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Que sait-on des accusations de harcèlement homophobe portées par Gabriel Attal contre Juan Branco ?

Le ministre de l’Education nationale a accusé l’avocat, dimanche 5 novembre sur TF1, d’avoir animé, durant leur époque à l’Ecole alsacienne, un blog où Gabriel Attal était l’objet de multiples insultes.
Juan Branco à Paris, le 8 août 2023. (Alain Jocard/AFP)
publié le 10 novembre 2023 à 7h22

Simple conflit de cours de récré ou véritable harcèlement à caractère homophobe ? Dans une interview diffusée dimanche 5 novembre, dans l’émission Sept à Huit de TF1, le ministre de l’Education nationale, Gabriel Attal, est revenu sur le harcèlement scolaire dont il raconte avoir été victime. Le jeune ministre a ainsi expliqué qu’à l’âge de 14-15 ans, «un élève de l’établissement avait ouvert [un] site sur lequel il fallait mettre des commentaires sur le physique des élèves, et moi, à cette occasion, j’ai vécu un déferlement d’insultes et d’injures. Ça a duré plusieurs mois et ça a été très violent».

Et Gabriel Attal de détailler : «Je suis allé avec une fille au cinéma. C’est une fille qu’il aimait bien dans l’établissement. Je me souviens que ce jour-là, il m’a dit : Je vais te détruire.» Puis de poursuivre : «Les commentaires qui étaient postés, c’était “pédale”, “tafiole”, “tarlouze”. Donc je pense que c’était sur une orientation sexuelle supposée puisque je n’en parlais pas autour de moi.» Il ajoute, concernant ces blogs : «Il y avait à la fois ces attaques qui étaient dirigées contre moi, et puis, il y avait quelque chose de très pervers, où en fait il postait des photos de mes amies et allait mettre des commentaires en usurpant mon identité pour les insulter. Son objectif, c’était de m’isoler.»

Argument discutable

Si l’identité du harceleur présumé n’est pas évoquée dans cette interview, celui-ci est clairement identifiable. La journaliste Audrey Crespo-Mara décrit en effet un élève ayant accompagné Attal pendant plusieurs années durant sa scolarité, avant d’écrire un livre en partie consacré au ministre. Un portrait-robot assez clair de l’avocat Juan Branco, qui a fréquenté, à la même époque qu’Attal, l’Ecole alsacienne, dans le VIe arrondissement de la capitale, puis Sciences-Po Paris. Avant de s’en prendre violemment à la macronie, dont Attal, dans le best-seller Crépuscule.

Il ne s’agit cependant pas d’une révélation. Dans un ouvrage paru en 2021, l’Ecole du gotha : enquête sur l’Alsacienne, écrit par Lucas Bretonnier, Gabriel Attal citait nommément Branco, accusé des mêmes méfaits : «Sur [le blog] des garçons, il y avait des photos de moi avec des commentaires homophobes (“tarlouze”, “tapette”), rédigés par Juan.»

Dimanche soir, peu de temps après la diffusion de l’interview du ministre de l’Education, Juan Branco a lui-même revendiqué, sur X, être la personne à laquelle Gabriel Attal fait référence. Et s’est défendu, le lendemain, de toute attaque homophobe à l’époque : «Je ne ferai pas l’affront à M. Attal de lui rappeler qu’il n’a découvert son orientation sexuelle que vers 20 ans, qu’il n’a donc pu auparavant faire l’objet d’une quelconque campagne visant à le stigmatiser à ce sujet, et qu’on voit mal quelle jalousie aurait pu être nourrie au sujet de ses rapports avec une femme [celle du cinéma, ndlr] si son homosexualité était, comme il le prétend paradoxalement, établie», note Juan Branco. Bref, Gabriel Attal, selon lui, n’a pu être victime d’insultes homophobes, puisqu’il n’était pas ouvertement homosexuel. Argument discutable, puisqu’une insulte homophobe l’est indépendamment de la sexualité de la personne à qui elle s’adresse.

