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Tour de France : le régime végan du cycliste Simon Geschke implique-t-il la prise de compléments ?

Tour de France 2021dossier
Le coureur allemand de l’équipe Cofidis du Tour de France suit depuis 2017 une alimentation entièrement végane. Celle-ci exclut tous les produits d’origine animale et nécessite une supplémentation.
Sur cinq ans de prise de compléments alimentaires, le coureur allemand Simon Geschke confirme à CheckNews ne jamais avoir rencontré de problème lors d’un contrôle antidopage. Entre Libourne et Saint-Emilion, Tour de France 2021. (Thomas Samson/AFP)
par Danae Corte
publié le 20 juillet 2021 à 14h15
Question posée par Rémi le 15 juillet 2021,

Bonjour,

Gagnant de l’étape de Pra Loup en 2015, le coureur cycliste allemand Simon Geschke n’a apparemment rien à envier à ses concurrents omnivores. Pourtant depuis 2017, l’athlète suit un régime vegan, qui prohibe les aliments contenant des substances d’origine animale. En sont exclus la viande bien sûr, mais aussi les œufs, le lait et le miel.

Pour l’édition 2021 du Tour de France, le performeur a été recruté par l’équipe française Cofidis. C’est cette même année que le public découvre avec surprise son véganisme dans l’émission de télévision Vélo Club, diffusée sur France 2, qui relate quotidiennement les étapes du Tour de France. Dans ce contexte, vous nous demandez si ce régime vegan lui suffit pour pratiquer le sport de haut niveau et si des compléments alimentaires lui sont prescrits.

CheckNews a posé directement la question au coureur. Celui-ci nous affirme avoir transitionné progressivement. Avec une alimentation adéquate et une supplémentation, il indique n’avoir connu aucune difficulté à participer à cinq Tour de France (sur les neuf que compte sa carrière) sans consommer de produits animaux.

Cent grammes de plus dans l’assiette

Lorsqu’il arrive dans l’équipe Cofidis en début d’année, il dit ne pas avoir non plus inquiété son équipe, avec des «tests sanguins très bons». C’est davantage sur l’organisation que la question s’est posée : «Il fallait que l’on puisse me cuisiner des plats adaptés. En général, le cuisinier et la nutritionniste de l’équipe font les repas, ou préviennent les restaurants pour qu’ils me cuisinent un plat vegan. Avec le chef, c’est encore plus facile, il me fait des plats personnalisés.»

Lionel Le Mer, le chef cuisinier de l’équipe, a été surpris de trouver un cycliste vegan à sa table : «Quand je l’ai appris, j’ai un peu paniqué, j’ai acheté des bouquins» confie-t-il à CheckNews. Pourtant habitué de la cuisine sans viande signature du chef Jean Montagard, il a dû s’adapter à l’alimentation du coureur : «Quand on est végétarien, il n’y a pas de soucis, mais avec le véganisme il y a quand même des risques de carence.»

Suivant le Tour à bord de son food truck, il prend soin d’adapter les repas et collations selon les besoins. «Là par exemple aujourd’hui, j’ai fait une salade césar pour toute l’équipe. Pour Simon, c’est salade de lentilles avec des graines de courge, du tofu et une sauce cacahuète.» Pour bien équilibrer les repas, il fait attention à deux choses : les protéines végétales et les portions. «En général par assiette, il mange une centaine de grammes de plus que les autres», assure-t-il.

Un peu de logistique

Pour assurer la bonne santé du coureur, rien n’est laissé au hasard. Les menus sont préparés des mois avant le Tour par la nutritionniste et le cuisinier de l’équipe, et sont prêts dès le mois de juin. Pour Laurie-Anne Marquet, docteure en nutrition qui supervise les repas des cyclistes Cofidis, la clé est l’anticipation. Elle nous explique : «Tout le monde ne peut pas mettre en place cette alimentation sans se renseigner. Il faut le bon équilibre d’acides aminés, de protéines végétales, de glucides.»

Au quotidien, Simon Geschke essaye d’équilibrer lui-même son alimentation sans faire de «plan strict» : «J’essaye d’avoir les bons équilibres entre les glucides et les protéines, de manger des fruits et des légumes frais, des protéines végétales comme les haricots, les lentilles ou les pois chiches. Pour les pâtes, je dois vérifier qu’il n’y a pas d’œuf dedans.»

La nutritionniste de Cofidis soutient l’engagement du coureur : «C’est une alimentation qui peut être intéressante, parce que pauvre en produits acides et riche en fibres, par exemple. Ce n’est pas un régime qui améliore la performance sportive, mais c’est important de le respecter si cela fait partie de son équilibre de vie.» Elle souligne tout de même que «c’est un régime qui a des carences avérées».

