiel concurrent à l’élection présidentielle Dominique Strauss-Kahn), ceux ayant trait à l’étude de l’électorat écologiste ou aux opinions des sympathisants socialistes, ceux interrogeant les Français sur les qualités requises pour être un bon candidat ou un bon Premier secrétaire du Parti socialiste, etc.» Paul Cassia enfonce le clou : «Je pense que la commande de sondages sur des affaires privées ne relève d’aucune des missions constitutionnelles du président de la République. Il aurait été possible de considérer que [Nicolas Sarkozy] ne bénéficie pas de l’irresponsabilité politique, car les faits ne sont pas liés à l’exercice de sa fonction présidentielle.»
Mais le juge Serge Tournaire, chargé de l’instruction, en a décidé autrement, considérant que ces commandes ne sont pas détachables de la fonction présidentielle. Il s’en explique ainsi dans son ordonnance de renvoi en correctionnelle : «L’imbrication inévitable, dans un système démocratique, entre l’image du président, son activité politique et la conduite des affaires de l’Etat pouvait justifier les commandes d’enquêtes, en nombre réduit, portant sur certains aspects de la vie privée de Nicolas Sarkozy ou de futures échéances présidentielles.»
Interview
Le chef de l’Etat n’étant pas responsable «des actes accomplis en cette qualité», Nicolas Sarkozy est donc irresponsable des commandes des sondages – même sur des sujets privés – aux yeux de la justice dans cette affaire. Il est par conséquent couvert par l’immunité.
«Il y a environ 3 000 sondages et il y en a quelques-uns qui seraient détachables [de la fonction présidentielle]. […] Mais je pense que les magistrats dans ce dossier ont considéré que c’était anecdotique et qu’il fallait aller là où le dossier était solide», complète la présidente d’Anticor, Elise Van Beneden, rappelant la propension de la sarkozie à convertir des failles dans les procédures judiciaires en échappatoires.
Mandat d’amener
Ce sont donc les ex-collaborateurs présidentiels qui sont mis en examen. Quand bien même ils n’ont de cesse de clamer qu’ils agissaient sous les ordres de Nicolas Sarkozy, tentant même de se prévaloir de l’immunité bénéficiant au chef de l’Etat via une question prioritaire de constitutionnalité. Celle-ci a été rejetée par un arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 2012.
«Nous obéissons aux ordres du président de la République. Je sais bien que la Cour de cassation estime que l’immunité présidentielle ne s’applique pas à ses collaborateurs, il n’empêche qu’il y a un problème de droit considérable : nous sommes mis en cause pour des actes pris en application de ses instructions», déclarait ainsi Claude Guéant, cité par Libé en 2017. Et Patrick Buisson d’abonder : «Claude Guéant n’a fait qu’exécuter les instructions formelles de Nicolas Sarkozy.»
Dernier développement dans cette affaire : la convocation, coercitive car prononcée sous la forme d’un mandat d’amener, de l’ancien président de la République à témoigner à l’audience. Un acte inédit qui a suscité de vifs débats entre juristes, notamment sur sa constitutionnalité. Dans sa tribune dans le Monde, Julien Jeanneney évoque plusieurs hypothèses : soit Nicolas Sarkozy se mure dans le silence, par exemple au titre du secret professionnel, soit il témoigne et se dénonce comme seul responsable. Ce qui ne pourrait pas, au titre de son irresponsabilité prise pour acquise dans la procédure, lui valoir de poursuite… mais pourrait cependant permettre la relaxe des prévenus. Son témoignage est prévu pour le 2 novembre.