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Que sait-on de la rumeur d’un accident de sous-marin nucléaire survenu fin août au large de la Chine ?

En dépit de l’affirmation par le tabloïd «Daily Mail» de l’existence d’un «rapport du renseignement britannique» en ce sens, la disparition d’un submersible n’a pas encore été corroborée de manière indépendante.
Port industriel de Qingdao, le 3 septembre 2023. (CFOTO/NurPhoto. AFP)
publié le 6 octobre 2023 à 16h18

Depuis fin août, de nombreux internautes et médias s’interrogent sur la disparition d’un sous-marin nucléaire de la république populaire de Chine, supposée être survenue dans la matinée du 21 août, occasionnant la mort de tout son équipage. L’affaire, qui est l’objet de nombreuses spéculations, a ressurgi ce mardi 3 octobre avec un article du Daily Mail. Le journal ffirme avoir eu accès à «un rapport secret» des services de renseignements britanniques, qui confirmerait qu’un accident serait survenu «le 21 août», en précisant son heure : «A 8h12, heure locale.» Selon le Daily Mail, le sous-marin aurait heurté une chaîne «utilisée par la marine chinoise pour piéger les sous-marins américains et alliés», conduisant à la mort de 55 membres d’équipage : «22 officiers, 7 élèves officiers, 9 officiers mariniers, et 17 marins.»

L’histoire a fait surface sur les réseaux sociaux, notamment taïwanais, le jour même du supposé évènement. Deux comptes, en particulier, participent alors à la viralité de l’information : celui de Li-Meng Yan, virologue controversée très critique du régime communiste chinois, et celui d’un opposant chinois exilé à New York, Lu De. Li-Meng Yan s’était fait connaître du grand public il y a trois ans en affirmant que les chinois avaient créé intentionnellement le Sars-CoV-2.

A l’époque, CheckNews avait consacré une longue enquête en 2020 à ces deux personnages, racontant l’exil rocambolesque de Li-Meng Yan vers les Etats-Unis, et la réputation sulfureuse de Lu De, féroce opposant au PCC et coutumier des fausses informations.

Démenti du ministère de la Défense chinois

CheckNews n’a pas été en mesure de vérifier que la virologue et son comparse étaient les sources primaires de la rumeur. Ce qui est sûr, c’est qu’ils ont fortement contribué à lui donner de l’écho et du crédit, en affirmant détenir des «documents officiels» confirmant la disparition – un briefing classifié de la commission militaire centrale du parti communiste chinois, selon Li-Meng Yan.

Divers détails ont ainsi été donnés par Lu De, qui a spécifié qu’il s’agissait d’un sous-marin d’attaque à propulsion nucléaire de type 09III, que l’accident était survenu dans le détroit de Taiwan, et que le sous-marin venait du port de Qingdao (sur la mer Jaune) et s’était échoué, légèrement plus au sud, au large de Lianyungang. «L’oxygène dans la cabine s’est épuisé, ce qui a entraîné la mort de tout l’équipage composé de 22 officiers militaires, 7 cadets, 9 sous-officiers et 17 soldats», a de son côté précisé Li-Meng Yan, le même décompte que le Daily Mail. L’accident, qui aurait donc coûté la vie à 55 personnes, trouverait son origine dans un dysfonctionnement de la chaîne de l’ancre du sous-marin.

Interrogé sur cette affaire dès le 22 août, le ministère de la Défense de Taiwan a déclaré ne pas avoir de preuve corroborant «la rumeur» qu’un sous-marin se serait échoué dans le détroit de Taiwan. La rumeur a également été évoquée dans la presse taïwanaise – qui cite alors Lu De comme source, mais note que «les spécialistes estiment que la profondeur de la mer Jaune n’est pas suffisante, de sorte que si le navire sortait de la mer Jaune, il aurait été détecté par les pays voisins».

Sur Twitter, un chercheur indépendant spécialisé dans les informations relatives aux sous-marins, H I Sutton (animateur du compte et du site Covert Shores), a lui fait part de son scepticisme et invité sa communauté à lui remonter des informations. Jusqu’alors, Sutton s’interroge sur plusieurs aspects de l’affaire : les réserves d’air des sous-marins nucléaires se comptent en mois, la chaîne de l’ancre a peu de raison de poser problème pour un appareil de cette puissance, tandis qu’un équipage réduit apparaît «inhabituel». Il ajoute qu’une analyse des images satellites menée par l’entreprise polonaise Satim a échoué à détecter un sous-marin dans la région de Lianyungang.

Interrogé le 31 août, à l’occasion d’un point presse, au sujet de la rumeur d’un échouage «près du détroit de Taiwan», le ministère de la Défense chinois a affirmé que ces informations étaient «complètement fausses».

Une dizaine de jours plus tard, l’affaire a de nouveau été évoquée sur divers sites d’information, comme celui du Liberty Times taïwanais. La rumeur faisant désormais état «d’un sous-marin à propulsion nucléaire de type 093 Changzheng 15» qui aurait explosé, le 20 août «en mer Jaune lors d’un tir d’essai d’une arme sous-marine au cours d’un exercice d’entraînement, tuant des centaines d’officiers et de soldats». Selon ce quotidien, de nouveaux bruits courent alors au sujet «d’officiers et de soldats qui devaient retourner à leur base à la fin du mois d’août, mais n’étaient pas rentrés chez eux» et «des querelles sur la responsabilité de l’accident, au niveau militaire».

«Fuite des services de renseignement britannique»

Le Liberty Times note par ailleurs qu’un avion de reconnaissance nucléaire WC-135 de l’armée américaine, spécialisé dans la détection d’émissions radioactives, a été repéré près des côtes où auraient eu lieu de l’incident. Deux jours plus tôt, le tabloïd chinois Global Times avait évoqué l’évènement en parlant d’un «avion espion américain» venu observer des manœuvres militaires. A noter que l’incursion d’avions de l’armée dans cette région est régulièrement dénoncée par les autorités chinoises.

Le mystérieux rapport britannique évoqué par le Daily Mail, s’il s’avérait authentique, corrobore-t-il ou relaie-t-il simplement la rumeur originelle ? Dans la soirée du 3 octobre, les tabloïds The Sun et The Mirror ont repris l’information, l’attribuant «au renseignement britannique». Le lendemain, le Times a rapporté l’affaire, faisant lui aussi état «d’une fuite des services de renseignement britannique», et précisant toutefois que «le ministère de la défense a refusé de commenter l’article du Daily Mail». Par la suite, divers médias ont repris l’information en citant le Times comme source.

Reste qu’à cette heure, aucune source officielle identifiée, ni aucun indice substantiel (détection par image satellite, notamment), n’est venu corroborer la rumeur.