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Robert Badinter avait-il promis la perpétuité effective en échange de l’abolition de la peine de mort ?

Lors des débats sur l’abolition de la peine capitale, la question d’une peine substitution avait été abordée.
Robert Badinter à l'Assemblée nationale le jour de son discours historique, le 17 septembre 1981. (DOMINIQUE FAGET/AFP)
publié le 12 octobre 2021 à 14h52
Question posée par Alain, le 9 octobre 2021

Bonjour,

La gauche avait-elle promis, au moment de l’abolition de la peine de mort, de mettre en place, une peine de perpétuité réelle, sans possibilité de sortie ? Un engagement qu’elle n’aurait finalement pas respecté ? C’est un refrain qu’on entend régulièrement, et qui ressurgit alors qu’on célèbre les quarante ans de l’abolition de la peine de mort par la loi du 9 octobre 1981. Sur le site d’extrême droite Boulevard Voltaire, l’essayiste Jean-Louis Harouel écrivait ainsi il y a quelques jours : «De Victor Hugo à Robert Badinter, les idéologues de l’abolitionnisme avaient promis une perpétuité réelle pour protéger la société contre les criminels dangereux. Mais il n’en a rien été. Le même discours humanitaire qui a réclamé et obtenu l’abolition de la peine de mort s’est ensuite retourné contre la détention perpétuelle, condamnée à son tour pour motif d’inhumanité.» En janvier 2015, déjà, à quelques semaines après les attentats contre Charlie Hebdo, de Montrouge et l’Hyper Cacher, l’ancien avocat général à la Cour d’assises de Paris, Philippe Bilger indiquait dans un billet de blog sur la perpétuité réelle que Robert Badinter «avait promis aux Français une peine de substitution qui aurait dû être précisément la perpétuité réelle. Il n’a pas tenu cet engagement». Interrogé par CheckNews sur l’origine de son affirmation, Jean-Louis Harouel renvoie précisément à Philippe Bilger… lequel, joint à son tour, explique ne plus se souvenir de l’origine exacte de la déclaration. De fait, il n’existe pas, à notre connaissance, de tel engagement dans la bouche de Robert Badinter, même si la question d’une peine de substitution a bien été abordée en 1981, lors des échanges parlementaires.

Au moment où l’Assemblée nationale vote l’abolition de la peine de mort, il existait en France une peine de sûreté de 18 ans maximum pour la réclusion criminelle à perpétuité. Lors des débats, plusieurs parlementaires de l’opposition (y compris parmi les abolitionnistes) demandent que soit abordée, concomitamment à l’abolition de la peine de mort, la question d’une peine de substitution. Robert Badinter, lors de son discours historique du 17 septembre 1981, s’y oppose, en tout cas dans l’immédiat.

«Cette discussion serait à la fois inopportune et inutile»

«Le projet n’offre aucune disposition concernant une quelconque peine de remplacement. Pour des raisons morales d’abord : la peine de mort est un supplice, et l’on ne remplace pas un supplice par un autre. Pour des raisons de politique et de clarté législatives aussi : par peine de remplacement, l’on vise communément une période de sûreté, c’est-à-dire un délai inscrit dans la loi pendant lequel le condamné n’est pas susceptible de bénéficier d’une mesure de libération conditionnelle ou d’une quelconque suspension de sa peine. Une telle peine existe déjà dans notre droit et sa durée peut atteindre dix-huit années», avait-il expliqué écartant de ce fait la création d’une peine d’emprisonnement à vie sans libération possible, dans le cadre de ce projet de loi.

Le garde des Sceaux avait aussi justifié son refus d’ouvrir le débat d’une peine de substitution par la promesse d’une réforme à venir du code pénal, afin de redéfinir le système de peines. «Si je demande à l’Assemblée de ne pas ouvrir, à cet égard, un débat tendant à modifier cette mesure de sûreté, c’est parce que, dans un délai de deux ans – délai relativement court au regard du processus d’édification de la loi pénale –, le gouvernement aura l’honneur de lui soumettre le projet d’un nouveau code pénal, un code pénal adapté à la société française de la fin du XXe siècle et, je l’espère, de l’horizon du XXIe siècle. A cette occasion, il conviendra que soit défini, établi, pesé par vous ce que doit être le système des peines pour la société française d’aujourd’hui et de demain. C’est pourquoi je vous demande de ne pas mêler au débat de principe sur l’abolition une discussion sur la peine de remplacement, ou plutôt sur la mesure de sûreté, parce que cette discussion serait à la fois inopportune et inutile», avait-il déclaré.

