Question posée par Irenée, le 19 mai
Bonjour,
Vous interrogez CheckNews sur le nombre de participants présents au «rassemblement en soutien aux forces de l’ordre» qui s’est tenu mercredi à Paris devant l’Assemblée nationale, réunissant de nombreux politiques, y compris le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Plus précisément, vous nous demandez si, lors d’une manifestation des forces de l’ordre, il faut s’attendre à trouver le même comptage côté organisateurs et côté préfecture de police.
Il est en effet devenu habituel de constater des écarts considérables entre les estimations, qui varient parfois du simple au double. En l’occurrence, ce rassemblement n’a pas donné lieu à une guerre des chiffres, étant donné qu’un seul comptage a été communiqué : celui de l’intersyndicale de la police nationale, qui a indiqué mercredi soir que plus de 35 000 personnes avaient répondu à l’appel. De son côté, la préfecture de police de Paris «n’a pas souhaité communiquer le chiffre de la participation», peut-on lire dans une dépêche de l’AFP. Sollicitée ce jeudi par CheckNews, elle n’a pas justifié cette absence de communication.
Exception de communication ?
La loi n’oblige pas la préfecture de police à transmettre un comptage systématique de chaque manifestation ou rassemblement. Mais, dans les faits, son évaluation de l’affluence de tel ou tel évènement est attendue, reprise par la presse et mise en regard du chiffre avancé par les manifestants. Une exception existe visiblement quant à la communication officielle de cette estimation.
En 2013, la préfecture indiquait qu’elle ne donnait «aucun chiffre de participation lors de manifestations organisées par des partis politiques».
La préfecture de police ne communique aucun chiffre de participation lors de manifestations organisées par des partis politiques.
— Préfecture de Police (@prefpolice) May 5, 2013
Or, si toute la classe politique ou presque était bel et bien présente à ce rassemblement, il répondait à l’appel des syndicats et non d’un parti en particulier. Cette exception ne peut donc être la raison invoquée pour justifier le refus de communication.
Le fait qu’il s’agisse d’un rassemblement statique et non d’une manifestation peut-il expliquer ce silence ? Le cabinet privé «Occurrence» qui effectue des comptages indépendants pour le compte de différents médias, dont Libération, n’a pas effectué d’estimations ce jour-là, précisément pour cette raison : «[Ce] n’est pas optimal pour nos méthodes», explique Jocelyn Munoz, fondateur du cabinet. «Occurrence» utilise en effet un système de capteurs vidéo qui balisent en hauteur le parcours, la manifestation doit donc être en mouvement.
Mais là encore, cette justification ne s’applique pas à la préfecture de police de Paris. Par le passé, l’institution a déjà communiqué des estimations réalisées lors de rassemblements, même lorsque ceux-ci n’étaient pas déclarés et autorisés. Ce fut le cas, par exemple, pour les militants de «Justice pour Adama», en juin. Interdite par la préfecture, leur manifestation avait finalement donné lieu à un rassemblement statique sur le parvis du tribunal de Paris et réuni plus de 20 000 personnes selon la police.
«Très embarrassant»
Parmi les syndicalistes, on avance plusieurs raisons à ce silence de la préfecture : «Ils ne veulent pas appuyer le côté historique de la mobilisation», avance un responsable d’Alliance. «C’est pour ne pas ajouter à la polémique», confie un cadre d’Unsa-Police, qui tient à préciser qu’il est tout à fait possible, pour une préfecture, d’évaluer les participants à une manifestation de policiers. «En 2008, à Lyon, les renseignements généraux avaient effectué un comptage. Il y avait un delta d’environ 300 personnes, entre leurs chiffres et les nôtres», se souvient-il. Le secrétaire général d’Alliance, Fabien Vanhemelryck, interrogé sur l’absence de communication ou de comptage par les autorités, se contente de dire qu’il n’en a «aucune idée».
Pour Fabien Jobard, directeur de recherche au CNRS, spécialisé sur les questions des institutions pénales, la non-communication de la préfecture a une explication «très simple» : «Ce serait très embarrassant pour eux, alors qu’ils ont pris part à la manifestation, le préfet lui-même était présent, en tant que citoyen, explique-t-il. Il est également possible que le préfet ne souhaite pas humilier les manifestants en donnant le chiffre de 5 000 par exemple, quand les syndicats avancent 35 000 personnes.»
