A elle seule, l’UNRWA symbolise la singularité de la situation des réfugiés palestiniens. Les Nations unies ont en effet décidé de leur dédier une agence, quand une autre structure, le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), s’occupe d’apporter un soutien aux autres personnes réfugiées à travers le monde.
L’UNRWA (pour United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East, ou Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) est née en 1949, au lendemain de la guerre israélo-arabe de 1947-1949. Un conflit issu du partage de la Palestine de 1947, puis de la fondation l’Etat d’Israël en 1948, et qui s’est accompagné de l’exode de centaines de milliers de Palestiniens vers les pays arabes voisins.
En conséquence, le 8 décembre 1949, l’Assemblée générale des Nations unies vote une résolution destinée à mettre en œuvre des programmes directs d’assistance humanitaire et de protection en faveur des réfugiés de Palestine, qui entérine la création de l’UNRWA. En parallèle, l’Assemblée générale adopte une résolution érigeant le principe d’un droit au retour, qui apparaît comme la solution durable à la question des réfugiés. Mais ce droit reste non appliqué. Dès lors, l’UNRWA poursuit ses activités, entamées il y a soixante-treize ans, le 1er mai 1950.
Missions élargies
Comme l’explique le site gouvernemental Vie publique, la définition de l’UNRWA d’un réfugié palestinien est spécifique : «Il s’agit d’une personne dont le lieu de résidence habituel était la Palestine entre le 1er juin 1946 et le 15 mai 1948, et qui a perdu à la fois son domicile et ses moyens de subsistance en raison du conflit de 1948.» Par ailleurs, le statut de réfugié palestinien est transmis aux descendants. Mais contrairement à ce qui est parfois affirmé, il ne s’agit pas d’une spécificité réservée aux Palestiniens, assure l’UNRWA à CheckNews : en vertu du droit à l’unité familiale, «les enfants d’autres groupes de réfugiés et leurs descendants sont également considérés comme des réfugiés jusqu’à ce qu’une solution durable soit trouvée […] L’UNRWA n’applique pas une norme unique à cet égard. Les réfugiés palestiniens ne se distinguent pas d’autres situations de réfugiés prolongées telles que celles de l’Afghanistan ou de la Somalie.»
Le nombre de réfugiés palestiniens enregistrés auprès de l’UNRWA, qui tournait autour des 726 000 en 1950, a depuis été multiplié par sept, puisqu’il dépasse les 5 millions aujourd’hui. Tous ces réfugiés sont répartis dans 58 camps, situés dans la bande de Gaza, en Cisjordanie (y compris Jérusalem Est), mais aussi en Jordanie, au Liban et en Syrie.
A Gaza en particulier, la zone dont on parle le plus depuis l’attaque du 7 octobre, l’UNRWA fournit habituellement une assistance humanitaire à plus de 1,6 million de réfugiés. Un soutien largement menacé aujourd’hui par les destructions induites par les bombardements et les difficultés à acheminer sur place l’aide humanitaire. L’UNRWA paye le prix fort de la guerre : sur les 13 000 personnes qu’elle emploie à Gaza, dont une très large majorité ont elles-mêmes le statut de réfugiés, le décès de 111 d’entre elles a déjà été officialisé, d’après le dernier point de situation de l’agence.
Puisque l’UNRWA avait initialement été conçue comme une agence temporaire, dans l’attente d’une solution à la situation des réfugiés palestiniens, son mandat doit être renouvelé tous les trois ans par l’Assemblée générale de l’ONU. Au fur et à mesure, ses missions ont été élargies, allant bien au-delà de son mandat initial de fourniture d’une aide d’urgence. Comme l’explique elle-même l’agence sur son site, les actions à destination des réfugiés de Palestine que mène l’UNRWA concernent désormais «les domaines de l’éducation, des soins de santé, des secours et des services sociaux, de la protection, de l’infrastructure et de l’amélioration des camps, de la microfinance et de l’aide d’urgence».