Références sexuelles

Cette animosité de l’avocat à l’encontre d’Attal n’est pas nouvelle. En octobre 2018, Juan Branco dévoilait publiquement sur Twitter l’homosexualité de Gabriel Attal, et des passages entiers dans son livre Crépuscule, sorti en pleine crise des gilets jaunes, lui sont consacrés. Retournant l’accusation qu’Attal formule contre lui, Branco écrivait dans son pamphlet que l’actuel ministre a «très tôt adopté des comportements de classe plus habituels au sein des grands lycées de la rive droite où le mépris et l’assurance de classe font système». En omettant qu’il était lui-même coadministrateur des blogs en question, Juan Branco déclarait que «le jeune outrancier parsemait les réseaux sociaux de messages outranciers et insultants flirtant bon l’extrême droite et la misogynie la plus crasse».

Que sait-on de cet épisode, presque vingt ans après ? Juan Branco a bien été un des administrateurs de deux blogs, hébergés par la plateforme Skyblog, très populaire auprès des adolescents au milieu des années 2000 : Gurlz01 et Zom01, deux sites créés en novembre 2004, et dont l’objet consistait à poster des photographies de filles et de garçons, le plus souvent à l’Ecole alsacienne, et de les noter sur leur physique.

Depuis le 1er septembre 2023, tous les skyblogs ont été désactivés par la radio Skyrock, qui les hébergeait. Toutefois des traces des deux blogs gérés par Branco subsistent grâce au site Webarchive, qui a pu enregistrer des versions à certaines dates.

Une archive du blog Gurlz01 (concernant les filles), enregistrée en avril 2019, indique qu’il a été alimenté de novembre 2004 à octobre 2005. Gabriel Attal et Juan Branco étaient alors en classe de seconde.

On y retrouve des messages de Juan Branco – utilisant les pseudonymes de Juanito, jipé, ou brancojuan – qui invitent ses camarades à lui envoyer des photographies à une adresse e-mail à son nom. Certaines photographies de jeunes filles sont même postées sans leur autorisation, avec des descriptions lourdes de références sexuelles. En plus des notes, les jeunes femmes se font traiter, en commentaires par les élèves, de «moche», de «conne», de «pute», ou encore de «poufiasse».

Pour Zom01 (qui invite à noter les garçons), la seule archive disponible date de février 2005. Impossible, donc, de savoir pendant combien de temps ce blog a été actif, ou quels commentaires ont été postés. Les pages disponibles sont incomplètes et ne permettent pas de retrouver les publications consacrées à Gabriel Attal.

«Incontrôlable et archi violent»

Néanmoins, plusieurs anciennes camarades de classe interrogées par CheckNews, et qui ont exigé l’anonymat, se souviennent des commentaires qui ont visé le futur ministre d’Emmanuel Macron. Marie (1), qui avait fait l’objet d’une publication sur le Skyblog dédié aux filles, se rappelle «très bien les remarques homophobes» ayant visé Gabriel Attal. Par ailleurs, «Juan Paolo [Branco] était une vraie commère et je sais qu’il se faisait passer pour moi dans ses commentaires», se souvient-elle, suggérant ainsi des faits d’usurpation d’identité, mentionnés par Gabriel Attal durant l’interview sur TF1. Elle assure également que «Gabriel [l]’a toujours défendu».

«On pouvait taper le nom qu’on voulait avant de poster un commentaire», explique de son côté Julie (1), une autre camarade, également notée sur le blog gurlz01. Elle se souvient que ces usurpations créaient des tensions entre les élèves. «Aujourd’hui, on arrive à discerner quels messages sont faux, mais à l’époque, on prenait tout au sérieux.» A propos de l’emploi des insultes homophobes «pédé», «tarlouze», «tafiolle», l’ancienne élève de l’école alsacienne «confirme à 1 000 %» qu’elles ont été proférées à l’encontre de Gabriel Attal sur le blog, ajoutant qu’«il y avait même pire».

