Des «points de situation», des «alertes info», des émojis rond rouge et gyrophare, des photos et vidéos… le tout relayé en anglais. Le tout avec l’apparence du plus grand sérieux. Voilà comment on pourrait résumer les contenus partagés sur le réseau social X (anciennement Twitter) par le compte intitulé «Mossad Commentary».
Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, ce compte contribue à la confusion de l’information, capitalisant sur le couvert de la légitimité que lui confèrent son nom d’utilisateur – @MOSSADil –, sa photo de profil, qui n’est autre que le logo du Mossad, ainsi que la petite coche bleue synonyme de certification (même si elle ne veut plus dire grand-chose aujourd’hui puisqu’il suffit de payer pour en être doté). De nombreux utilisateurs – y compris des journalistes parfois – tombent dans le piège, pensant avoir affaire au compte officiel du Mossad, le service de renseignement israélien, chargé du renseignement et des opérations spéciales extérieures pour le compte de l’Etat hébreu.
Comme CheckNews le rapportait lundi 30 octobre, le compte figure parmi ceux qui ont monté en épingle sur les réseaux sociaux, ces deux derniers jours, la prétendue révélation de la mise à mort d’un enfant dans un four, lors de l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre. Une information qui n’a été confirmée par aucune source officielle, et repose uniquement sur une déclaration d’Eli Beeri, fondateur et directeur de United Hatzalah of Israel, une organisation de secours d’urgence. Après la reprise de ce témoignage non vérifié par quelques journalistes, «Mossad Commentary» a affirmé confirmer ce récit, en l’agrémentant de nouveaux éléments sordides, comme le viol supposé de la mère «pendant que le bébé brûlait». A ce jour, son tweet a été consulté plus de 5 millions de fois.
Posts mensongers non supprimés
«Mossad Commentary» avait déjà été épinglé pour avoir diffusé, le 15 octobre, deux vidéos censées montrer l’Iron Beam, un système israélien de défense aérienne, en pleine action contre des roquettes tirées depuis la bande de Gaza. Sauf qu’il s’agissait d’images prises au cours d’une partie sur le jeu vidéo de combat Arma III, comme l’a notamment pointé un article du média en ligne l’ADN. Un autre article, issu cette fois du service de vérification du journal américain USA Today, souligne que l’Iron Beam est toujours en cours de développement, et n’est donc pas employé dans le cadre du conflit qui se joue actuellement au Proche-Orient (contrairement à l’Iron Dome, ou «Dôme de fer» en français).
Décryptage
La diffusion de ces vidéos avait aussi valu à Mossad Commentary d’être qualifié de «faux compte du Mossad avec [la certification] Twitter Blue» par le journaliste de la BBC Shayan Sardarizadeh, qui tient sur X un fil quotidien pour alerter sur les contenus de désinformation relatifs au conflit entre Israël et le Hamas.
Le 15 octobre toujours, le compte imitant le Mossad s’est finalement lui-même corrigé en se fendant d’un tweet qui indique que «selon l’armée israélienne, l’Iron Beam n’est pas encore opérationnel». Mais sans pour autant effacer ses publications précédentes, que ses près de 130 000 abonnés peuvent donc continuer à relayer. De sorte que ces posts mensongers ont été respectivement consultés par 5,8 millions et 382 000 utilisateurs.
