Il est le sportif américain le mieux payé (700 millions de dollars sur dix ans). Depuis une semaine, il fait la une des médias aux Etats-Unis après que son match contre Miami, jeudi 19 septembre, a été qualifié de «plus grand match de l’histoire». Sur les réseaux sociaux, où les vidéos de ses exploits récents tournent en boucle, on ne compte pas les internautes le qualifiant, en toute simplicité, de dieu. En France, il y a pourtant fort à parier que son nom est largement inconnu. Car Shohei Ohtani joue au base-ball, sport méconnu dans l’Hexagone, et incompréhensible pour le commun des Français. Ainsi, si on vous dit qu’Ohtani, qui porte les couleurs de l’équipe des Dodgers de Los Angeles, a combiné trois home run et deux bases volées en un seul match face à Miami, vous ne serez pas plus avancé ni forcément transporté d’émotion. CheckNews a donc demandé à des experts du jeu de «traduire» les performances de Shohei Ohtani. Et d’expliquer pourquoi, on a possiblement affaire au meilleur joueur de l’histoire du base-ball, mais aussi à un prodige du sport tout court.
«C’est juste exceptionnel. Même les superlatifs ne suffisent pas à décrire ce que fait. Ça paraît presque irréel», estime Benjamin Bernard, journaliste chargé de suivre les sports américains pour beIN Sports. Dans cette discipline où (faisons simple) les joueurs doivent frapper la balle à l’aide d’une batte, puis passer par l’ensemble des bases dispersées sur le terrain pour marquer des points, Shohei Ohtani est aussi devenu, à l’occasion du «plus grand match de l’histoire», le premier de l’histoire à réaliser 50 home run et voler 50 bases dans la même saison. En MLB, la ligue nord-américaine de base-ball où évolue le Nippon, seulement deux joueurs ont auparavant combiné ces deux statistiques, mais jamais en les cumulant lors d’une unique saison.
BASEBALL HISTORY HAS A NEW CHAPTER 📖
— MLB (@MLB) September 19, 2024
SHOHEI OHTANI IS THE FOUNDER OF THE 50/50 CLUB! pic.twitter.com/olTcFidEXA
Derrière ces termes techniques, se cachent deux gestes que seuls les meilleurs maîtrisent et qui nécessitent des qualités précises. Pour ce qui est du home run, «c’est quand un joueur frappe la balle et qu’elle sort directement au fond du terrain, explique Benjamin Bernard. C’est le geste le plus décisif offensivement du base-ball, puisqu’il garantit de marquer des points. Il rapporte au minimum un point, et jusqu’à quatre si des coéquipiers se trouvaient sur les bases.» Réussir un home run nécessite «une puissance certaine, étant donné que la balle doit parcourir plus d’une centaine de mètres».
Quant aux bases volées, le terme est utilisé dans les cas où «le joueur décide de quitter sa base au moment où la balle revient en main du lanceur adverse, sans attendre que son coéquipier l’ait frappée, et parvient à courir jusqu’à la suivante», résume Elliot Fleys, directeur général de la Fédération française de base-ball et softball. Le joueur prend un risque dans la mesure où il s’expose à une élimination, mais se rapproche de l’objectif final s’il réussit son coup. «Voler des bases, ça demande de l’explosivité et de la vitesse», étant donné que la distance entre deux bases frôle les 27 mètres, qui doivent être parcourus en quelques secondes. De ce fait, poursuit Benjamin Bernard, «les deux ne sont pas censés aller ensemble. Les meilleurs frappeurs de home run sont costauds, alors que pour voler des bases, il faut être fin, élancé, très dynamique». Ohtani n’est pas le meilleur de l’histoire au classement des seuls home run ni dans celui des bases volées, mais son niveau de polyvalence est, statistiquement, du jamais-vu.
Plus vu depuis Babe Ruth
Malgré son imposant gabarit, 1,93 m pour 95 kilos, Shohei Ohtani a conservé une vitesse qui lui permet de sprinter. Le New Yorker l’érigeait en «Homme de Vitruve du base-ball» il y a un an. Elliot Fleys approuve : «Si on devait définir un physique de joueur de base-ball qui permette de tout assumer, ce serait à peu près celui-là.» Pour dresser un parallèle plus parlant pour le public français, esquisse-t-il, l’équivalent au rugby serait «le physique d’un troisième ligne mais avec les jambes d’un ailier», un colosse capable de traverser le terrain à toute vitesse.
Ce qui rend Shohei Ohtani encore plus hors-norme, c’est qu’originellement il rentre dans la catégorie du «two-way player», un joueur qui fait à la fois partie des meilleurs frappeurs et des meilleurs lanceurs, ce qui ne s’était plus vu depuis la légende américaine Babe Ruth. Pour cause, les règles des ligues de base-ball permettent normalement au lanceur de se faire remplacer par un frappeur, d’être le seul joueur de la défense à ne pas passer en attaque. La force de Shohei Ohtani est d’être (en plus de ses facultés de coureur) un joueur «deux en un», capable d’assurer quelle que soit sa position : frapper fort la balle quand son équipe attaque, puis lancer la balle pour tromper le frappeur adverse lorsque son équipe passe en défense. Une blessure au coude l’empêche cette année de lancer et son club des Los Angeles Dodgers préfère le préserver. Mais les statistiques enregistrées sur les années précédentes témoignent de ses qualités exceptionnelles de lanceur. En 2022, Shohei Ohtani s’était imposé comme «le quatrième meilleur lanceur de MLB», rappelle Bastien Leclair, l’un des fondateurs de The Strike Out, un média dédié au base-ball.
«Un match où il marquerait deux buts et ensuite arrêterait un penalty»
Difficile de citer un profil équivalent, puisque «dans les autres sports collectifs, on n’observe pas une telle dualité, une différence aussi marquée que celle qui existe entre lanceur et frappeur», pointe Benjamin Bernard. Mais aussi bien le journaliste de beIN Sports qu’Elliot Fleys et Bastien Leclair s’accordent à dire qu’afin de s’en rapprocher le plus possible, il faut regarder du côté du football. Pour le fondateur de The Strike Out, «c’est comme s’il jouait la première mi-temps d’une finale de Coupe du monde en tant qu’avant-centre [la pointe de l’attaque, ndlr], avec le niveau d’un Cristiano Ronaldo ou Erling Haaland, et qu’il jouait la deuxième mi-temps comme gardien de but, avec les qualités d’un Manuel Neuer. Ce serait un match où il marquerait deux buts et ensuite arrêterait un penalty».
Dès le 31 août, quand il a atteint les 43 home run et 43 bases volées, le #17 des Los Angeles Dodgers avait réalisé une performance inédite. A ce jour, Ohtani en est désormais à 53 home run et 55 bases volées. Et la saison n’est pas encore finie. D’ici le 29 septembre, «il va probablement atteindre les 60-60, avec lui, on ne sait jamais», a déclaré aux médias le manageur des Dodgers, Dave Roberts. Après ses exploits individuels, son sacre de champion du monde avec son pays, il ne lui manque plus qu’un titre collectif en MLB pour asseoir sa légende. Benjamin Bernard l’assure, «s’il continue comme ça, il deviendra compliqué de ne pas le ranger dans la case des GOAT», les greatest of all time ou meilleurs de tous les temps dans leur sport.