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Que sait-on des vidéos d’exécutions publiques au Bangladesh, diffusées sur les réseaux sociaux ?

Différentes séquences, présentées comme des violences contre la minorité hindoue au Bangladesh, sont partagées avec un contexte mensonger.
La manifestation du 5 août contre la désormais ex-Première ministre Sheikh Hasina, où la foule repeint la statue de Sheikh Mujibur Rahman, à Dhaka. (Abu Sufian Jewel/AFP)
publié le 8 août 2024 à 16h09

Depuis plusieurs semaines, des manifestations étudiantes contre le gouvernement traversent le Bangladesh, conduisant à la fuite, lundi, de la Première ministre, Sheikh Hasina. Dans ce contexte, nombre de personnalités conservatrices ou d’extrême droite ont multiplié, sur les réseaux sociaux, des publications qui témoigneraient d’exactions commises par la population musulmane contre la minorité hindoue. D’aucuns allant jusqu’à parler de génocide.

Dans un post publié sur X le 6 août, la sénatrice Les Républicains Valérie Boyer repartage ainsi une vidéo du Figaro. Et s’émeut : «Le Bangladesh en proie à des actes de barbarie qui évoquent le pogrom du 7 octobre [en Israël, ndlr]. Il semble que 500 hindous ont été tués […] certaines vidéos atroces circulent avec des scènes de crucifixion…».

«GÉNOCIDE EN COURS», lance de son côté le chroniqueur d’extrême droite Jean Messiha sur X, en décrivant la persécution d’hindous par des musulmans du pays, images de pendaison à l’appui. «Les hommes de la minorité hindoue lynchés, crucifiés, brûlés, pendus par les pieds par les musulmans», abonde le compte nationaliste Sauvons la France, dans un post depuis supprimé. De nombreux relais nationalistes hindous ont également publié des affirmations similaires.

La «crucifixion d’un hindou», qui est en réalité un officiel musulman

Depuis le début des émeutes au Bangladesh, différents articles documentent en effet des violences contre la minorité hindoue, perçue dans le pays comme soutenant l’ex-Première ministre, ainsi que l’écrit le New York Times. Plusieurs lieux de cultes hindous ont été détruits, jusqu’à faire réagir les représentations européenne et américaine dans le pays. Mais le contexte qui accompagne certaines des images d’exécutions les plus impressionnantes est faux. Et rien ne permet d’affirmer qu’un génocide est en cours, ni même qu’il y a, à ce jour, 500 victimes hindoues.

Concernant la crucifixion, citée par plusieurs comptes, des vidéos montrent un corps ensanglanté attaché par les bras à une statue. Une exécution souvent décrite comme la «crucifixion» d’un hindou par des musulmans. La scène, bien réelle, a eu lieu le 5 août à Jhenaidah, dans l’ouest du Bangladesh. Les circonstances, en revanche, ne sont pas celles décrites par les comptes d’extrême droite ou les relais nationalistes hindous, à savoir des musulmans qui s’en prendraient à un hindou.

Comme le rapportent plusieurs sites de factcheking (ici et ici), la victime est Shahidul Islam Hiron, un officiel local de la ligue Awami, le parti politique de la Première ministre en fuite. L’homme de 75 ans n’était pas hindou, comme l’affirment de nombreux comptes, mais musulman, ainsi que l’explique le site de FactChecking indien Alt News. D’après un journal local, qui cite des témoins, ce dernier aurait tiré des coups de feu contre des manifestants venus vandaliser son domicile. Lors de sa fuite, Shahidul Islam Hiron aurait ensuite été lynché par la foule, qui aurait accroché son corps sur une statue de la ville et brûlé sa maison.