Ambivalence à l’égard du Hamas
Concernant ses financements, il s’agit «presque entièrement de contributions volontaires», explique l’UNRWA. En particulier, l’agence est largement soutenue par les donations d’Etats ou d’organisations intergouvernementales. Ses principaux donateurs sont ainsi l’Union européenne et les Etats-Unis. Ces derniers avaient néanmoins suspendu leur aide financière sous l’ère Trump – depuis rétablie par son successeur. Indépendamment de l’UE, la France contribue chaque année à hauteur de plusieurs millions d’euros. Le budget de l’UNRWA, variable d’une année à l’autre, dépasse ainsi généralement le milliard de dollars – près de 1,2 milliard en 2022 ; autour de 430 millions pour la période du 1er janvier au 30 avril 2023.
Certains accusent l’UNRWA de détourner ces montants au bénéfice du Hamas, le mouvement islamiste au pouvoir à Gaza, ou du moins de ne pas correctement mettre en œuvre les programmes de l’agence. «Nous nous en défendons, car nous mettons sur pied nos programmes directement, sans passer par des intermédiaires», répond l’Unrwa à CheckNews.
En matière d’éducation notamment, l’agence onusienne a été critiquée, à la faveur du conflit qui oppose actuellement l’Etat d’Israël et le Hamas, car les manuels scolaires qu’elle distribue aux enfants palestiniens contiendraient des incitations à la violence et à la haine envers les Juifs. Ainsi, ces livres comporteraient de nombreuses phrases telles que «les sionistes sont des terroristes» ou «comment couper le cou de l’ennemi», selon un recensement réalisé par l’ONG Impact-SE. Des accusations portées par des «organisations pro-israéliennes», se défend l’Unrwa.
Dans le cadre de son programme éducatif, mis en œuvre depuis 1952, l’UNRWA compte 709 écoles (réunissant 530 000 élèves), huit centres de formation professionnelle et deux établissements de formation initiale des enseignants. L’un des principes fondamentaux de ce programme, écrit l’agence, «est l’utilisation des programmes scolaires des pays d’accueil», comme le prescrit l’UNESCO.
Selon l’Unrwa, «les conclusions de l’Agence concernant les manuels scolaires de l’autorité Palestinienne coïncident, dans une large mesure, avec ceux de l’Institut Georg Eckert, dans une étude commandée par la Commission Européenne en 2021, et qu’elle a mis en place un processus solide pour examiner tous ces manuels et garantir que l’enseignement dans les salles de classe de l’UNRWA est compatible avec les valeurs de l’ONU et les normes de l’UNESCO». Et d’ajouter : «L’UNRWA s’efforce d’enrichir [ces programmes] afin de refléter sa propre approche éducative, qui met l’accent sur la pensée critique, l’éducation aux droits de l’homme, ainsi que l’adhésion aux valeurs et aux principes des Nations unies.» L’enseignement doit, dès lors, être «conforme aux principes humanitaires d’humanité, de neutralité, d’indépendance et d’impartialité», et l’UNRWA s’engage à y veiller.
L’UNRWA reproche également que l’ONG IMPACT-SE ne pas lui demander de commenter les conclusions ou de vérifier les informations qu’elle avance dans ses rapports, «ce qui génère des doutes quant aux intentions de cette organisation israélienne». D’autant que, selon l’Unrwa, «les méthodologies et les objectifs d’IMPACT-SE ont été remis en question lors d’une revue académique rigoureuse menée en 2021 par l’Institut Allemand Georg Eckert, commandée par l’Union européenne».
A côté des problématiques relatives au contenu éducatif, l’UNRWA est mise en cause pour l’ambivalence dont elle ferait preuve à l’égard du Hamas. Une étude de l’organisation israélienne Institute for Monitoring Peace and Cultural Tolerance in School Education (IMPACT-se), publiée au début du mois de novembre, conclut que des membres du personnel de l’UNRWA, en premier lieu des enseignants, ont célébré l’attaque menée le 7 octobre par le Hamas et d’autres groupes terroristes. «C’est un matin glorieux inoubliable», se serait de fait exprimé l’un d’entre eux, tandis qu’un autre aurait qualifié les incendies provoqués par les roquettes du Hamas de «splendide spectacle».