Nombre de clichés limité
Devant l’absence de contradictoire, certains internautes ont tenté de vérifier l’estimation de l’intersyndicale. En déterminant que le rassemblement s’était tenu sur une surface de 3 000 mètres carrés, le compte Twitter Débunkers estime le nombre de manifestants aux alentours de 4 500, au maximum.
une surface supérieure à 3000m2.
— DEBUNKERS/ Citoyen(ne)s contre l'extrême droite (@DebunkerHED) May 19, 2021
Et croyez nous, nous sommes trèèèès large dans nos estimations, nous les avons quasi doublées.
3000m2, 1 manifestant et demi au m2. Couperet: 4500 manifestants et nous avons été très généreux. On est très très loin des 35 000 annoncés.
CheckNews s’est également prêté au jeu, grâce à l’outil Mapchecking, qui permet d’estimer la taille d’une foule. L’exercice est loin d’être évident, il permet cependant d’obtenir une idée globale du nombre de participants.
Premier problème : le nombre de clichés ou de vidéos issus du rassemblement est relativement limité. Mais en recoupant les images et les témoignages de journalistes présents sur place, il est possible de délimiter la zone sur laquelle les manifestants se sont regroupés. Ainsi, on peut établir que l’estrade, sur laquelle avaient lieu les discours, était positionnée entre l’Assemblée nationale et l’intersection du quai d’Orsay et du quai Anatole-France.
🇫🇷 Paris : «La Marseillaise» chantée lors de la manifestation des policiers devant l'Assemblée nationale. 35 000 personnes présentes selon les syndicats (images @RemyBuisine) #ManifPolice pic.twitter.com/UsfzhNRDQz
— Actu17 (@Actu17) May 19, 2021
😬 Les syndicats de #police demandent la mise en place sans délai d’une loi-météo, et appellent à la plus grande fermeté face à la pluie, accusée d'alimenter le sentiment anti-flic.#ManifPolice pic.twitter.com/MRprrSqVNc
— Police Contre la Prohibition (@collectifPCP) May 19, 2021
De nombreuses barrières délimitent un espace de sécurité devant la scène. D’autres barrières de filtrage marquent la fin du rassemblement quelques centaines de mètres plus loin, au niveau du pont Alexandre-III.
Difficile estimation de la densité de la foule
Autre limite : l’absence de prise de vue aérienne rend difficile l’estimation de la densité de la foule, qui a pu, en outre, évoluer au gré de l’après-midi. Sur certains clichés, (comme celui partagé par le syndicat Commissaires de la police nationale, ci-dessous), on constate que la densité au mètre carré est relativement forte au pied de l’estrade, mais qu’elle semble faiblir, au moment où a été pris ce cliché en tout cas, bien avant le pont Alexandre-III.
30 000 personnes, citoyens, policiers, ensemble. Merci ! #19mai #19mai2021 #AssembleeNationale #police #Jesoutienslapolice #ManifPolice pic.twitter.com/9Em4MnBX5P
— Commissaires de la Police Nationale SCPN (@ScpnCommissaire) May 19, 2021
Il convient donc d’établir plusieurs scénarios de densité dans l’outil Mapchecking. Sur le premier, nous avons fait une estimation à deux personnes du mètre carré, en moyenne sur l’ensemble du rassemblement, sur la base de ce site qui recense des exemples de densité, ce qui donne un total d’un peu moins de 12 600 manifestants.
Le second scénario augmente la densité à 2,5 personnes par mètre carré. On obtient alors un total de 15 747 personnes.
Rappelons à nouveau que ces chiffres reflètent un ordre de grandeur estimé, qui part du principe que la densité était la même sur toute la zone du rassemblement. Or les données visuelles manquent pour connaître la densité exacte de la queue de cortège. Dans tous les cas, même en poussant la densité à un très haut niveau (à 4 personnes par mètre carré par exemple), on obtient un maximum de 25 000 participants. Ce qui demeure loin du chiffre avancé par l’intersyndicale.