De Castets à Cazeneuve, bien des candidats au poste de Premier ministre ont été évincés par Emmanuel Macron au motif du risque d’une «censure immédiate» par une majorité de députés. La nomination de Michel Barnier tient au fait que le Rassemblement national a écarté, dans son cas, l’idée d’une «censure de principe». Dans ce contexte, une question a été plusieurs fois adressée à CheckNews ces derniers jours : alors que le Nouveau Front populaire a d’ores et déjà annoncé sa volonté de censurer l’ancien commissaire européen, sous quels délais une motion pourrait être proposée au vote des députés ?
Un dépôt possible «dès la première minute d’une session parlementaire»
De l’avis de la plupart des constitutionnalistes interrogés, une motion de censure visant un gouvernement «peut être déposée dès la première minute de l’ouverture d’une session parlementaire». «Il n’y a aucun délai prévu par les textes entre la nomination du gouvernement et la possibilité de déposer une motion de censure», constate par exemple le professeur de droit public à l’université de Toulouse 1 Capitole Mathieu Carpentier.
La session parlementaire ordinaire doit débuter le 1er octobre. Mais «une session parlementaire extraordinaire peut être convoquée par le président de la République», note le professeur de science politique à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne Bastien François, qui ajoute que «de nombreux partis demandent qu’une telle session extraordinaire soit organisée, mais rien n’oblige le Président sur ce point.»
A lire aussi
Auprès de CheckNews, le constitutionnaliste Didier Maus s’interroge dans un premier temps sur la possibilité théorique qu’une motion de censure puisse être déposée «même lorsque l’Assemblée nationale ne siège pas» – les députés signataires transmettant la motion au président de la chambre basse, qui convoquerait alors une session extraordinaire pour les débats. Toutefois, l’argument d’un de ses confrères – selon lequel la Constitution limite le nombre de motions de censure signées au cours d’une même session ordinaire et d’une même session extraordinaire, et donc que la signature «doit intervenir au cours d’une session» – lui semble «a priori, tout à fait sensé».
Peut-on faire tomber un Premier ministre doté un gouvernement démissionnaire ?
Lorsque nous évoquons auprès de nos interlocuteurs le cas théorique de députés qui souhaiteraient censurer un Premier ministre avant même qu’il n’ait nommé des ministres, les avis divergent. Pour Mathieu Carpentier, cette censure ne saurait concerner le Premier ministre seul : «La nomination du Premier ministre ne met pas fin aux fonctions du gouvernement démissionnaire, qui expédie les affaires courantes jusqu’à la publication du décret relatif à la composition du nouveau gouvernement. Pour l’instant, donc, M. Barnier ne peut faire l’objet d’une motion de censure, car il n’a pas encore de gouvernement.» Et d’insister sur le fait que «la responsabilité du gouvernement est collective. Il n’y a pas de responsabilité individuelle des ministres. Y compris du Premier ministre. On ne saurait donc renverser le seul Premier ministre. Et voter une motion de censure contre un gouvernement démissionnaire n’est pas possible car le seul effet d’une motion de censure est… de rendre le gouvernement démissionnaire.» En revanche, «dès la signature du décret relatif à la composition du gouvernement, une motion de censure le visant pourra être déposée dans la minute qui suit.»
Le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier estime que la position de son homologue «peut se défendre, à partir d’une lecture littérale de la Constitution» : «en effet, l’article 8 distingue le Premier ministre et le gouvernement, tandis que l’article 49 ne mentionne que le gouvernement. Donc, littéralement, tant qu’un gouvernement n’est pas nommé, il ne peut être censuré», concède-t-il. «Cependant, dès lors que le Premier ministre est nommé, une (première) transition gouvernementale me semble être faite. Dès lors que le Premier ministre “dirige l’action du gouvernement, est responsable de la défense nationale, assure l’exécution des lois”, son action et ses compétences peuvent s’exercer dès sa nomination, au nom du gouvernement. Et, par conséquent, sa responsabilité peut bien être engagée par le dépôt d’une motion de censure.» En d’autres termes, selon lui, «à partir du moment où le Premier ministre est nommé, il peut lui faire l’objet d’une motion de censure». Une position partagée par Didier Maus, et à laquelle souscrivait également, spontanément, Bastien François. Toutefois, après de longs échanges avec son homologue Mathieu Carpentier, il concède que ce dernier a certainement «raison»... «Mais s’il a raison, c’est très problématique, cela voudrait dire qu’en l’absence de gouvernement constitué, le Premier ministre est irresponsable.»
Le discours de politique générale n’est pas un prérequis
Un dernier point semble toutefois clair : il n’est nul besoin d’attendre que le Premier ministre présente une déclaration de politique générale pour que des députés déposent une motion de censure. Même si, en pratique, c’est souvent à cette occasion – c’est-à-dire après avoir entendu formuler le plan d’action du gouvernement, et non par principe – qu’une motion de censure peut être présentée. Ce fut ainsi le cas à l’été 2022 contre le gouvernement d’Elisabeth Borne, qui n’avait pas été renversé.
A noter également que, si l’article 49 alinéa 1 de la Constitution explique que le Premier ministre «engage devant l’Assemblée nationale la responsabilité du gouvernement sur son programme ou éventuellement sur une déclaration de politique générale», cette disposition n’a rien d’automatique. Dans une fiche dédiée à «La mise en cause de la responsabilité du gouvernement», le site de l’Assemblée nationale précise en effet que «l’engagement de responsabilité n’est pas obligatoire lors de l’entrée en fonction d’un gouvernement». Et constate que «certains gouvernements, par conséquent, n’y ont jamais eu recours». La présentation d’un discours de politique générale devant l’Assemblée n’a, par ailleurs, rien d’obligatoire.
Le dépôt d’une motion de censure nécessite la signature d’au moins un dixième des députés (58 élus). Une fois le texte déposé, le président de l’Assemblée nationale notifie la motion au gouvernement et la rend publique. La discussion de ce texte dans l’hémicycle et sa mise au vote surviennent après un délai minimum de 48 heures après son dépôt. Selon l’article 154 du règlement de l’Assemblée, les débats peuvent durer au maximum trois jours. Pour renverser le gouvernement, la motion de censure doit être approuvée à la majorité absolue, soit par un minimum de 289 députés.