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Que sait-on de cette vidéo montrant une dizaine de brancards bloqués devant les urgences à Perpignan ?

Une vidéo montre une file de brancards patientant face à l’entrée des urgences du centre hospitalier de Perpignan, samedi 30 septembre. «Epiphénomène» contre «situation récurrente», les versions s’opposent.
Capture d'écran de la vidéo diffusée par la CGT Sdis 66. (CGT Sdis 66)
publié le 4 octobre 2023 à 19h00

Sur la vidéo, neuf brancards alignés, avec à leurs côtés des pompiers qui attendent que les patients soient pris en charge par les urgences. Et tout au bout de la file, un dixième en train d’être sorti d’un véhicule de secours. En fond sonore, l’agacement d’une voix masculine : «Et quand il n’y en a plus, il y en a encore.» La séquence a été diffusée dimanche 1er octobre sur Facebook par la CGT du Sdis 66 (Service départemental d’incendie et de secours des Pyrénées-Orientales), accompagnée de ce commentaire : «Bienvenue aux urgences du centre hospitalier de Perpignan.»

Pendant que nos élites se goinfrent à Versailles la plèbe souffre en silence.😤😡 Bienvenus aux urgences du centre hospitalier de Perpignan 🚑 L'Indépendant Midi Libre Perpignan CGT Hôpital de Perpignan viàOccitanie Le Journal Catalan CGT des SDIS France Bleu Roussillon Département des Pyrénées-Orientales Sapeurs-Pompiers - SDIS 66 Préfet des Pyrénées-Orientales Actu Perpignan Perpignan Infos Franceinfo France 3 Occitanie Made In Perpignan Hermeline Malherbe CH Perpignan TF1 France 2 BFMTV CNEWS Gerald Darmanin

Posted by CGT SDIS 66 on Sunday, October 1, 2023

Pour relayer ces images, le syndicat de pompiers en appelait aux médias locaux, dont le quotidien régional l’Indépendant, qui a été le premier à publier un article à ce sujet, lundi en fin de journée. La vidéo est ensuite devenue virale lorsqu’elle a été partagée sur Twitter par des comptes de «flashs actu» aux centaines de milliers d’abonnés, Anonyme Citoyen d’abord, puis Mediavenir ou Brèves de presse. Elle a également fait réagir le député La France insoumise de l’Hérault, Sébastien Rome, qui y voit la conséquence de «la politique de casse de l’hôpital». Et est remontée jusqu’à la mairie de Perpignan – dont l’édile issu du Rassemblement national, Louis Aliot, s’est exprimé en dénonçant les «dysfonctionnements» qui affectent «toute la chaîne des urgences».

«Pression sur le personnel»

En rendant publique cette vidéo, la CGT Sdis 66 s’est contentée de se positionner en «lanceuse d’alerte», assure à CheckNews son secrétaire général Christophe Garcia, qui ne souhaite plus s’exprimer sur le sujet. Auprès de l’Indépendant, il déplorait lundi : «Une dizaine de brancards alignés les uns derrière les autres, sans prise en charge directe, on n’avait jamais vu ça.»

L’auteur des images les a transmises anonymement aux syndicalistes du Sdis, nous indique-t-on. On ne sait donc pas s’il s’agit d’un pompier ou d’un individu présent ce jour-là aux urgences. Tout juste peut-on dire que la vidéo a été tournée sur les coups de 15 heures, samedi 30 septembre.

Sur les questions d’organisation des soins, la CGT Sdis 66 préfère passer la main à l’union départementale CGT 66 Santé et action sociale. Celle-ci s’est fendue de deux communiqués, en début de semaine, pour alerter quant à la «situation critique» du service d’urgences du centre hospitalier de Perpignan. «La pression sur le personnel médical, paramédical et les ressources disponibles atteint un niveau alarmant, mettant en péril la qualité des soins et la sécurité des patients», déplore-t-elle. De plus, «ces manques de moyens humains et de locaux impactent directement l’organisation des pompiers et des ambulances, qui peinent à déposer les victimes aux urgences et repartir sur d’autres interventions». «Quand les patients sont sur les brancards, nous ne pouvons pas les soulager, détaillait Christophe Garcia à l’Indépendant. Et nous ne pouvons pas laisser une victime attendre seule. Nous restons donc sur place et, pendant ce temps, nous ne sommes pas sur le terrain des autres interventions.»

