Vous nous demandez quelles procédures judiciaires visent actuellement Philippe Poutou et Anasse Kazib, candidat et ex-candidat à la présidentielle. La semaine dernière, les deux figures politiques d’extrême gauche, représentants du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) pour l’un et du parti Révolution permanente pour l’autre, ont expliqué sur leurs réseaux sociaux respectifs avoir été convoqués par la police.
Philippe Poutou pour «injure publique envers une administration publique»
Le lundi 7 mars, le NPA a publié un communiqué en demi-teinte : «Philippe Poutou : officiellement candidat… et convoqué par la police.» Le texte célèbre d’abord l’obtention des 500 parrainages nécessaires pour briguer le plus haut poste de l’Etat, puis dénonce la procédure qui vise le candidat. «Notre campagne officielle débute d’une manière qui, symboliquement, en dit long : Philippe Poutou a en effet récemment reçu une convocation pour être auditionné par la police, le 8 mars, [en qualité de suspect] dans le cadre d’une enquête pour “injure publique envers une administration publique”. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin semble donc avoir mis ses menaces à exécution.»
[Communiqué]
— Philippe Poutou (@PhilippePoutou) March 7, 2022
Philippe Poutou officiellement candidat... et convoqué par la police https://t.co/2Qb8rmkw9a pic.twitter.com/sqimDGXnRI
Le chef des forces de l’ordre avait en effet annoncé porter plainte contre Philippe Poutou, suite aux propos tenus le 13 octobre dernier, sur France Info, par le conseiller municipal de Bordeaux. Reçu dans l’émission Votre invité politique et interrogé au sujet des violences policières, il avait répondu : «Evidemment la police tue.» Avant de préciser : «Il y a une violence policière. Après on peut discuter [de savoir s’il s’agit d’] assassinats, meurtres, bavures ou légitime défense. Mais on le sait, on le voit, il y a assez de vidéos […]. Quand on est manifestants, on n’est pas protégé par la police, on est agressé, attaqué. La police mutile. Combien de mains arrachées, de visages défigurés, de gens en garde à vue alors qu’ils n’ont rien fait. Il y a une véritable violence policière. Il y a une police armée, surarmée, elle est dangereuse.» Une déclaration sur laquelle CheckNews s’était penché.
Le lendemain de son passage en plateau, Gérald Darmanin déclarait dans un tweet : «Les propos de M. Poutou envers la police sont insultants et indignes d’un élu de la République. Au nom du ministère, et pour défendre l’honneur de tous les policiers, je dépose plainte.»
Le communiqué du 7 mars indique cependant, plus loin dans le texte, qu’après avoir fait l’annonce des 500 parrainages le 3 mars, «[la convocation avait] été “reportée”, sans plus de précision». Une situation confirmée face à la presse dès le lendemain. Auprès de CheckNews, Philippe Poutou précise : «J’ai d’abord eu un coup de fil de la police pour fixer la date de l’audition libre, puis une convocation par mail, qui apparaît dans notre communiqué de lundi soir. Enfin, le service de police qui devait m’auditionner (en audition libre) m’a laissé un message vendredi 4 mars, fin de matinée, pour dire que l’audition était annulée et repoussée à une date ultérieure. Ils m’ont gentiment expliqué vouloir me laisser mener la campagne, me souhaitant même une bonne campagne.» La convocation de Philippe Poutou a donc été reportée avant la publication du communiqué.
Contacté, le pôle communication de la police judiciaire atteste : «Nous avons une procédure judiciaire dans laquelle Philippe Poutou est nommé, la convocation montrée à la presse est réelle, et elle a été repoussée à une date inconnue à ce jour, y compris de nos services.» Concernant la raison de ce report, aucun commentaire, l’enquête étant toujours en cours. Même réponse du côté du parquet de Paris, qui confirme seulement que cette procédure fait bien suite à une plainte déposée par Gérald Darmanin.
Anesse Kazib pour «manifestation sur la voie publique sans déclaration»
Anasse Kazib, de son côté, a publié une vidéo le 8 mars sur Twitter où il indique sortir du commissariat du Ve arrondissement, dans lequel il a récupéré sa convocation «pour une “composition pénale” [procédure permettant au procureur de la République de proposer une sanction à l’auteur des faits pour éviter un procès, ndlr] chez le procureur le 18 mai à 15h». Le candidat ouvrier indique dans la légende de cette vidéo : «C’est incroyable cette répression d’Etat contre des militants politiques. Encore tout mon soutien à Philippe Poutou qui est dans la même situation.»
