Le selfie des pongistes médaillés des deux Corées a fait le tour du monde. Une image certes historique, mais qui s’insère dans une scène qui n’est pas totalement spontanée. Sur une autre vidéo publiée sur TikTok qui commence au moment de la prise de photo officielle sur le podium, on voit un jeune homme en casquette gavroche leur tendre un smartphone pour se prendre un selfie. Une scène qui se répète à chaque cérémonie de remise des médailles, tant pour la descente du podium de Léon Marchand, double médaillée d’or mercredi soir en natation, que pour la remise des médailles d’or et d’argent aux sabreuses Manon Apithy-Brunet et Sara Balzer, mardi.
Commencer la journée avec cette photo, mon cœur de Fella française fana d'escrime fond !
— PasFolleLaGuêpe (@FollePas) July 30, 2024
Merci Mesdames pour le cadeau magique de ce podium français et ukrainien 🇺🇦🇨🇵❤❤ pic.twitter.com/AQX9PN2wTJ
Or, les smartphones utilisés pour les selfies sont tous du même modèle (un téléphone pliant) de la marque Samsung et les personnes qui les donnent aux athlètes portent les uniformes des remettants des médailles, donc des volontaires de Paris 2024. Une association qui illustre le partenariat d’ampleur entre les Jeux olympiques et Samsung, qui a permis à cette pratique des «Victory selfies» de s’imposer sur les podiums. Certains internautes sur les réseaux sociaux s’inquiètent même de ces selfies, qui seraient «imposés [aux athlètes, ndlr] pour chaque podium».
Les Jeux de Paris 2024 comptent en fait plusieurs catégories hiérarchisées de partenaires. Parmi ces catégories, les «partenaires mondiaux» représentent le plus haut parrainage olympique. Cela donne aux entreprises concernées des droits marketing à l’international, peu importe la ville et le pays hôte. C’est ce niveau de partenariat auquel appartient Samsung dans la catégorie «des équipements de communication sans fil», depuis les Jeux de Séoul en 1988 et jusqu’en 2028.
Ce partenariat privilégié permet à Samsung d’imposer plusieurs «coups» marketing lors des différentes éditions de Jeux olympiques. Ainsi, depuis les Jeux de Sotchi de 2014, l’entreprise coréenne offre les téléphones de sa marque à tous les athlètes. L’édition 2024 ne fait pas exception, avec la mise en avant de leur téléphone pliable dont près de 17 000 exemplaires ont été offerts aux athlètes. Certains n’ont d’ailleurs pas manqué de se réjouir de ce «cadeau» sur les réseaux sociaux. C’est ce même téléphone qui a été beaucoup utilisé par les athlètes pour immortaliser la cérémonie d’ouverture depuis leur bateau et dont 200 exemplaires ont été installés sur 85 bateaux pour diffuser l’événement via un réseau 5G privé.
Première dans l’histoire des JO
Mais le «coup» marketing le plus important est probablement cette idée des «Victory selfies», comme les appellent Samsung. «Pour la première fois dans l’histoire des Jeux olympiques, Samsung fournira son smartphone […] aux athlètes pour que ceux-ci s’en servent sur le podium […] par le passé, les objets personnels, téléphone compris, n’étaient pas autorisés sur l’aire de compétition», est-il ainsi écrit sur le site internet de la marque. La communication de Samsung explique ensuite que les «selfies de la victoire» sont proposés aux athlètes lors des cérémonies de remise des médailles aux médaillés individuels et aux équipes composées de deux athlètes au maximum.
Pour utiliser les photos prises lors de ces «selfies de la victoire», les athlètes doivent d’abord passer par leur compte «Athlete365», un compte officiel en ligne des olympiens. Les photos peuvent être utilisées à des fins personnelles et aussi à des fins commerciales, mais seulement auprès des Partenaires Mondiaux, auxquels appartient Samsung. Inversement, les Partenaires Mondiaux peuvent utiliser ces images, sous réserve de conclure un accord commercial avec tous les athlètes présents sur l’image.
Quid des athlètes qui ne souhaitent pas participer aux selfies ? La page d’Athlète365 dédiée à cette question mentionne que «si au moins un des athlètes présents à une cérémonie de remise des prix ne souhaite pas apparaître sur le selfie de la victoire, celui-ci sera annulé». Il est aussi précisé qu’il est possible pour les athlètes d’indiquer qu’ils ne souhaitent pas participer au selfie par mail ou lors du briefing qui précède la cérémonie de remise des médailles. Le CIO confirme à CheckNews : «Les équipes chargées de la cérémonie de la victoire sont parfaitement informées et travaillent directement avec les athlètes - et [le selfie] n’est pas obligatoire.»
La pub en principe interdite
Reste que cette pratique semble entrer en contradiction avec la charte olympique, qui dispose «qu’aucune forme d’annonce publicitaire ou autre publicité ne sera admise dans et au-dessus des stades».
Il existe toutefois des exceptions à ce principe puisque la commission exécutive du CIO peut «autoriser à titre exceptionnel» selon la même charte. Il est ajouté qu’«aucune forme de publicité ou de propagande, commerciale ou autre, ne peut apparaître sur les personnes, les tenues, les accessoires […] à l’exception de l’identification [le logo de la marque] du fabricant de l’article ou de l’équipement concerné, à la condition que cette identification ne soit pas marquée de manière ostensible à des fins publicitaires». Pour contourner l’interdiction de la pub, Samsung a donc soit obtenue une autorisation «à titre exceptionnel» par le CIO, soit ce dernier a considéré qu’il ne s’agissait pas d’une forme de publicité et que le logo du téléphone était suffisamment discret pour être utilisé au sein du site olympique. Interrogé à ce sujet par CheckNews, le CIO n’a pas encore répondu.
Une autre entorse à la règle est d’ailleurs visible lors des remises de médailles puisque c’est LVMH qui fournit le plateau contenant les médailles. Or, ce plateau est paré des couleurs iconiques des malles Louis Vuitton, ce qui permet d’associer la marque de luxe à cette édition des Jeux olympiques.