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Quand le think tank de La France insoumise recevait Laurence Tubiana

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La France insoumise juge l’économiste trop proche des macronistes pour pouvoir devenir la Première ministre du Nouveau Front populaire. En janvier, l’Institut La Boétie, coprésidé par Jean-Luc Mélenchon, l’avait reçue pour parler de transition écologique.
Laurence Tubiana, à Washington, le 17 avril 2024. (Celal Gunes/Anadolu via AFP)
publié le 16 juillet 2024 à 17h47

Laurence Tubiana à Matignon ? Soumis par le Parti socialiste, les Ecologistes et le Parti communiste, le nom de l’économiste, connue pour son rôle de «diplomate pour le climat», a été rejeté par La France insoumise et ses militants. Une proposition jugée «pas sérieuse», ce mardi matin sur France 2, selon le coordinateur de LFI, Manuel Bompard, qui rappelle que Laurence Tubiana «signait il y a quatre jours une tribune, dans laquelle elle appelait à constituer une coalition et un programme commun avec les macronistes». Une référence à une tribune du Monde appelant le NFP à «tendre la main aux autres acteurs du front républicain». Selon lui, cette proposition reviendrait à «faire rentrer par la fenêtre les macronistes chassés par les électeurs et les électrices». Autre grief : le nom de l’économiste aurait déjà été évoqué lors de précédents remaniements du premier quinquennat de Macron.

«Lieu de débat économique accessible à toutes et tous»

Sur les réseaux sociaux, des observateurs rappellent, face au blocage insoumis, que l’économiste a été reçue, pas plus tard qu’en janvier, aux «journées économiques» de l’Institut La Boétie, le think tank de La France insoumise. Ce dernier étant coprésidé par Jean-Luc Mélenchon.

Cette invitation place-t-elle forcément Laurence Tubiana sur une ligne LFI ? Certains insoumis rétorquent que leur mouvement avait également invité Rachida Dati en 2022 à débattre aux Amfis, les universités d’été de La France insoumise, sans que cela ne fasse d’elle une insoumise.

De fait, les «journées économiques» de l’Institut La Boétie, même si elles regroupent majoritairement, sur scène, des soutiens du mouvement, n’ont pas convié exclusivement des personnalités acquises à leur cause. Sur le papier, cet évènement se présente comme «un lieu de débat économique de fond, exigeant mais accessible à toutes et tous, en y associant des économistes de différentes écoles de pensées, syndicalistes, hauts fonctionnaires, parlementaires ou dirigeant·e·s d’entreprise». Comme le résume le Monde, en février, ce groupe de réflexion «parvient à attirer des chercheurs de tous horizons» tout en servant «d’écurie au mouvement».

«Spécialistes prestigieux»

Parmi les vingt invités des «journées économiques» des 13 et 14 janvier, on retrouve ainsi treize intervenants (parmi lesquels des députés LFI) qui ont ouvertement salué le programme économique du Nouveau Front populaire (Manon Aubry, Eric Berr, Jézabel Couppey-Soubeyran, Laurent Cordonnier, Cédric Durand, Elvire Guillaud, Nadine Levratto, Mathilde Panot, Aurélie Trouvé, Matthias Tavel, Michaël Zemmour, Gabriel Zucman, Danièle Linhart). Cinq ont, pour leur part, ouvertement critiqué le NFP (Olivier Blanchard, Jean-Marc Daniel, Pascal Saint-Amans, Christian Saint-Etienne, Jean Pisani-Ferry). Dans l’Opinion, le 21 juin, l’ancien économiste du FMI Olivier Blanchard a notamment qualifié le programme économique du NFP de «dangereux».

Deux, enfin, Anton Brender et Laurence Tubiana, n’ont pas eu d’expression publique vis-à-vis du NFP. Lors de la première journée, les intervenants avaient été présentés comme étant des «spécialistes prestigieux» de leurs disciplines, par l’économiste et coanimateur du département d’économie de l’Institut La Boétie, Eric Berr.

