Question posée sur X, (anciennement Twitter)
Vous nous interrogez sur le recensement du nombre d’actes antisémites communiqué par le ministère de l’Intérieur, depuis l’attentat du Hamas, le 7 octobre, et la manière dont les chiffres sont réunis. Sur Europe 1, le ministre Gérald Darmanin a présenté mardi 14 novembre les derniers chiffres en date, notant que «1 518 actes antisémites ou propos antisémites qui vont directement vers les Français de confession juive ont été recensés depuis le 7 octobre». Soulignant que parmi ce nombre, on compte «quasiment 600 interpellations», le ministre a vaguement expliqué que «ce sont essentiellement des tags, des insultes mais il y a aussi des coups et blessures».
Ce matin, des insinuations très choquantes ont été tenues par un invité de RMC. Je les réprouve totalement.
— Gérald DARMANIN (@GDarmanin) November 14, 2023
Je remercie la Grande Mosquée de Paris pour les éclaircissements donnés et pour s'être inscrit en faux dans la minimisation des actes antisémites qui touchent la France.…
La publication du ministre indique le détail des faits antisémites, exprimés en pourcentages. L’entourage du ministre précise que «ces pourcentages se fondent sur le nombre de 1 518 actes antisémites depuis le 7 octobre donnés par le ministre» ce mardi. Selon les informations postées par Gérald Darmanin, ces 1 518 actes antisémites se déclinent ainsi : «50 % de tags, affiches, banderoles (parmi lesquels des «morts aux juifs», des croix gammées, etc.) ; 22 % de menaces et insultes ; 10 % d’apologie du terrorisme ; 8 % d’atteintes aux biens ; 6 % de comportements suspects ; 2 % de coups et blessures ; et 2 % d’atteintes aux lieux communautaires.»
Ce qui donne environ 760 tags, affiches et banderoles, 334 menaces et insultes, 152 apologies du terrorisme, 121 atteintes aux biens, 91 comportements suspects, 30 coups et blessures et autant d’atteintes aux lieux communautaires.
Dans de nombreuses publications sur les réseaux sociaux, minimisant pour certaines les faits antisémites, il est affirmé que le recensement serait l’œuvre des institutions juives, du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), ou d’une de ses émanations, le SPCJ (Service de protection de la communauté juive). Un message posté sur X, le 14 novembre par Davut Paşa, se définissant comme «historien, conférencier et activiste [et] Français vivant en Turquie», indique ainsi qu’il est possible d’«inventer un acte antisémite», en se rendant sur le site du SPCJ et de signaler, sans preuve aucune, une agression antisémite.
TUTO : Comment inventer un acte antisémite
— Davut Paşa (@CokYasaaa) November 14, 2023
1. Se rendre sur le site du SPCJ
2. Inventez une histoire
3. Remplissez les champs
4. Envoyez
C’est fait ! 1 acte antisémite en plus sans aucune vérification sera transmis à @Interieur_Gouv pic.twitter.com/hqPXRjur7J
Cette confusion peut s’expliquer par le fait que le SPCJ communique chaque année les chiffres des actes antisémites en les présentant comme recensé par «le ministère de l’Intérieur et le SPCJ». Par ailleurs, il est exact que le site du Service de protection de la communauté juive propose un formulaire de signalement de tels actes. Mais cela ne veut pas dire que le décompte réalisé à partir de ces signalements est celui communiqué par le ministère.
Jusqu’à 2008, et comme l’expliquait Libération, il existait deux recensements : l’un effectué par les instances de la communauté juive, l’autre par le ministère de l’Intérieur. Afin «d’améliorer la fiabilité et la qualité des chiffres», une collaboration entre les associations et le ministère a été instaurée afin de réaliser un seul et même décompte, explique Yonathan Arfi, président du Crif. Lequel décompte est donc désormais celui communiqué par le ministère. La collaboration avec le ministère de l’Intérieur avait été mise en place, explique Yonathan Arfi, au début des années 2000, et l’explosion du nombre d’actes antisémites, afin «d’améliorer la fiabilité et la qualité des chiffres».
