«La bonne sœur qui plaque un écologiste… du grand spectacle en Ardèche», a tweeté lundi 16 octobre le journaliste de France 3 Rhône-Alpes Léo Chapuis. Sa vidéo a été vue par plus de deux millions d’internautes. Les images ont été filmées le matin même par son collègue Nicolas Ferro, alors que les deux journalistes couvraient la mobilisation de religieuses ayant formé une chaîne humaine pour protéger les travaux de construction d’un grand centre religieux catholique à Saint-Pierre-de-Colombier, un village ardéchois.
Dommages irréversibles
Réclamant pour leur part l’arrêt du chantier, des militants écologistes s’étaient également réunis, dont certains sont parvenus à se faufiler dans l’enceinte du site. La tension est vite montée entre bonnes sœurs et écolos, et cette double action aux revendications diamétralement opposées a viré à l’affrontement : dès 8 heures, les deux camps en sont venus aux mains, relate l’article ensuite publié par France 3. Les altercations ont duré près d’une heure, avant que le calme ne revienne.
Énorme ! La bonne sœur qui plaque un écologiste… du grand spectacle en Ardèche où des religieuses défendent le chantier d’un futur centre religieux face aux militants qui bloquent à cause de l’impact sur l’environnement.
— Léo Chapuis (@leo_chapuis) October 16, 2023
🎥 @ferro_nicolas
☝️plaquage non réglementaire pic.twitter.com/3wSyO7s3LO
La discorde autour de l’édification de ce centre religieux a débuté en 2019. La communauté de la Famille missionnaire de Notre-Dame, qui a été fondée à Saint-Pierre-de-Colombier et y reçoit déjà des pèlerins, a annoncé son intention d’agrandir ses capacités d’accueil. Le projet comprend donc la construction d’un vaste bâtiment d’accueil, mais aussi d’une nouvelle église. Imposante elle aussi puisque, d’après les plans, quelque 3 500 fidèles pourraient se réunir dans cette église dont les clochers s’élèveraient à 50 mètres de haut.
Dès l’annonce du projet, des habitants et des élus de la vallée s’y sont opposés, le jugeant démesuré. Puis l’association des Ami.es de la Bourges (du nom de la vallée) s’est mobilisée, estimant que ces constructions, doublées de l’arrivée massive de pèlerins, pourraient causer des dommages irréversibles à l’environnement. De nombreuses manifestations ont donc été organisées, et une ZAD avait même commencé à se mettre en place en juin 2020. Cette mobilisation a ainsi abouti à ce que, en octobre de la même année, l’Etat fasse stopper le chantier.
La pause a duré un peu plus de deux ans. Mais les travaux ont repris fin 2022, dans la foulée du feu vert donné par la préfecture de l’Ardèche, après obtention des études d’impact qui manquaient jusque-là. Rien légalement ne s’opposait à la reprise du chantier : les recours en justice par ailleurs lancés par les opposants au projet n’avaient pas abouti. Mais désormais, les militants s’inquiètent de la présence sur le site d’une plante protégée, le réséda de Jacquin, comme l’ont constaté le conservatoire botanique national et l’office de la biodiversité au printemps dernier.
Inquiétudes de la Miviludes
L’association des Ami.es de la Bourges a donc déposé plainte mercredi 11 octobre pour destruction d’espèce protégée. Le lendemain, une dizaine de militants sont venus bloquer les engins de chantier, et deux d’entre eux se sont enchaînés à une pelleteuse, ont rapporté les médias locaux. La préfète d’Ardèche avait répondu à cette manifestation en annonçant la tenue d’une réunion avec les différentes parties du projet jeudi 19 octobre. Mais les écologistes avaient prévenu : ils se réservaient le droit d’intervenir à nouveau pour arrêter les travaux s’ils reprenaient d’ici là.
De son côté, la Famille missionnaire de Notre-Dame ne s’exprime pas auprès des médias. Mais elle fait l’objet d’une surveillance par l’Eglise, qui est allée jusqu’à l’envoi par le Vatican d’un émissaire pour contrôler le fonctionnement de la communauté catholique. D’ailleurs, l’évêque de Viviers (diocèse dont la congrégation dépend) avait pris, en septembre 2020, un décret pour interdire la construction du nouvel édifice religieux à Saint-Pierre-de-Colombier. Une décision ensuite confirmée par le Vatican, en vain.
En outre, la Famille missionnaire de Notre-Dame suscite aussi des inquiétudes au sein de la Miviludes, la mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires. Dans son rapport d’activité 2018-2020, la Miviludes indique que la communauté «a fait l’objet depuis 2018 d’une dizaine d’interrogations et [de] trois témoignages très circonstanciés qui soulèvent des inquiétudes sérieuses». Ces témoignages évoquent le recrutement de personnes jeunes, manquant de maturité et de discernement («de jeunes adultes peu structurés, à la personnalité malléable, n’ayant pas encore aiguisé leur esprit critique»). La congrégation exercerait une limitation drastique des contacts entretenus par les membres avec l’extérieur et même avec leur propre famille. Les témoignages font aussi état de difficultés d’accès aux soins médicaux, d’une manipulation des membres, notamment par les confesseurs, et d’un culte de la personnalité autour du dirigeant de la communauté. Certaines personnes travaillant en interne seraient également très peu, voire pas du tout, rémunérées et mal nourries. Enfin, un harcèlement financier serait à l’œuvre auprès des fidèles, en vue d’obtenir des fonds.