Ils accusent, eux aussi. Dans la foulée de l’affaire Bétharram, dans les Hautes-Pyrénées, en Haute-Savoie ou en Seine-Maritime, des centaines d’anciens élèves d’établissements scolaires catholiques dénoncent à leur tour les violences physiques et sexuelles qu’ils ont subies de la part de surveillants et d’enseignants. Ce mercredi 2 avril, c’est au tour des anciens élèves du collège catholique Saint-Pierre du Relecq-Kerhuon, à côté de Brest, de déposer un premier corpus de 50 témoignages dénonçant des violences sur mineurs, qui auraient été perpétrées pour l’essentiel par des enseignants entre 1962 et 1996.
En conférence de presse, le porte-parole du collectif a décrit «les séquelles de ces violences physiques, humiliations, tortures psychologiques», évoquant des «dépressions, addictions diverses, pertes de chances, troubles de croissance et même suicides». Destiné au procureur de la République de Brest, le dépôt de ces témoignages vise l’ouverture d’une information judiciaire afin de faire «toute la lumière sur une période sombre pendant laquelle des milliers de mineurs innocents ont été brutalisés». Cette vague de témoignages pourrait permettre à leurs auteurs d’être auditionnés par un enquêteur, si le procureur de la République s’en saisit. Plusieurs d’entre eux ont relaté à CheckNews ce qu’ils ont écrit.
«Trois années là-bas ont déterminé toute ma vie»
Il aura suffi de quelques secondes avant que la voix de Robert T. ne tremble à l’évocation de ce qu’il a subi au collège Saint-Pierre, dans les années 1970. «Le prof L.G. talochait la tronche, donnait des coups de poing et des coups de pied et il fallait tomber au sol, sinon il continuait», décrit-il. Selon lui, son témoignage écrit ne peut restituer toute la violence qu’il assure avoir encaissée : gifles, coups de genoux, règle qu’on brise sur le crâne, insultes.
Robert T. affirme que ce traitement a eu pour lui des conséquences dévastatrices : sans-abrisme, alcoolisme, addiction à la drogue et hospitalisation en psychiatrie. A la sortie de l’hôpital, l’ancien élève raconte les interrogations des médecins : «Vous n’êtes pas bipolaire ou maniacodépressif, vous êtes profondément triste. Mais triste de quoi ?» Pour lui, le lien avec son vécu à Saint-Pierre est évident. «Mes trois années là-bas ont déterminé toute ma vie.»
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«On s’est aperçu qu’il y a eu un focus par la Ciase [la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise, ndlr] sur les violences sexuelles», explique Frédéric B., le fondateur du collectif des anciens élèves, «mais les violences physiques ont aussi eu des conséquences très graves». Lui aussi a livré son témoignage écrit, où il raconte avoir été forcé de rester à genoux sur une estrade pour recevoir des gifles, ou encore d’avoir été enfermé sous l’estrade par Joël B., l’un des seuls enseignants à s’être exprimé dans la presse, auprès de CheckNews.
Humiliations constantes
Si les violences sexuelles n’étaient pas aussi systématiques, selon les témoignages, que dans un établissement comme Notre-Dame de Bétharram, elles figurent dans les récits des anciens élèves. L’un des témoignages, livré par Eric B., élève de 1972 à 1976, fait état d’une agression sexuelle commise par le directeur de l’établissement à la fin de sa classe de troisième. «Il m’a fait monter dans un escalier en colimaçon, puis m’a serré très fort, en m’embrassant sur les joues et en me caressant autour de mon pantalon en velours», raconte-t-il, avant de réussir à s’échapper en prétextant aller aux toilettes. Un autre ancien élève, Joël Lagadec, raconte avoir lui aussi subi des attouchements dans le bureau du directeur.
Aux violences physiques et sexuelles se serait ajoutée la violence psychologique des humiliations verbales constantes. «Chaque enseignant nous insultait : “cossards”, “fainéants”. Nous vivions dans une terreur constante et un rabaissement permanent de notre personnalité d’enfants», peut-on lire dans le témoignage d’Eric B. S’il s’exprime aujourd’hui devant la justice, c’est avec un objectif clair : «Que ce qu’on a subi soit reconnu comme un délit. Si les gouvernements ont longtemps fermé les yeux, il est temps que la vérité éclate.»
Lundi, auprès de la radio Ici Breizh Izel, Christophe Geffard, le directeur diocésain de l’enseignement catholique du Finistère, avait réagi aux multiples témoignages publiés ces dernières semaines dans la presse : «On n’était pas au courant de ce type d’agissements aussi violents, aussi abominables, et aussi nombreux. C’est une évidence. Le collège avait pour réputation d’être assez dur, mais de là à lire tout ce qu’on a lu comme témoignages, c’est juste inimaginable.» Alors que le média local indiquait qu’une réunion avait eu lieu la semaine dernière entre l’évêché, l’enseignement catholique et les victimes, Christophe Geffard a assuré avoir pleinement entendu les victimes : «On reconnaît tout ce qui a pu se passer, c’est clair avec tous les témoignages qu’on a pu lire. On cherche maintenant à savoir comment ça a pu se passer, et pourquoi ça a duré autant de temps. C’est une page qu’on veut ouvrir.» A cet effet, les archives de l’évêché, de la direction diocésaine et du collège seront ainsi ouvertes aux victimes.