En prémices des débats à l’Assemblée nationale, le rapporteur Raymond Forni avait également défendu une abolition simple de la peine de mort sans peine de substitution. «Poser le problème de la peine de remplacement ou de substitution aujourd’hui. c’est laisser croire à l’efficacité de la sanction que nous voulons abolir : c’est laisser imaginer qu’une fois disparue la peine de mort se créera un doute sur l’efficacité de notre justice, naîtra un malaise dans le peuple de France qui […] laissera parler la vengeance, laissera se développer la vindicte, laissera libre cours à la loi du talion», argumente-t-il.

«On ne substitue pas un supplice à un supplice»

Le texte de loi est finalement adopté le 18 septembre, sans qu’une sanction spécifique soit créée pour remplacer la peine de mort. L’article 3 dispose que «dans tous les textes en vigueur prévoyant que la peine de mort est encourue, la référence à cette peine est remplacée par la référence à la réclusion criminelle à perpétuité ou à la détention criminelle à perpétuité suivant la nature du crime concerné».

On retrouve à l’article 2, la mention d’une «loi portant réforme du code pénal déterminera en outre l’adaptation des règles d’exécution des peines rendue nécessaire pour l’application de la présente loi». Dans un article du Monde de 2016, Robert Badinter avait expliqué avoir introduit cet article pour répondre aux demandes du groupe socialiste qui désirait mettre en place une peine de substitution à la peine de mort. «J’ai répondu, aujourd’hui, on abolit, point. On n’est pas en train de remettre ici en ordre le code pénal, c’est le grand jour, c’est l’abolition pure, simple et pour moi définitive. On ne substitue pas un supplice à un supplice», avait expliqué l’ancien garde des Sceaux, qui précise : «J’ai dit que je voulais bien un texte à condition qu’il ne dise rien. Et ça ne veut rien dire. Je m’émerveille de cet article.»

Ainsi, s’il est exact que Badinter avait promis un nouveau code pénal réformant le système des peines, Badinter n’a jamais promis formellement de peine de substitution, et encore moins la perpétuité réelle sans possibilité de sortir. «Robert Badinter dit “il ne faut pas désespérer de l’homme”, ce qui ne va effectivement pas dans le sens d’une perpétuité absolue, sans quoi aucune réhabilitation n’est possible. […] Badinter n’a jamais été partisan des peines absolues, pas plus que de la justice absolue», souligne l’historien Jean-Yves Le Naour.

«Perpétuité réelle pour tout le monde»

La loi promise dans les deux ans n’aura pas lieu. En 1986, pendant la cohabitation sous le gouvernement Chirac, la loi dite Chalandon relative à l’application des peines offre la possibilité «par décision spéciale» d’allonger la sûreté à 30 ans pour les condamnations à perpétuité. En 1992, de retour sous un gouvernement socialiste, une réforme pénale allonge la période de sûreté pour les condamnations à perpétuité en la fixant de 18 à 22 ans tout en conservant la possibilité d’étendre à 30 ans pour certains crimes. C’est en 1994, soit treize ans après l’abolition de la peine de mort, sous le gouvernement de Balladur, qu’une peine de perpétuité «réelle», avec une période de sûreté illimitée, est introduite dans le droit. Elle a d’abord concerné, lors de sa mise en place, les affaires où «la victime est un mineur de quinze ans et que l’assassinat est précédé ou accompagné d’un viol, de tortures ou d’actes de barbarie, la cour d’assises peut, par décision spéciale», comme le précisent les articles 221-3 et 221-4 du code pénal. En 2011, Nicolas Sarkozy a étendu cette peine aux meurtres en bande organisée ou assassinat sur des personnes dépositaires de l’autorité publique, «à l’occasion de l’exercice ou en raison de ses fonctions». Puis à la suite des attentats de 2015, la loi relative à la lutte contre le terrorisme de 2016 prévoit une troisième extension : celles pour les auteurs de crime terroriste. En revanche, il est toujours possible de demander la fin de cette période de sûreté au bout de 30 ans.

Régulièrement ressurgit cette question d’une peine de perpétuité «réelle», sans possibilité de sortie. Quelques mois après les attentats du 13 novembre 2015, justement, Xavier Bertrand avait déclaré qu’il n’aurait pas voté l’abolition de la peine de mort, s’il avait été élu en 1981. «A l’époque, si j’avais été député, je crois que je n’aurais pas voté l’abolition de la peine de mort. Aujourd’hui, avec le recul, je pense que supprimer la peine de mort a du sens à une condition : que ceux qui en relèveraient ne sortent jamais, jamais, de prison. Ça veut dire la perpétuité réelle pour tout le monde», avait déclaré le président du conseil régional des Hauts-de-France, et aujourd’hui candidat à l’élection présidentielle de 2022, au micro de Jean-Jacques Bourdin. A la même période, certains députés de droite avaient proposé à nouveau de plancher sur une peine de perpétuité «réelle» et effective.