Record à «trente-six heures d’attente»

Les communiqués consultés par CheckNews soulignent par ailleurs que la file de brancards figurant dans la vidéo n’est pas un cas isolé. «Ce n’est malheureusement pas un épiphénomène mais une situation récurrente déjà signalée à plusieurs reprises, avec des situations d’attente sur le parvis allant jusqu’à quatre heures comme pour la journée du 6 février 2023», écrit l’USD CGT 66 Santé et action sociale. Joint par CheckNews, son secrétaire général Christophe Climaco expose : «Ça s’est déjà produit plusieurs fois. Ce n’est pas tous les jours qu’il y a une file à l’extérieur, mais le temps d’attente est déjà considérable d’habitude.»

Christophe Climaco précise ainsi, citant des données pour le mois d’août, qu’il fallait attendre «entre trente minutes et une heure trente» pour les patients transportés aux urgences par les pompiers, et «entre quatre et six heures» pour les personnes «lambda» (celles qui se rendent d’elles-mêmes aux urgences), avant de voir une première infirmière, chargée de «noter le degré de gravité et d’urgence de la situation». Sachant qu’ensuite, explique le syndicaliste, il faut encore patienter avant d’être examiné par un médecin.

Le temps d’attente total estimé est calculé par ordinateur et s’affiche sur les écrans des urgences. «A 16 heures hier [mardi 3 octobre, ndlr] les camarades de l’hôpital ont relevé dix heures et trente minutes d’attente», rapporte Christophe Climaco. A ce jour, le record s’élèverait ainsi à «trente-six heures d’attente». En février 2022, il avait même fallu que l’hôpital et les services de secours se coordonnent pour installer, sur le parking, des tentes hébergeant un poste médical avancé, afin d’espérer provisoirement faire face à l’afflux de patients et au manque de lits.

Pourtant, c’est bien le terme d’«épiphénomène» que retient Laurent Ortega, chef du pôle Urgences et médecine aiguë du centre hospitalier, pour caractériser les difficultés rencontrées samedi. «Entre 13 heures et 15 heures, nous avons eu un important afflux de patients, a-t-il relaté à nos confrères de l’Indépendant. Une trentaine d’ambulances sont arrivées d’un coup. Sans compter les patients qui venaient par leurs propres moyens. Cela nous a mis en difficulté. Nous nous sommes réorganisés, nous avons multiplié le personnel et nous avons repris le dessus.» Le médecin expliquait alors être «en train de faire le point» avec ses équipes «pour comprendre ce qu’il s’est passé».

Depuis, services publics comme autorités de tutelle ont gardé le silence sur cet épisode. «On ne donne pas suite à cette vidéo», qui a «possiblement été sortie de son contexte», nous a répondu le Sdis des Pyrénées-Orientales. La direction du centre hospitalier ainsi que la préfecture se sont d’office rangées derrière la position de l’Agence régionale de Santé (ARS) d’Occitanie, annonçant qu’elle publierait ce mercredi un communiqué. Finalement tombé en milieu d’après-midi, le texte réaffirme le soutien de l’ARS «au service des urgences du centre hospitalier de Perpignan et à l’ensemble de ses équipes», et répète que les images filmées samedi «ne sauraient être le reflet de la prise en charge habituelle dans ce service des urgences». Plus loin, l’ARS Occitanie met en avant les travaux qu’elle mène pour structurer «la prise en charge des soins urgents dans les Pyrénées-Orientales», ainsi que «le soutien financier significatif […] octroyé à cet établissement hospitalier» (5,4 millions d’euros dans le cadre du Ségur de la santé notamment).

Réagencement récent du service d’urgences

De leur côté, Christophe Climaco et son syndicat regrettent qu’il n’ait été donné aucune suite aux mises en garde sur les manques de moyens régulièrement adressées aux autorités depuis 2021. Après le réagencement du service d’urgences perpignanais mis en œuvre en juillet dernier, la CGT Sdis 66 avait, dans un courrier daté du 1er août, signalé au préfet des Pyrénées-Orientales que ces «mesures d’organisation […] ne peuvent pas trouver une efficacité si les effectifs des personnels hospitaliers et le nombre de brancards sont insuffisants». Un message que la CGT Hôpital de Perpignan avait, deux jours plus tard, fait remonter à la direction de l’établissement. Dans la lettre, transmise à CheckNews, on peut lire : «Renseignements pris auprès des personnels, les difficultés rencontrées sont induites par une carence en personnel médical d’une part et une réorganisation administrative d’autre part, majorant le temps d’attente dans la prise en charge.»

Pour Christophe Climaco, l’engorgement du centre hospitalier de Perpignan, le seul établissement public du département à comporter un service d’urgences, n’a donc pas été jugulé. Et il risque même d’empirer encore : «On vient d’apprendre la fermeture, à compter du 26 octobre, des urgences de nuit d’une clinique proche de l’hôpital. Ils vont mécaniquement avoir un surplus d’activité la nuit.»