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Retraites : Olivier Dussopt a-t-il menti en évoquant une «stabilité» des accidents mortels au travail ?

Lors des débats sur les retraites à l’Assemblée nationale, le ministre du Travail a déclaré que le nombre d’accidents du travail mortels n’avait «pas bougé depuis 2017». Une affirmation fausse, selon LFI.
Selon le cabinet d'Olivier Dussopt, la hausse observée en 2019 serait en réalité liée à la méthodologie de comptage. (Ludovic Marin/AFP)
publié le 15 février 2023 à 18h51

Nouvelle bataille de chiffres à l’Assemblée nationale. Dans le cadre des débats sur la réforme des retraites, lundi, le député insoumis Aurélien Saintoul a mis en avant la question des morts au travail. Des accidents en hausse, selon le député, du fait des politiques de dérégulation sociale du gouvernement : celles-ci ont notamment été marquées, lors des ordonnances Macron de 2017, par le remplacement des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) par les comités sociaux et économiques (CSE), dotés de moins de moyens et de moins d’effectifs.

«La réalité, c’est que vous avez supprimé les CHSCT et que depuis cette suppression, en moyenne, ce sont 150 morts de plus au travail par an, a affirmé Aurélien Saintoul. La réalité, c’est qu’il y a du sang sur votre politique et vous n’y prenez pas garde.»

«C’est un chiffre qui est redoutablement stable»

Dans sa réponse, le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a tenu à revenir sur ce sujet «particulièrement grave». «Sur la question des morts au travail, je vais donner les chiffres tels qu’ils ressortent des études de la direction générale du travail. Depuis quinze ans, de manière continue, nous connaissons en moyenne dans notre pays 650 décès par an au travail, détaille le ministre. C’est un chiffre qui est redoutablement stable depuis quinze ans, qui n’a pas bougé depuis 2017, contrairement à ce que j’ai entendu. Chaque mort est un mort de trop, et instrumentaliser ce sujet à l’occasion d’un débat d’obstruction n’est pas digne.»

Une déclaration qui a fait bondir le député insoumis. Reprochant au ministre d’avoir «menti», Aurélien Saintoul a précisé ses arguments, chiffres à la clé. «En 2017, il y avait 550 morts dans des accidents du travail dans ce pays. En 2018, il y en avait 562. En 2019, il y en a eu 733.» Avant de conclure par le désormais célèbre (dont il s’est excusé depuis) : «Vous êtes un imposteur, et un assassin.»

Des chiffres repris par d’autres insoumis comme le coordinateur de La France insoumise, Manuel Bompard, qui a donné raison «sur le fond» à Aurélien Saintoul en évoquant sur BFM TV une «hausse constante» des accidents du travail.

733 décès en 2019, 180 de plus qu’en 2018

Contactée, la Dares, organe statistique du ministère du Travail, renvoie aux chiffres de l’assurance maladie. Ceux-ci, disponibles dans les rapports annuels «Risques professionnels», permettent d’observer deux tendances. D’abord une tendance stable, et même légèrement en baisse, de 2004 à 2017, avec 550 décès en moyenne chaque année ; puis une hausse, caractérisée par un bond en 2019 à 733 décès annuels, soit 180 de plus qu’en 2018. Un bond confirmé en 2021 où le compteur, en dépit d’un début d’année toujours marqué par le Covid, affiche 645 décès par accidents du travail.

Ce qui donne tort au ministre lorsqu’il affirme que ce chiffre «n’a pas bougé depuis 2017». Les données transmises par le cabinet d’Olivier Dussopt à CheckNews, qui cumulent le nombre de décès du régime général (assurance maladie) et celui du régime agricole (MSA, entre 50 et 100 par an), confirment d’ailleurs l’existence de ce pic en 2019.

Une hausse réelle, mais méthodologique

Alors, pourquoi le ministre a-t-il mentionné une «stabilité» des décès par accident du travail ? Selon son cabinet, la hausse observée en 2019 serait en réalité liée à la méthodologie de comptage. «En 2019, on réintègre dans le périmètre des accidents du travail mortels les malaises, qu’autrefois on ne reconnaissait pas systématiquement, explique celui-ci, du fait d’une jurisprudence de la Cour de cassation.»

Une explication confirmée par l’assurance maladie elle-même : dans son rapport annuel de 2019, elle indique que «cette forte augmentation concerne des décès qui font suite à un malaise, sans doute davantage reconnus du fait […] d’un réalignement strict de la mise en œuvre des procédures sur le principe de présomption tel que balisé par la jurisprudence».

Problème : le nombre de malaises inclus avant 2019 étant inconnu, il n’est pas possible de déterminer directement la part de responsabilité de ce changement méthodologique. En revanche, il est possible d’observer l’évolution du nombre de décès liés à des causes «identifiées» : les calculs réalisés par CheckNews confirment l’hypothèse d’une hausse par paliers, directement liée à des modifications de recensement (hausse de la part de décès «identifiés» en 2017, hausse ne concernant que la catégorie «autres risques» en 2019).

Des chiffres à interpréter avec prudence

Si les chiffres brandis par Aurélien Saintoul sont donc exacts, ils doivent être interprétés avec prudence. Et il est abusif de diagnostiquer comme Manuel Bompard une «hausse constante» des morts au travail. Un effet futur des ordonnances Macron ne peut être à exclure (même si rien ne permet d’en préjuger), mais celui-ci ne pourrait être observable qu’à plus long terme, leur mise en œuvre ne datant que de 2018.

En résumé, le nombre d’accidents du travail recensés a bien augmenté depuis 2017, contrairement à ce qu’affirme Olivier Dussopt ; mais cette hausse, contrairement à ce qu’affirme Aurélien Saintoul, semble globalement liée à des changements de méthodes de comptage.

Notons enfin que, malgré ce qu’affirme Olivier Dussopt, évoquer les morts au travail ne revient pas à «instrumentaliser» le débat sur les retraites. Selon l’analyse de la Dares concernant les accidents du travail en 2019, «la fréquence des accidents mortels croît aussi avec l’âge, les salariés âgés de 60 ans ou plus enregistrant le risque le plus élevé» – un risque près de trois fois supérieur à la moyenne.