Introduite comme «professeure à Sciences-Po Paris et à l’université Columbia, et fondatrice de l’Institut du développement durable et des relations internationales», Laurence Tubiana était invitée d’une table ronde autour du thème «Financer la bifurcation écologique et remettre en question la croissance ?». Animée par le journaliste Christian Chavagneux du média Alternatives économiques, la discussion comptait comme intervenants Mathilde Panot, alors présidente du groupe LFI-Nupes à l’Assemblée nationale, ainsi que les économistes Jean Pisani-Ferry (ancien commissaire général de France Stratégie de 2013 à 2017), senior fellow au think tank Bruegel et professeur à Sciences-Po Paris) et Cédric Durand (professeur au département d’histoire, économie et société à l’université de Genève).

Transformation des emplois liés à la transition

L’échange entre les quatre intervenants est cordial. Les interventions de Laurence Tubiana portent sur les inégalités climatiques entre pays plus ou moins avancés et les îles particulièrement vulnérables. Elle insiste sur l’importance du financement public et des mécanismes fiscaux internationaux, car le financement privé ne suffira pas, selon ses explications. A la fin de la discussion, Mathilde Panot fait référence à une intervention de Laurence Tubiana, qui portait sur la transformation des emplois liés à la transition écologique en Allemagne et le besoin de protection notamment syndicale pour les travailleurs des nouveaux secteurs. La députée affirme avoir pris en considération cet aspect lorsque les insoumis ont fait une proposition de loi sur la bifurcation écologique.

Parmi les trois économistes qui entourent alors Mathilde Panot, celui qui apparaît comme étant le plus proche de la macronie est Jean Pisani-Ferry, puisqu’il était considéré comme «le monsieur calculette de Macron», ayant inspiré son programme économique en 2017. Depuis, il a pris ses distances avec le parti de la majorité, notamment via une note en juin 2018 où il critiquait la droitisation de la macronie. A la demande d’Elisabeth Borne, Jean Pisani-Ferry a remis en mai 2023 un rapport évaluant les impacts macroéconomiques de la transition écologique dans lequel il plaide pour un «prélèvement exceptionnel, explicitement temporaire […] qui pourrait être assis sur le patrimoine financier des ménages les plus aisés». Un ISF vert balayé par Emmanuel Macron, pour qui, «il est important d’éviter le piège à la con du débat sur la fiscalité des riches».

Si elle n’a jamais accepté de poste actif dans l’exécutif, Laurence Tubiana a pu accompagner certains projets sous Emmanuel Macron. Ainsi elle siège en tant qu’économiste au Haut Conseil pour le climat, créé en novembre 2018. Et elle a été coprésidente du comité de gouvernance de la Convention citoyenne pour le climat, initiée en 2019 après le grand débat provoqué par le mouvement protestataire des gilets jaunes. En 2022, elle soulignait le «leadership mondial» de Macron en termes de financement climatique. Ce qui ne l’a pas empêché, avant cela, de se montrer critique du gouvernement. En juillet 2020, elle estime ainsi dans le Monde que le gouvernement Castex n’incarne pas «le changement écologique auquel aspire le pays». Sollicité, l’Institut La Boétie n’a pas donné suite.

Suite à la publication de cet article, Manuel Menal, le secrétaire général de l’Institut La Boétie a répondu à CheckNews, en soulignant la variété «des intellectuels d’écoles de pensée et orientations politiques très différentes» à ses journées économiques, «comme Jean-Marc Daniel (qui défend la privatisation de la Sécurité sociale et la suppression du statut de la fonction publique), Olivier Blanchard (ex-chef économiste du FMI qui s’est qualifié de macroniste et s’est opposé au programme économique du NFP), et effectivement Laurence Tubiana (ainsi que de nombreux autres)». Selon lui, ils ont été invités «car ce sont des intellectuels de qualité, avec lesquels il est intéressant de débattre publiquement. Leur participation ne valait évidemment pas soutien politique à notre famille de leur part, et réciproquement ».

Article mis à jour le 16 juillet 2024, à 21h00: ajout de la réaction de l’Institut La Boétie.