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Sciences-Po Paris propose-t-elle cinq fois plus de cours sur le genre que sur les collectivités locales ?

«Islamo-gauchisme», la polémiquedossier
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Dans un dossier du «Point», le politologue Pascal Perrineau déplore que «Sciences-Po propose cinq cours sur les collectivités locales, contre vingt-cinq cours sur le genre». La prestigieuse école dément ces chiffres et juge la comparaison «pas pertinente».
Sciences-Po assure que l'école propose presque autant de cours sur le genre que sur les collectivités locales et territoriales. (Fred Kihn/Libération)
publié le 24 juin 2021 à 17h05

Bonjour,

Dans un article publié par le Point au sujet de la place supposée de «l’islamo-gauchisme» dans les universités françaises, qui seraient de plus en plus passionnées «à l’idée de ressusciter la race, d’explorer le genre, ou de lutter contre toutes les oppressions grâce à l’intersectionnalité», le politologue et professeur à Sciences-Po Paris illustre cet intérêt en affirmant que «Sciences-Po propose cinq cours sur les collectivités locales, contre vingt-cinq cours sur le genre. Il ne faudrait pas que l’intérêt pour ces thèmes conduise à l’oubli de problématiques importantes, comme celle des territoires».

Contacté par CheckNews, Pascal Perrineau explique : «Le journaliste du Point cite mes propos avec le rapport 25/5 pour les enseignements relatifs au genre et ceux relatifs aux collectivités territoriales. Le pointage exact sur tous les enseignements du Collège universitaire aux écoles et aux masters est de 30 enseignements sur le genre et 8 sur les collectivités territoriales (dont aucun au niveau des trois années de Collège), ce qui témoigne d’une assez grande indifférence de Sciences-Po Paris aux enjeux des collectivités territoriales et de la décentralisation, alors que nous avons six campus en région.»

L’ancien directeur du Centre de recherches politiques de Sciences-Po (Cevipof) indique qu’il tire ses chiffres «d’un document qui s’appelle “le Grand Syllabus 2018-2019”, publié chaque année universitaire par Sciences-Po, et qui recense tous les enseignements de Sciences-Po Paris sur l’ensemble de ses campus. Dans ces 2 000 pages sont présentés tous les enseignements et leurs titulaires».

«Les questions d’autorités locales sont un des domaines les plus développés»

CheckNews a pu consulter ce catalogue, où les intitulés de cours incluant le terme «genre» apparaissent effectivement plus nombreux que ceux évoquant les «collectivités locales» ou «territoriales». La classification paraît cependant difficile puisque de nombreux cours, notamment en droit administratif, requièrent des connaissances en collectivités territoriales sans qu’elles n’apparaissent dans leur intitulé.

Du côté de la rue Saint-Guillaume, Sciences-Po avance des nombres très différents de ceux de Pascal Perrineau. Après consultation de la dernière édition du «Grand Syllabus 2020-2021», son service de presse assure que l’école propose «56 cours sur le genre et 110 cours portant sur la problématique des territoires, dont 50 uniquement sur le thème strict “des collectivités territoriales et/ou locales”, sur plus de 3 000 enseignements». Soit presque autant de cours sur le genre que sur les collectivités locales et territoriales. «Il est donc faux de dire que les premiers y sont plus nombreux, et ce d’autant plus qu’il n’est pas pertinent de n’aborder la question de leur recensement par le seul recours à cet intitulé», insiste l’école, démentant ainsi les propos de son enseignant.

Faute d’accès à la dernière version du «Grand Syllabus», CheckNews n’a pas pu vérifier le nombre de chacun des cours. Cependant, le doyen de l’Ecole urbaine de Sciences-Po, Patrick Le Galès, confirme l’existence «d’une centaine de cours sur les questions des territoires», principalement à l’Ecole urbaine, mais aussi à l’Ecole d’affaires publiques et dans le tronc commun du Collège de Sciences-Po. Selon lui, «ces questions d’autorités locales sont devenues un des domaines les plus développés à Sciences-Po», notamment avec la création de l’Ecole urbaine, dont il fait remarquer qu’il n’existe pas d’équivalent pour le genre.

«Ça ne fait aucun sens de comparer genre et collectivités territoriales»

Son collègue, Eric Verdeil, responsable scientifique du master Stratégies territoriales et urbaines, assure également que «les enjeux des collectivités territoriales et de la décentralisation sont centraux» dans la formation proposée à l’Ecole urbaine de Sciences-Po, et confirme que «ces questions territoriales (et environnementales) sont également très présentes dans les masters de l’Ecole d’affaires internationales, dans des enseignements de l’Ecole d’affaires publiques (qui préparent aussi aux concours de recrutement des collectivités territoriales, entre autres), au Collège (les deux premières années), par exemple dans mon cours “Urbanisation et mondialisation”, et dans divers ateliers de cartographie…»

Cette répartition des enseignements «dans le cadre du parcours civique que suivent tous [les] étudiants de premier cycle», «au sein de l’incubateur de politiques publiques de l’Ecole d’affaires publiques», ou encore «dans l’ensemble des cours proposés dans le cadre des préparations aux concours administratifs dont ceux de la fonction publique territoriale, qui sont très attractifs pour [les] étudiants et très valorisés au sein de notre préparation», nous a également été citée par Sciences-Po, qui met en avant le fait que «le thème des collectivités locales et des dynamiques de territoires est envisagé de manière plus transversale dans nos programmes de formation, au-delà des cours “classiques”».

Le chiffre de seulement huit cours sur les collectivités territoriales épluchés dans le catalogue par Pascal Perrineau est ainsi jugé «absurde» par Patrick Le Galès, qui insiste sur le fait que «ça ne fait aucun sens de comparer genre et collectivités territoriales». «Il faudrait comparer les cours sur le genre avec les cours sur les territoires au sens large», puisque les études de genre regroupent des sujets aussi variés que la place des femmes dans la société, la masculinité, l’homosexualité ou les transgenres.

Un intérêt particulier

Sur la question même des collectivités, Sciences-Po souligne que «l’évolution du champ d’étude des politiques publiques inclut de nouvelles notions qui rendent compte de nouvelles dynamiques qui parlent de territoires et d’accès aux services publics pour tous». Idem pour Jean-Baptiste Fauroux, ancien directeur général des services de la ville de Lyon, qui tient le cours «Leadership, organisation et management : la pratique des collectivités locales, du service public au service du public», à l’Ecole d’affaires publiques de Sciences-Po. Ce dernier n’estime «pas pertinent» de «poser sur une balance le nombre de cours sur les collectivités locales et ceux sur le genre».

Par ailleurs, si Pascal Perrineau opposait dans le Point le genre aux «problématiques importantes, comme celle des territoires», ces sujets ne sont pas vus comme incompatibles par les enseignants interrogés par CheckNews. Jean-Baptiste Fauroux fait remarquer qu’il reçoit, souvent à la demande d’étudiantes, «pas mal de propositions sur les questions de harcèlement moral et sexuel», qui font partie de problématiques liées au genre auxquelles sont confrontés des managers. Une observation partagée par Eric Verdeil, qui note aussi un intérêt particulier de la part des étudiants, qui «nous demandent souvent d’insister dans les cours sur les questions de genre, du fait qu’il n’y a pas, dans l’Ecole urbaine, d’enseignement dédié explicitement à ces questions (néanmoins présentes notamment dans le cours de sociologie de la ville)».

Affirmation à vérifier

Sciences-Po propose cinq fois plus de cours sur le genre que sur les collectivités locales

Conclusion

L'école dément ce chiffre en se fondant sur le "Grand Syllabus 2020-2021"