Par douze voix contre dix, la proposition de destitution d’Emmanuel Macron, voulue par la France insoumise, a été jugée recevable par le bureau de l’Assemblée nationale mardi 17 septembre. Une première étape franchie dans l’histoire de la Ve République, même si elle a peu de chance d’aboutir au regard de la distribution des forces politiques au Parlement.
Estimant que le président de la République devait être destitué «en raison du manquement manifestement incompatible avec l’exercice de ses fonctions que constitue l’absence de nomination d’un Premier ministre issu de la force politique arrivée en tête aux élections législatives du 30 juin et 7 juillet 2024, et ce alors que la démission officielle du gouvernement date du 16 juillet 2024», le groupe parlementaire insoumis a enclenché une procédure de destitution, prévue par l’article 68 de la Constitution et la loi organique n° 2014- 1392 du 24 novembre 2014. Cette proposition a fait l’objet de débat interne à la gauche, et finalement les socialistes ont donné leur feu vert pour que la proposition soit jugée recevable.
«Responsabilité»
Une autorisation qui ne vaut pas approbation, a néanmoins précisé Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste. «Juger recevable une résolution, accepter d’en débattre n’est pas l’approuver. Cette procédure qui requiert deux tiers des votes dans les deux assemblées n’aboutira pas, chacun le sait. Et au final, ce rejet offrira au [président de la République] une relégitimation qu’il ne mérite pas», a écrit le patron des socialistes sur X.
Si la nouvelle a été saluée par La France insoumise, vantant un «événement inédit» selon la députée Mathilde Panot, elle a indigné les partis acquis à Emmanuel Macron. Son ancien Premier ministre Gabriel Attal a ainsi qualifié ce projet de «farce» et de «déclaration de guerre à nos institutions», rapporte France Info. La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, a repris Olivier Faure, en lui rappelant qu’en novembre 2016, lors d’une procédure de destitution lancée contre François Hollande, son prédécesseur, le socialiste Claude Bartolone, insistait sur le fait que «le bureau [de l’Assemblée nationale] a une responsabilité particulière. Il ne peut agir comme un simple “bureau d’enregistrement”. Il est de la responsabilité des membres du bureau de juger du caractère sérieux des motifs invoqués et de vérifier s’ils sont susceptibles de caractériser un manquement au sens de l’article 68 de la Constitution».
Non !
— Yaël Braun-Pivet (@YaelBRAUNPIVET) September 17, 2024
« Le Bureau a une responsabilité particulière. Il ne peut agir comme un simple « bureau d’enregistrement ».
Il est de la responsabilité des membres du Bureau de juger du caractère sérieux des motifs invoqués et de vérifier s’ils sont susceptibles de caractériser un… https://t.co/ktHpDHbBgy
A droite, le président du parti Les Républicains, Eric Ciotti, allié de Marine Le Pen lors des élections législatives provoquées par la dissolution de l’Assemblée nationale, a annoncé qu’il s’était opposé à la proposition de LFI. «J’ai exprimé en réunion du bureau de l’Assemblée nationale mon opposition totale à cette procédure de destitution, tout en étant un opposant farouche au président de la République. Cette procédure initiée par LFI est une procédure de déstabilisation de nos institutions», a assuré le député des Alpes-Maritimes, ajoutant qu’«au-delà de la personne du président de la République, ce sont nos institutions, celles de la Ve République, qui sont visées et qui ont pour but, aujourd’hui très clairement, de procéder à une forme de coup d’Etat politique d’une minorité qui a choisi la violence en politique».
La procédure de destitution d'@EmmanuelMacron jugée recevable par le Bureau de l'Assemblée nationale : @eciotti dénonce une "procédure de déstabilisation de nos institutions" lancée par une "minorité qui a choisi la violence en politique".#DirectAN pic.twitter.com/U9IkPOUy6u
— LCP (@LCP) September 17, 2024
Huit ans plus tôt, en 2016, le même Eric Ciotti se montrait pourtant plus «farouche» lors de la procédure de destitution visant François Hollande. Le 4 novembre 2016, suite à la publication par le Monde de documents classifiés obtenus par les journalistes Gérard Davet et Fabrice Lhomme, dans le cadre de leur livre Un président ne devrait pas dire ça… revenant sur le quinquennat de François Hollande, Eric Ciotti avait même saisi le procureur le procureur de la République, François Molins.
A l’Assemblée nationale, le groupe parlementaire LR avait traduit son indignation par le dépôt d’une proposition de destitution contre le président de la République. Christian Jacob, président du groupe, expliquait alors que les députés de droite avaient déclenché la procédure de destitution «sur la base de l’article 68 de notre Constitution, parce que nous considérons que le président de la République a manqué à ses responsabilités, vu ce qui est publié dans le livre sur différentes opérations, des rançons, des cartes classées secret-défense. Non, un président ne peut pas tout dire».
Mais comme l’expliquait alors Libération, ce projet n’avait aucune chance d’aboutir pour cause de manque de majorité de droite au Parlement, et aussi en raison du calendrier très serré de l’époque. Comme le prédisait alors le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier, la manœuvre des députés de droite avait échoué aux portes du bureau de l’Assemblée nationale qui l’avait jugée irrecevable. Par treize voix contre huit, il avait voté contre la procédure.
«Motivation très mauvaise»
En quoi les situations de 2016 et de 2024 sont différentes ? Joint par CheckNews, Jean-Philippe Derosier indique que «les procédures en 2016 et en 2024 sont identiques, mais [que] la configuration politique est différente». En 2016, la majorité présidentielle socialiste était en mesure de dire que la procédure visant François Hollande était irrecevable, «tandis qu’en 2024, le courant présidentiel est minoritaire au bureau».
Sur le fond du droit, le professeur de droit public à l’Université de Lille estime qu’«en 2016, le manquement n’était pas même “qualifiable”. Les faits allégués ne sauraient relever d’un manquement manifestement incompatible avec l’exercice du mandat». Dans le cas de la procédure visant Emmanuel Macron, il considère qu’«en 2024, les faits allégués pourraient être caractérisés de manquement, même si nous ne sommes pas très loin du détournement de pouvoir non plus car la motivation de LFI est très mauvaise : elle reproche au président de la République d’avoir refusé de nommer une personnalité en particulier [Lucie Castets, ndlr], ce qui peut être une décision purement politique».