Interrogé sur la façon dont ce bilan est réalisé, le ministère de l’Intérieur indique à CheckNews qu’il s’agit de remontées des signalements effectués auprès des «préfectures, de la police et de la gendarmerie», et notamment des plaintes. «Ce ne sont pas des statistiques mais un état des remontées», ajoute le ministère au sujet des chiffres communiqués par Gérald Darmanin. On nous précise par ailleurs que ce bilan est effectué au sein du ministère et non par le Crif ni le SPCJ. Un signalement effectué uniquement sur le site du SPCJ ne sera pas intégré au décompte du ministère s’il n’a pas donné lieu par ailleurs à un dépôt de plainte ou une main courante.
Dans un article de la revue Dalloz de 2020, disponible sur le site du ministère de l’Intérieur, sur «les atteintes à caractère raciste, xénophobe ou antireligieux : la mesure statistique d’un phénomène peu déclaré aux forces de sécurité», la méthode et le lien avec le SPCJ sont ainsi détaillés :
«Dans la mesure où l’étude des bases statistiques des infractions commises ne permet pas de cibler cette forme spécifique de délinquance qui regroupe plusieurs types d’infractions, une méthodologie et des critères spécifiques ont été définis dès 2008. Le SCRT [service central du renseignement territorial] recueille ainsi les informations que lui font remonter diverses sources (relais territoriaux, partenaires locaux tels que commissariats de police et brigades de gendarmerie, associations ou encore organes représentatifs de culte) qui lui permettent d’affiner la caractérisation des faits retenus à travers une approche statistique, recoupée par la perception des communautés victimes», peut-on lire.
«Il peut y avoir des échanges pour éclairer le contexte, sur la façon de caractériser l’antisémitisme qui évolue avec le temps», explique Yonathan Arfi, le président du Crif, contacté par CheckNews. Par ailleurs, l’association remonte au ministère les signalements qu’elle reçoit. «Certaines personnes s’adressent directement à nous, et nous leur remontons des choses, mais nous leur indiquons de porter plainte.» Et d’ajouter : «C’est le ministère qui décide au final.» Et «seuls les faits ayant donné lieu à un dépôt de plainte ou à une intervention des forces de l’ordre suivi d’un constat sont intégrés dans les statistiques», lit-on dans l’article de Dalloz.
Sur la teneur des actes recensés actuellement, Yonathan Arfi affirme : «Actuellement, les messages [signalés comme actes antisémites, ndlr] sont très directement liés au conflit. La haine d’Israël est un carburant antisémite.» Mais selon le président du Crif, un tag ou une inscription portant uniquement sur «Israël n’est pas antisémite». Arfi précise qu’il «faut qu’il y ait une qualification probable», pour l’ouverture d’une procédure judiciaire.
A ce sujet, le ministère de la Justice indique à CheckNews que 340 enquêtes judiciaires ont été ouvertes entre le 7 octobre et 15 novembre en lien avec les attentats en Israël et celui d’Arras pour des actes antisémites et d’apologie du terrorisme. «Les enquêtes étant souvent ouvertes pour les deux», précise la chancellerie. Par ailleurs, 306 signalements Pharos enregistrés pour des motifs similaires sont à l’étude. C’est le travail du parquet de qualifier les faits en fonction des investigations et constations effectuées et de décider, au cas par cas, de l’orientation de l’enquête.
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Tous les actes recensés par le ministère de l’Intérieur ne donneront pas forcément lieu à des enquêtes. Le ministère de la Justice précise, par ailleurs, qu’une seule enquête judiciaire peut regrouper plusieurs faits ou plusieurs auteurs, comme c’est le cas dans l’enquête ouverte après des chants antisémites filmés dans une rame de métro de la ligne 3, à Paris. Dans cette affaire, huit mineurs ont été interpellés et placés en garde à vue.