Une autre vidéo montre un homme au sol, dénudé, roué de coups par la foule. Différents titres (comme ici et ici) rapportent qu’il s’agit du producteur de télévision et homme politique local Selim Khan, tué avec son fils, l’acteur Shanto Khan, après avoir tiré sur la foule alors qu’ils essayaient de fuir. D’après différents journaux hindous et bangladeshis, Selim Khan avait quitté le parti de la Première ministre en fuite, et avait passé plusieurs années en prison, sur fond de scandale de blanchiment d’argent. Le site de factchecking indien BoomLive, citant le correspondant d’un journal local qui était présent, nie que son exécution soit liée à un motif communautaire.

Des hommes pendus à un pont devant un commissariat

La troisième scène, filmée de différents points de vue et partagée là aussi par plusieurs comptes d’extrême droite français, dont Jean Messiha, montre deux corps pendus par les pieds à un pont. La scène a bien eu lieu au Bangladesh, géolocalisée devant le commissariat d’Ashulia, à Baipayl. Des dizaines de vidéos rassemblées par CheckNews, apparues autour du 5 août, montrent cette même scène sous différents angles.

La presse locale et la BBC, tout comme des auteurs des vidéos amateurs dans les publications qui les accompagnent, parlent d’échanges de tirs avec la police durant les manifestations qui ont eu lieu devant le bâtiment. On entend en effet des tirs dans différentes séquences amateurs, où l’on voit des manifestants ensanglantés, souvent inertes.

Des véhicules militaires et des soldats (qui se sont rangés du côté des manifestants) sont également visibles devant le bâtiment dans plusieurs vidéos, sans qu’il soit possible d’établir le déroulé précis des faits tant la confusion semble régner. D’après un communiqué des autorités, des échanges de tirs auraient commencé par erreur entre policiers et militaires, tuant le commandant adjoint des soldats. D’autres images montrent des participants brûler le commissariat, et des véhicules de la police.

Dans l’une des vidéos tournées devant le commissariat, on aperçoit les corps déjà inertes des deux pendus, allongés sur le sol (avant, ou après qu’ils ont été accrochés), reconnaissables par leurs habits (un pantalon noir et un boxer blanc). A quelques mètres, plusieurs corps carbonisés à l’intérieur d’un camion sont également visibles.

Plusieurs médias locaux et publications de manifestants indiquent que des policiers ont été tués dans ce commissariat. Certaines vidéos désignent les corps pendus comme des agents des forces de l’ordre. Le quotidien de référence bangladais, le Daily Star, explique de son côté que les «[habitants] locaux pensent que les corps [pendus] pourraient être ceux de deux policiers». D’autres titres mentionnent ces derniers comme étant non identifiés.

Certaines publications amateurs, enfin, parlent de «policiers indiens», mais sans qu’aucun média n’atteste cette version. Et aucun élément ne semble indiquer que ces derniers aient été tués car hindous.

Le chiffre de «500 Hindous tués» avancé sans source

Différentes personnalités françaises, comme la sénatrice Les Républicains Valérie Boyer ou la directrice du collectif fémonationaliste Némésis Alice Corder, ou encore l’Ojim (site d’extrême droite de critique des médias) avancent par ailleurs le chiffre de 500 Hindous tués, comparant la tuerie à un «7 octobre» ou un «pogrom».

Ce chiffre ne correspond pourtant à aucun bilan connu. Le dernier chiffre en date est de 450 personnes tuées depuis le début des manifestations, principalement dans les affrontements entre policiers et manifestants. Mais le bilan de «500 Hindous tués» n’existe nulle part.

Interrogée par CheckNews sur l’origine de ce chiffre, Valérie Boyer cite «des vidéos vues sur internet» et «un article du Figaro qu’[elle a] retweeté». Avant d’expliquer : «Je n’ai pas eu le temps de regarder les désinformations, je fais confiance au Figaro […], ça a l’air assez massif, les 500 morts, c’est tiré du Figaro». Sauf qu’à aucun moment le Figaro ne mentionne ce chiffre de 500 morts, ni même un bilan précis chiffrant les violences contre la population hindoue. De son côté, Alice Cordier évoque «une antenne Némésis au Bangladesh, d’où les infos exclusives», sans donner plus de détails sur la source de ce chiffre.