Dans les faits, l’ancien candidat à la présidentielle, stoppé dans sa campagne à défaut d’un nombre de parrainages suffisant, n’est pas poursuivi pour les mêmes raisons, ni via la même procédure. Le candidat ouvrier est «soupçonné d’avoir commis ou tenté de commettre l’infraction d’organisation d’une manifestation sur la voie publique sans déclaration». Il rappelle la raison face caméra : «C’est dingue ce niveau de répression pour des prises de paroles devant la Sorbonne le 9 février dernier.»
⭕️ Je viens de récupérer ma convocation au commissariat du 5ème pour une « composition pénale » chez le procureur le 18 mai à 15h. C’est incroyable cette répression d’Etat contre des militants politiques. Encore tout mon soutien à Philippe Poutou qui est dans la même situation. pic.twitter.com/mJOpVyiaqe
— Anasse Kazib (@AnasseKazib) March 8, 2022
Ce jour-là, Anasse Kazib était invité à donner une conférence à la Sorbonne, comme l’ont été plusieurs autres candidats à la présidentielle : Yannick Jadot, Jean-Luc Mélenchon et Christiane Taubira s’y sont rendus dans les semaines précédant et suivant la date de son intervention, le 9 février. Des menaces de l’extrême droite (des affiches insultant le candidat collées dans tout le quartier Latin, une vidéo de l’ex-porte-parole du mouvement Génération identitaire appelant à empêcher l’événement) l’ont poussé, lui et son entourage, à faire un appel à soutien, invitant ceux qui le souhaitaient à se rendre à l’événement. Le jour venu, la salle prévue par le syndicat étudiant Le poing levé, organisateur de la rencontre, se révèle trop petite pour la foule pressée aux portes de l’université. Cette dernière «refuse», selon Anasse Kazib, de rendre disponible un amphi plus grand. Pour ne pas faire de déçus, le candidat prend donc la parole à l’extérieur, devant le rassemblement. Un événement relaté dans cet article de Libération, publié fin février, lorsque le candidat avait appris être convoqué suite à cet épisode.
Accompagné de son avocate, Anasse Kazib s’est donc rendu à une convocation en audition libre, le 3 mars dernier. «Nous avons gardé le silence durant la totalité des questions, indique-t-il à CheckNews. Mon conseil a fait une simple déclaration à la fin de l’audition pour dénoncer cette intimidation policière et cette cabale politique.» Auprès de nous, il dénonce «l’acharnement du parquet» qui a choisi, suite à cette audition libre, de lui imposer une convocation pour une composition pénale «au lieu d’abandonner les poursuites». Des propos qu’il développait déjà dans la vidéo postée sur les réseaux sociaux : «La composition pénale c’est quand tu reconnais les faits durant l’audience et qu’on ne veut pas te permettre d’avoir un procès, c’est un subtil dérivé pour t’empêcher de pouvoir t’exprimer dans un tribunal.»
Son avocate précise à CheckNews que c’est, en réalité, à l’issue de la composition pénale que le candidat sera invité à reconnaitre les faits ou non. «Et ce sera non, un appel à soutien n’a rien à voir avec l’organisation d’une manifestation. C’est difficilement discutable qu’on est dans le cadre d’un choix politique de la part du procureur», martèle Me Elsa Marcel. «La composition pénale est une alternative aux poursuites. A l’issue de cet entretien, le procureur va nous proposer une sanction – a priori 1500 euros d’amende – que l’on va refuser de manière très claire.» Le procureur pourra alors engager un procès.
Le parquet de Paris confirme seulement que l’intéressé est convoqué le 18 mai devant un délégué du procureur en vue de se voir notifier une composition pénale, pour des faits prévus à l’article 431-9 du code pénal. Une procédure habituelle suite à la commission d’une infraction pénale, en l’occurrence un délit : la police en a référé à l’autorité judiciaire, qui y apporte une réponse.
«C’est moi qu’on a menacé, qu’on a insulté, regrette cependant le candidat. Des groupes d’extrême droite ont appelé leurs militants à empêcher l’événement mais ne sont pas convoqués, et moi, qui ai appelé à se rendre à l’événement en réponse à leurs menaces, je suis poursuivi ?»