A ces accusations, l’UNRWA répond que «lorsque des éléments probants et graves lui [sont] communiqués, [elle] n’hésite pas à enquêter sur tout comportement qui serait contraire à [ses] règles de neutralité, et prendre des mesures le cas échéant, en ajoutant [qu’elle] applique un principe de tolérance zéro dans ces situations, même si cela n’équivaut pas à un risque zéro».
En parallèle, IMPACT-se relève que «de l’aveu même du Hamas, plus de 100 diplômés de l’UNRWA sont devenus des terroristes actifs du Hamas». Un argument que rejette Johann Soufi, ancien responsable du département juridique de l’UNRWA à Gaza : «C’est aussi ridicule que de dire que l’école publique française forme des criminels.»
«Attaques sensationnalistes»
Ces soupçons de connivence ont également nourri, dès le 16 octobre, les réactions à la suppression par l’UNRWA d’une suite de tweets. Dans cette publication, dont une version archivée reste accessible, l’agence onusienne expliquait avoir été informée du fait qu’«un groupe de personnes à bord de camions prétendant appartenir au ministère de la Santé des autorités de fait à Gaza, a récupéré du carburant et du matériel médical stocké à l’intérieur du complexe de l’agence dans la ville de Gaza». Sachant que le terme «autorités de fait», quand on parle de la bande de Gaza, désigne communément le Hamas. Lorsque, quelques instants plus tard, ces messages ont disparu du réseau social X, l’UNRWA a aussitôt été accusée de vouloir protéger le mouvement islamiste. Notamment, le compte officiel de l’Etat d’Israël s’est empressé de réagir : «Le Hamas s’est-il également introduit dans votre compte Twitter ? Ou avez-vous simplement peur de décevoir vos amis terroristes ?»
Réponse de l’agence : «L’UNRWA a publiquement communiqué qu’elle s’était empressée de sortir le premier tweet en apprenant qu’un mouvement de carburant a eu lieu, et qu’après vérification, a confirmé que le mouvement a été fait avec les partenaires médicaux locaux, y compris les partenaires de l’OMS, pour soutenir des structures médicales locales».
Samedi 2 décembre, l’armée israélienne a également rapporté que ses troupes opérant à Gaza ont trouvé des dizaines de roquettes cachées sous des boîtes portant le logo de l’UNRWA dans une habitation. Mercredi 29 novembre, un journaliste d’une chaîne télévisée israélienne affirmait sur X qu’un des otages enlevés le 7 octobre a été détenu «dans un grenier […] par un enseignant de l’UNRWA». L’information, qui ne repose toujours que sur ce seul tweet, n’a pas pu être vérifiée.
Face à l’ensemble de ces accusations, L’UNRWA a choisi de réagir dans un communiqué mis en ligne vendredi 1er décembre. «Les attaques diffamatoires et la diffusion de fausses informations sur l’UNRWA – de quelque côté que ce soit – mettent directement en danger les opérations de sauvetage de l’agence et de son personnel opérant sur le terrain, écrit-elle. Ces actes préjudiciables et vraisemblablement gratuits doivent cesser immédiatement.»
Si ces attaques se sont renforcées à la faveur de la guerre, elles ne sont cependant pas nouvelles. Ces dernières années, l’UNRWA a régulièrement dénoncé les procès qui lui sont faits, émanant notamment de la structure israélienne IMPACT-se (déjà évoquée plus haut) mais également de UN Watch – une organisation qui s’est donné pour mission de vérifier que l’ONU respecte sa charte, tout en étant elle-même affiliée à l’American Jewish Committee. «Suggérer [comme le fait UN Watch] que la haine est répandue au sein de l’agence et dans les écoles est non seulement trompeur et faux, mais valide également des attaques sensationnalistes et politiquement motivées qui nuisent délibérément à une communauté déjà vulnérable : les enfants réfugiés», se défendait l’UNRWA en août 2021. En mars, l’UNRWA était revenue sur un rapport publié conjointement par IMPACT-se et UN Watch, relevant qu’«il n’hésite pas, par exemple, à présenter, sans aucune vérification, des personnes ayant quitté l’organisation il y a plus de dix ans comme des employés actuels de l’UNRWA».
Mises à jour : Les 6 et 8 décembre, ajout des réponses de l’UNRWA.