Des suppléments en vitamine D, en fer, en zinc et en B12

Pour enrichir son alimentation, l’athlète doit donc se complémenter : «Je prends de la vitamine D et du fer, parce que c’est très compliqué d’en trouver assez en tant qu’athlète.» Il affirme ainsi avoir commencé à prendre ces compléments avant même d’être vegan. Sa nutritionniste préconise également un apport supplémentaire en zinc. Il faut ajouter à ce régime de la vitamine B12. Ces deux derniers compléments sont directement liés à son régime.

Seule, l’alimentation végétale de l’athlète ne lui suffirait pas à couvrir certains apports. La vitamine B12 par exemple, essentielle entre autres au fonctionnement du système nerveux, est rendue assimilable par le corps humain par fermentation dans le système digestif. Elle n’existe pas à l’état végétal, à l’exception peut-être de certains champignons, algues et légumes fermentés. Lui a fait le choix d’une complémentation qu’il estime «naturelle» : «C’est un complément que j’achète sur internet, à base de produits végétaux. C’est la marque Sunday Natural.» Le sportif affirme être très prudent sur la provenance de ses compléments : «Il faut toujours vérifier qu’ils ne contiennent pas des substances interdites, comme les stéroïdes. Il y a peu de chance, mais il y en a tout de même une que ce soit considéré comme du dopage. Ce produit-là est sûr.» Sur cinq ans de prise de ces compléments alimentaires, le coureur confirme à CheckNews ne jamais avoir rencontré de problème lors d’un contrôle.

Pas dopé ?

La marque Sunday Natural (dont le département de production est basé à Berlin), détaille sur son site les éléments actifs de son complément en vitamine B12. Le produit est ainsi décrit comme «vegan naturel, sans additifs et sans OGM», contenant de la «vitamine B12 bio active sous forme de méthylcobalamine, d’hydroxocobalamine et d’adénosylcobalamine». Trois composants qui ne figurent pas dans la liste des substances interdites lors des compétitions sportives, publiée chaque année par l’Agence mondiale antidopage (AMA). Cette liste est ensuite transposée en droit français, par un décret qui entre en vigueur le 1er janvier. L’AMA confirme à CheckNews que les micronutriments tels que la B12, le fer ou le calcium ne constituent pas, en eux-mêmes, des dopants.

Il n’en reste pas moins que l’organisme de contrôle préconise une «extrême prudence» : «Dans de nombreux pays, la fabrication et l’étiquetage des suppléments peuvent ne pas suivre des règles strictes, ce qui peut conduire à un supplément contenant une substance interdite par les réglementations antidopage. Cela peut se produire pour diverses raisons, y compris l’ajout délibéré ou la contamination». (Le terme «contamination» est utilisé pour qualifier la présence involontaire d’une substance interdite dans un produit. Celle-ci peut se produire dès la fabrication, par exemple lorsqu’un laboratoire fournit plusieurs marques et manipule donc un grand nombre de substances.) L’agence poursuit : «Justifier l’obtention d’un résultat d’analyse anormal par l’utilisation d’un complément alimentaire mal étiqueté n’est pas une défense adéquate dans une audience liée à un contrôle positif.» Elle recommande quand même aux sportifs de déclarer toute prise de médicaments ou de compléments alimentaires avant un contrôle.

L’Agence française de lutte antidopage (AFLD) rappelle également de son côté que «l’industrie des compléments alimentaires n’étant pas régulée, les produits pourraient contenir des substances interdites qui ne sont pas indiquées sur l’étiquette ou l’emballage».

L’AFLD n’est donc pas à même de certifier ou de tester la régularité de compléments alimentaires en amont. Il n’existe d’ailleurs pas de label garanti 100 % antidopage. Seulement la norme AFNOR NF EN 17444 appliquée en Europe, en vertu de laquelle «les fabricants s’engagent à respecter certaines exigences de fabrication et de conception afin que leurs produits ne contiennent pas de substances interdites». Mais qui, là encore, ne constitue pas de garantie quant à la composition conforme des produits : «Même si le fabricant s’engage à suivre la procédure, il n’y a aucune vérification. Aucun laboratoire ne peut tester tous les produits», indique encore l’agence. Contactée par CheckNews pour savoir si la marque Sunday Natural applique la norme AFNOR, celle-ci n’a pas donné suite. Sur son site, en tout cas, la mention de cette norme ne figure pas.

En résumé, lors d’un contrôle, le sportif est responsable de toute substance retrouvée dans son organisme. S’il souhaite se complémenter pour remédier aux carences de son régime alimentaire, c’est donc à lui de s’assurer que sa prise de produits ne soit pas considérée comme du dopage, et aux organismes de contrôle de trancher.