Depuis le lundi 17 octobre, Victor Chabert, 26 ans, est officiellement le nouvel attaché de presse de la figure de proue du Rassemblement national, Marine Le Pen. Une intronisation qui relance le procès en connivence politico-médiatique, puisque le jeune homme était avant cela responsable de la couverture du RN pour la radio Europe 1. D’autant que ce transfert de l’autre côté du micro suit de peu celui de Loïc Signor, récemment converti en porte-parole du parti présidentiel Renaissance après avoir couvert l’Elysée pendant des années pour CNews.
Chabert ne sera donc resté qu’une année à Europe 1. Il avait rejoint la chaîne en novembre 2021, quelques mois après la prise de contrôle de la station par Vincent Bolloré (déjà propriétaire du groupe Canal+), à laquelle il a souhaité appliquer la «patte CNews». Comprendre : une ligne (bien) plus à droite, qui a fait fuir la plupart des journalistes expérimentés, et ouvert la porte, entre autres, à des débutants aux pedigrees semblables à celui de Victor Chabert. Dès septembre 2021, on l’avait ainsi laissé pénétrer le «temple» CNews, où il s’était mis à signer des éditos sur la primaire des écologistes ou le crack à Paris.
CheckNews
La nouvelle de son départ a été annoncée par le Point début octobre, qui titrait : «Marine Le Pen débauche un journaliste d’Europe 1.» Aussitôt, les cadres du RN s’étaient empressé d’adresser leurs messages de félicitations au jeune promu. «Bienvenue à Victor Chabert dans la grande famille des patriotes», avait salué le président par intérim Jordan Bardella ; «la famille Rassemblement national s’agrandit» se réjouissait le vice-président de l’Assemblée nationale Sébastien Chenu ; «il est là le Chab !» , tweetait très amicalement le député Nicolas Meizonnet.
Chabert a également été longuement félicité dans un message par sa prédécesseure, Caroline Parmentier, chargée des relations presse de Marine Le Pen jusqu’en juin 2021, quand elle a été élue députée. «Bienvenue à l’excellent Victor Chabert que nous accueillons chaleureusement. Il y a quatre ans, c’était moi la débauchée», écrit celle qui était elle aussi journaliste avant de rejoindre le RN. A ceci près qu’elle arrivait tout droit d’un journal acquis à la cause du RN, le quotidien catholique d’extrême droite Présent. Avec Chabert, le RN fait donc une prise dans un média plus mainstream.
«Pote» avec les responsables du parti
A l’origine de son recrutement, il y aurait une boutade. Lors d’une discussion informelle avec Jordan Bardella, à la fin de l’été, le président par intérim du RN «lui demande, sur le ton de la plaisanterie, s’il ne serait pas intéressé par le poste», rapporte le Point. Victor Chabert prend l’information au sérieux. D’ailleurs, ce n’était pas la première fois que Bardella laissait entendre que le poste était à prendre. Un journaliste politique chargé de suivre le RN pour une radio concurrente rapporte à CheckNews un épisode qui s’est déroulé lors d’une conférence de presse «juste après les législatives» : «A la fin, on est une dizaine de journalistes à discuter en off avec Bardella, et là il nous dit : “Bon, on va prendre une nouvelle attachée de presse, ou un nouvel attaché de presse, donc si ça intéresse l’un d’entre vous…”» Ce journaliste était alors loin de s’imaginer qu’un des leurs allait finalement mordre à l’hameçon. «Bardella a proposé ça à tout le monde au départ, mais on sentait qu’il y avait une possibilité, une ouverture», se souvient-il.
Décryptage
Les ex-confrères de Chabert confirment une relative «proximité». Ils parlent d’un jeune homme discret – «en conférence de presse de Le Pen ou Bardella, il ne disait rien» –, mais réceptif aux opérations séduction des équipes de campagne. Le chroniqueur d’Europe 1 faisait partie du petit groupe constitué par le RN, puisé dans les médias stratégiques pour cibler son électorat. Des journalistes qui se retrouvent dans les petits papiers du parti, ont le droit à des accès privilégiés, peuvent facilement approcher les responsables. Et, parfois, se retrouvent à passer des soirées avec eux, au restaurant ou même en boîte de nuit. Bref, «c’était ses potes», résume un des journalistes qui ont répondu à CheckNews (tous ont souhaité parler en off).
«C’est un peu particulier de suivre le RN, complète un autre. On se retrouve au milieu de personnes chaleureuses, sympathiques, qui veulent se faire bien voir des médias. Donc, parfois, c’est compliqué de ne pas créer une proximité, de ne pas pencher vers une sorte de complicité.» Autre particularité : «Les équipes qui suivent le RN dans les médias sont souvent très jeunes, avec des profils assez ambitieux.» Un manque d’expérience qui peut rendre «plus influençable», souligne ce journaliste expérimenté. Victor Chabert passait d’ailleurs beaucoup de temps avec deux autres très jeunes journalistes, Gautier Le Bret de CNews, et Jules Torres de Valeurs actuelles. Malgré cette apparente bonne entente avec les équipes du RN, et un vote pour Le Pen glissé dans l’urne en avril, Victor Chabert jure qu’il est toujours resté «très factuel» dans son traitement. «La radio favorise la neutralité», le défend son «copain de campagne» Jules Torres.
Un blog vierge de tout contenu
Ce ne sont pas ses traces sur les réseaux sociaux qui permettront de la confirmer : elles ont été effacées. Son profil LinkedIn, où il se décrivait comme «journaliste au service politique - Europe 1», n’existe plus. Quant à son blog, autrefois alimenté, il est aujourd’hui vierge de tout contenu (sans qu’on puisse dater, néanmoins, la suppression de ses billets). Les traces numériques laissées par Victor Chabert font ressurgir deux textes publiés sur cette plateforme : l’un intitulé «Ma première réunion du Printemps républicain», l’autre «Manuel Valls : L’instrumentalisation basse des gauches “irréconciliables”».