Là aussi, Mossad Commentary n’en est pas à son coup d’essai, apportant souvent sur le tard précisions et corrections à ses propres publications. Lundi, le compte a posté une vidéo présentée comme montrant «l’imam de Beit Hanoun», une ville dans le nord de la bande de Gaza, «pris en flagrant délit» alors qu’il a une relation sexuelle avec un homme à l’intérieur de sa mosquée. Quelques minutes plus tard, un nouveau post venait préciser que «cette vidéo n’est pas vérifiée» car on ne sait pas «de quand elle date». Dans un commentaire, on apprend que la vidéo remonte à 2021, provient en fait du Pakistan, et montre un professeur d’une école coranique en train d’agresser sexuellement l’un de ses étudiants mineurs – la diffusion de ces images avait provoqué un scandale dans le pays. Mais le mal a de toute façon été fait, puisque le tweet de «Mossad Commentary» contenant la vidéo cumule 1,3 million de vues, contre seulement 66 000 pour le tweet apportant la précision. Et c’est ainsi que cette vidéo s’est provisoirement retrouvée sur le forum du site jeuxvideo.com, avec le titre «[Alerte NOIRE] Révélations du Mossad sur l’imam de Gaza», et le commentaire «Bordel de merde ce missile atomique envoyé par le Mossad». La discussion a depuis été fermée par les modérateurs du site.
Plusieurs milliers de nouveaux abonnés
Jusqu’au 15 octobre, le compte s’intitulait «Israël Mossad», comme cela apparaît dans la version du tweet cité par USA Today archivée le 17 octobre. L’article de vérification publié par le quotidien étasunien rapporte que le compte «se présentait à l’époque comme affilié à l’agence de renseignement israélienne Mossad», qu’il a par la suite «été temporairement restreint» – une décision prise par le réseau social lorsqu’un compte viole ses règles – et qu’il «s’identifie désormais comme Mossad Commentary».
Ce changement d’intitulé est permis sur le «nom d’affichage» d’un compte X, lequel peut le mettre à jour à tout moment. En revanche, le «nom d’utilisateur», qui figure dans l’adresse URL du profil, est unique et immuable : en l’occurrence «MOSSADil», ce qui peut toujours prêter à confusion. Tout compte peut également modifier sa biographie : dans le cas qui nous intéresse, on est passé d’«Affaires internationales» à «Nous sommes basés sur du commentaire», limitant de fait un peu le risque de croire que le compte parle au nom du Mossad.
En consultant les archives récentes, on s’aperçoit aussi que de jour en jour, le nombre d’abonnés au compte s’est accru de plusieurs milliers. Selon les données affichées par l’outil Hype Auditor, Mossad Commentary a, au cours des trente derniers jours, gagné plus de 22 000 abonnés.
Nom d’utilisateur ambigu
A noter qu’un autre compte se référant au Mossad a pu se faire une place sur X. Lui aussi contribue, à sa façon, à brouiller les pistes. Le compte en question s’intitule «The Mossad : Satirical, Yet Awesome» (qu’on peut traduire par «Satirique et pourtant génial»). Mais bien qu’ayant toujours partagé des contenus parodiques, il affiche aussi un nom d’utilisateur pour le moins ambigu, @TheMossadIL. En outre, il se trouve que ce compte est également certifié (ce qu’il n’était pas avant le rachat de Twitter par Elon Musk et le lancement d’un système de certification payant).
A ses débuts, le compte utilisait «The Mossad» comme nom d’affichage, accompagné de la biographie suivante : «Le Mossad est la célèbre agence de renseignement israélienne. Rencontrez et saluez nos agents et découvrez nos opérations ici même sur Twitter». Un aperçu des archives enregistrées sur Archive Today montre que son nom a régulièrement changé depuis, le compte s’étant par exemple un temps intitulé «The Mossad : The Social Media Account». Tout comme son identité graphique a beaucoup évolué, passant notamment d’une bannière montrant un drapeau israélien à un dauphin flanqué de la croix juive.
L’individu derrière ce compte a été identifié par le Jerusalem Post en 2018. Il s’agit d’un Canadien répondant au nom de Shawn Eni, installé en Israël et travaillant dans le domaine des logiciels d’entreprise. Dans une interview publiée sur YouTube en juillet, Shawn Eni expose les raisons qui le poussent à tenir ce compte parodique aux près de 480 000 abonnés, et qui continue parfois d’être pris pour un compte officiel.
On trouve enfin sur X un compte officiel du Mossad, consacré au recrutement, en sommeil depuis 2020 et ne comptant que 14 000 followers.