La vidéo est devenue virale ce jeudi 11 avril. Initialement publiée sur le réseau TikTok par une jeune femme se disant «sidérée», elle montre une scène se déroulant dans un magasin de chaussures. Un homme, filmé en pleine conversation téléphonique, se présente à son interlocuteur comme le vendeur d’une boutique de la marque Geox, située à Strasbourg. L’ambiance est tendue : au téléphone, il demande qu’un «autre student» soit envoyé dans son magasin car l’intéressée – en l’occurrence la jeune femme en train de le filmer – ne convient pas. En cause : le hijab qu’elle porte sur la tête. On entend ainsi le vendeur lui assurer : «Vous n’avez pas la tenue adéquate. On est en France madame, c’est dans la loi. C’est laïc, moi j’ai une collègue qui a une croix autour du cou elle la met pas non plus. Vous êtes en train de me faire passer pour ce que je ne suis pas et ça je n’accepte pas.»
Le magasin GEOX de Strasbourg refuse une intérimaire car elle porte le voile.
— Brahim 🇵🇸 (@BramsGue) April 10, 2024
« C’est la France ici! »
Agression verbale, violence et tentative d’intimidation.
Soutien à cette femme qui a subit une violente attaque islamophobe. #BoycottGeoxpic.twitter.com/Bg2fTz3KGG
Une fois la conversation téléphonique terminée, l’étudiante se filme en train de récupérer ses affaires dans un casier puis quitte la boutique en souhaitant au vendeur «une excellente journée et de changer de mentalité». Cette vidéo, qui a cumulé des millions de vues, est désormais supprimée du compte TikTok de la jeune femme. Elle continue néanmoins de circuler massivement sur le réseau X (anciennement Twitter), assortie de nombreuses insultes et d’appels au harcèlement à l’adresse de l’étudiante, comme du vendeur.
Menaces sur les réseaux sociaux
Sollicitées, les diverses parties de cette histoire n’ont pas donné suite. La jeune étudiante n’a pas répondu à notre sollicitation. De la même manière, ni le siège de Geox en Italie (vers lequel renvoie la direction en France), ni la plateforme d’intérim Student Pop, par laquelle la jeune femme avait trouvé cette mission de quelques jours, ne se sont encore décidés à réagir publiquement. D’après nos informations, il apparaît que la jeune femme avait déjà réalisé l’été dernier une précédente mission d’intérim, dans cette même boutique. A l’époque, elle ne portait pas encore le voile. Dans une autre vidéo TikTok, désormais supprimée, elle expliquait porter le hijab depuis peu et n’avoir pas encore changé ses photos de profil sur LinkedIn ou sur ses CV, afin d’éviter les discriminations à l’embauche.
Contactée, la boutique Geox de Strasbourg assure avoir dû fermer ses portes jeudi, à cause de menaces reçues sur les réseaux sociaux. Elle a rouvert ce vendredi matin, sous protection policière, mais le vendeur en question a été placé en arrêt de travail. Auprès de CheckNews, le parquet de Strasbourg indique que le gérant du magasin a déposé plainte contre X, dans la soirée du jeudi 11 avril, des chefs de diffamation par moyen de communication au public par voie électronique, injure publique et appels téléphoniques malveillants. Sur le fondement de cette plainte, une enquête a été ouverte et confiée au commissariat de Strasbourg.
Principe de neutralité
Sur le fond de l’affaire, il est possible, en théorie, pour une entreprise d’interdire le port du voile, ou «de toute expression visible de convictions politiques, philosophiques ou religieuses» à ses salariés. A la base, explique Aurélien Rissel, maître de conférences en droit et spécialiste de l’appréhension juridique du phénomène religieux, «un salarié arrive en entreprise avec toutes ses libertés fondamentales dont sa liberté de conviction». Mais depuis la loi El Khomri de 2016, l’entreprise peut inscrire un «principe de neutralité» dans son règlement intérieur, «restreignant la manifestation des convictions des salariés si ces restrictions sont justifiées par l’exercice d’autres libertés et droits fondamentaux ou par les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise et si elles sont proportionnées au but recherché». En clair, selon Aurélien Rissel, «l’interdiction n’est valide que si le règlement intérieur est systématiquement appliqué et si le salarié en a pris connaissance. L’employeur doit justifier d’une atteinte à son image ou de possibles conséquences défavorables en l’absence de l’application de la clause, qui peut aussi être justifiée au nom de la paix sociale».
A l’échelle de l’Europe, la jurisprudence va aussi dans ce sens. En 2021, la Cour de justice de l’Union européenne, saisie par deux femmes musulmanes qui contestaient l’interdiction de porter le voile sur leur lieu de travail, en Allemagne, a jugé que cette règle n’était pas discriminatoire. Si tant est qu’elle s’applique à toutes les religions et que l’entreprise peut justifier que cette interdiction relève d’un «besoin réel» pour mener à bien son activité.
D’après nos informations, Geox aurait assuré auprès de la plateforme Student Pop disposer du principe de neutralité dans son règlement intérieur. Une information que nous n’avons pas pu vérifier à cette heure, face à l’absence de réaction de l’entreprise.