«C’était un nid d’insultes, très misogynes, se remémore pour sa part Cathy (1). Il y avait aussi des commentaires homophobes, mais pas spécifiquement contre Attal, car dans mon souvenir personne ne savait qu’il était gay. Mais il y avait beaucoup d’homophobie. Juan Paolo avait mis en place un truc incontrôlable et archi violent pour toutes les personnes qui se retrouvaient sur le blog.» Et d’ajouter : «Attal, je l’aimais bien mais s’il était un peu cassant, pas très sympa. Les trucs de mépris de classe, ça pouvait vraiment être lui, il avait ce côté-là. Juan Paolo, je le voyais comme un mec solitaire, mais très misogyne et avec une relation aux filles très bizarre.»

«Merdier d’injures»

Si l’actuel ministre de l’Education a donc pu faire l’objet, selon certains témoignages, d’insultes homophobes sur ces blogs, difficile d’en attribuer sans conteste la paternité à Juan Branco, en raison des possibilités permettant à leur(s) auteur(s) d’inventer ou même d’usurper une identité. Ce qui est certain, en revanche, c’est que Branco était le coadministrateur de ces blogs, et ne les modérait que très modérément. Avant de finalement les supprimer.

Par ailleurs, si le blog des garçons est inaccessible aujourd’hui, un élève a fait à l’époque (en août 2005) un long commentaire sur celui des filles, mais au sujet du site des garçons. Où il caractérise des faits relevant sans aucun doute de harcèlement : «Sur les presque 90 commentaires qui sont censés noter le physique d’un homme, pas un ne répond à votre demande initiale. Quoi qu’il en soit, je ne pense pas que cet homme mérité tant d’insultes. Que ce soit à tort ou à raison, vous ne pouvez pas laisser faire ça. […] Ces blogs ne sont qu’un merdier d’injures, de folies judiciaires et d’hypocrisie.» Contacté par CheckNews pour savoir s’il s’agissait d’Attal, son auteur dit aujourd’hui ne plus s’en souvenir.

Un mois auparavant, Juan Branco avait tenté de se prémunir juridiquement, en écrivant sur le site : «Je rappelle que les auteurs de ce blog, moi et Manu, ne sauraient en aucun cas être tenus pour responsables des propos par des personnes tierces dans l’espace [commentaires]. Ce rappel est particulièrement destiné à une personne qui se dit victime de notre passivité face aux commentaires dont il a été l’objet. Cette personne, dont le nom ne sera pas dévoilé, tente de nous nuire par tous les moyens possibles.» Avant d’ajouter que cette «personne» les aurait menacés de poursuites judiciaires.

Débuts d’Internet

Sollicité par CheckNews, Juan Branco n’a pas donné suite. Dans l’Ecole du gotha : enquête sur l’Alsacienne, il minimisait alors l’impact de ces blogs : «C’était quelque chose de plutôt bon enfant. […] Je prenais tout le monde en photo, je demandais l’autorisation, postais sur le blog, et ensuite les gens commentaient.»

Dans le même ouvrage, Attal – dans une moindre mesure – n’est pas épargné non plus : «J’ai fait toute ma scolarité avec lui, prévient Remy (1). J’étais copain avec Igor, son cousin. Attal était vraiment une petite peste, on est 150 à pouvoir en témoigner.» Une autre, prénommée Marie (1) : «Je le connais depuis la maternelle, il n’était pas facile à l’école. Valait mieux qu’il vous aime bien. Il pouvait lancer des rumeurs sur vous, faire des sales coups, des trucs de gamin. Un jour, il a prétendu qu’une copine avait couché avec un éboueur dans la rue. Ce genre de bêtise. Mais ensuite il s’est calmé, c’est devenu un bon camarade.»

Auprès de CheckNews, un cadre de l’Ecole alsacienne rappelle, à propos des blogs, qu’il s’agissait des débuts d’Internet : «On n’était pas au courant, on a découvert l’existence de ces blogs sur le tard. Mais il faut avoir en tête qu’à l’époque, c’était les prémices des usurpations d’identité et du harcèlement en ligne.»

(1) Les prénoms ont été modifiés.