Tous ses anciens tweets ont également disparu. «J’ai été hacké», martèle-t-il, précisant à Libération que l’auteur de ce piratage serait «un fan de manga». Seules demeurent les mentions «J’aime», qui permettent d’en apprendre davantage sur les centres d’intérêt et personnes suivies par Victor Chabert ces derniers mois. Où l’on constate qu’en juin dernier, après les législatives, il «likait» un tweet de l’essayiste Raphaël Enthoven, connu pour ses positions réactionnaires, au sujet, justement, du Rassemblement national : «Comment peut-on vouloir “plus de proportionnelle” au nom d’une meilleure représentation du pays et de la diversité de son électorat, tout en s’indignant qu’un parti qui compte 89 députés obtienne des postes ?» Puis d’autres, cet été, à tonalité eurosceptique ou porteurs d’un message transphobe. On peut aussi citer, pour finir, un contenu dégradant à l’égard de l’écoféministe Sandrine Rousseau, publié par un journaliste de Valeurs actuelles, et qui a suscité l’approbation de Victor Chabert.
Quand on remonte encore de quelques années, les mentions de Victor Chabert nous ramènent au temps, pas si lointain, où il s’était engagé de l’autre côté de l’échiquier politique, au sein du Parti socialiste. Ainsi, sur une photo datant de septembre 2015, le Chabert de 19 ans pose fièrement à côté d’une pancarte en faveur de l’accueil des réfugiés. Une autre, prise en avril 2016, le montre, de dos, au cours d’une rencontre avec Pierre Moscovici au PS. Et en janvier 2017 son nom était cité dans un tweet encourageant la «MVteam», désignant les jeunes soutenant la candidature de Manuel Valls à l’élection présidentielle de 2017.
Conseiller municipal socialiste à 18 ans
La politique, c’est donc loin d’être une découverte pour Victor Chabert. Et son parcours en témoigne. Dès l’âge de 14 ans, ce natif de Carcassonne (Aude) s’oppose à la réforme des retraites du gouvernement Fillon (lancée en 2008), et c’est alors qu’il se fait attraper dans les filets du Parti socialiste. L’année suivante, il prend sa première carte chez les Jeunes socialistes. Au lycée, il grimpe les échelons au sein de l’Union nationale des lycéens, jusqu’à devenir responsable régional de cette organisation (depuis disparue) connue pour porter des combats de gauche. Alors qu’il étudie le droit à Toulouse, il se présente aux élections municipales de 2014 sur une liste d’union de la gauche à Limoux, dans l’Aude. Une élection largement remportée, dès le premier tour, par le maire sortant socialiste Jean-Paul Dupré, dont la liste obtient 26 sièges sur 33 au conseil municipal. Victor Chabert, qui occupe la 25e place, devient ainsi, à 18 ans seulement, le plus jeune conseiller municipal socialiste élu cette année-là.
Dans la foulée, il effectue un stage au Sénat, puis devient assistant parlementaire du sénateur socialiste du Val-de-Marne Luc Carvounas. Un ami (à ce moment-là) de Manuel Valls, figure de l’aile droite du Parti socialiste, dont Victor Chabert partage ouvertement les idées. Pour qui a-t-il voté ensuite, à l’élection présidentielle de 2017, lors de laquelle l’ex-Premier ministre soutenait la candidature d’Emmanuel Macron ? Seul indice à notre disposition : une liste de mails associés à la campagne de Macron, rendue publique par WikiLeaks en juillet 2017, montre qu’il figurait dans le registre des «inscrits». Toujours est-il qu’il faisait, en parallèle, partie de l’équipe de campagne du socialiste André Viola pour les élections législatives dans la 3e circonscription de l’Aude – élection perdue au profit de la candidate LREM Mireille Robert. Qu’importe, il se résout à officier au sein du conseil départemental de l’Aude, alors présidé par Viola.
«Défense de l’ordre républicain»
Son arrivée au RN peut, dès lors, apparaître en complète contradiction avec ses engagements passés. Mais Victor Chabert a une réponse toute trouvée. Il s’est investi en politique «pour la défense des classes populaires, des classes moyennes et de l’ordre républicain. Autant de thèmes abandonnés par la gauche et que Marine Le Pen est la seule à défendre», rétorque-t-il au Point. «La gauche a échoué à défendre les classes populaires, contrairement au Rassemblement national», renchérit-il auprès d’Arrêt sur images.
Atterri à Europe 1 après deux ans (2018-2020) dans une école de radio privée à Paris, le Studio Ecole de France, et un stage décroché dans la station, Victor Chabert n’est pas le premier journaliste à succomber aux sirènes du RN. En 2018, le choix de Pascal Humeau de quitter son poste au sein de BFMTV pour rejoindre le parti des Le Pen avait fait grand bruit. Plus récemment, en 2021, c’était au tour de Philippe Ballard d’annoncer son départ de LCI, chaîne sur laquelle il intervenait depuis 1994. Mais, dans le cas de Victor Chabert, plus que d’un départ du journalisme, il s’agit donc davantage d’un retour dans l’arène politique. Sous des couleurs qu’il critiquait il y a encore quelques années, comme en témoigne une tribune rédigée par ses soins pour le Huffington Post en décembre 2015. Sollicité à plusieurs reprises, il n’a pas souhaité répondre aux questions de CheckNews.
EDIT : modification de l’article à 16h15 le 18 octobre : contrairement à ce que nous avions écrit dans la première version, le tweet de Nicolas Meizonnet saluant l’arrivée de Victor Chabert n’a pas été supprimé.