Menu
Libération
CheckNews
Vos questions, nos réponses
CheckNews

Transidentité : sur quoi s’appuie Ségolène Royal pour affirmer que l’augmentation des cas est due au glyphosate et aux perturbateurs endocriniens ?

LGBT +dossier
L’épidémiologiste Emmanuelle Amar, vers laquelle Ségolène Royal nous a renvoyés, déplore «beaucoup de confusions dans les propos» tenus par l’ancienne ministre, lors d’un débat sur BFM TV.
A «CheckNews», Royal précise qu’il ne s’agissait pas d’évoquer «le nombre d’enfants trans», mais «le nombre de jeunes troublés au moment de leur puberté». (Paoloni Jeremy/ABACA)
publié le 21 mars 2024 à 18h49

Favorable à la proposition de sénateurs Les Républicains qui souhaitent interdire aux mineurs d’entamer une transition de genre, Ségolène Royal s’est fait remarquer en fournissant une étonnante explication à la supposée «augmentation des cas» de jeunes Français qui s’interrogent sur leur genre. D’après l’ancienne ministre et candidate à l’élection présidentielle, qui intervenait lors d’un débat organisé mardi 19 mars sur le plateau de BFM TV, ces questionnements sont «dus» à leur exposition au glyphosate et aux perturbateurs endocriniens. Ce lien «très direct», dont Ségolène Royal assure qu’il est bien «prouvé», découlerait ainsi du fait que «le glyphosate et les perturbateurs endocriniens bouleversent le cycle hormonal». Son intervention succédait à celle d’Olivier Vial, directeur d’un laboratoire d’idées positionné contre «l’idéologie woke», qui revenait sur les cas de dysphorie de genre (soit la détresse des personnes dont l’identité de genre diffère du sexe attribué à la naissance) en ces termes : «Depuis quelques années, on est passé de quelques cas à des augmentations de plus de 2000 %.» Lui-même répondait à une question de la journaliste de la chaîne d’info, qui l’interrogeait sur «une sorte d’effet de mode quand on est à l’adolescence».

Dans la mesure où Olivier Vial concluait son propos en revenant sur «le risque» des traitements hormonaux, il n’était pas évident de saisir à quelle «augmentation des cas» Ségolène Royal faisait référence lorsqu’elle a ensuite pris la parole. Un extrait de la séquence, relayée notamment dans un article du magazine d’extrême droite Valeurs actuelles, a fait bondir sur les réseaux sociaux des représentants de la communauté LGBT +. «Ségolène Royal prétend que le glyphosate et les perturbateurs endocriniens font augmenter le nombre d’enfants trans», écrit le compte «Le coin des LGBT +». A CheckNews, l’ancienne finaliste à la présidentielle de 2007 précise qu’il ne s’agissait pas d’évoquer «le nombre d’enfants trans», mais «le nombre de jeunes troublés au moment de leur puberté».

Notons pour commencer que la question de savoir si les cas sont effectivement en hausse parmi les jeunes Français n’est pas réellement tranchée, contrairement à ce que suggère Ségolène Royal. Pour cause, il n’existe pas de décompte des demandes de transition chez les mineurs dans notre pays. Simplement de nombreux acteurs s’accordent-ils sur une série d’indices qui montreraient que, bien que restant très rares, ces demandes sont en hausse ces dernières années, comme le souligne le rapport sur la «transidentification des mineurs» rédigé par des sénateurs LR et dévoilé dans un article du Point.

«C’est une question qui intéresse les sociologues, pas les médecins»

Sur les causes de cette apparente hausse du nombre de jeunes en questionnement de genre, le rapport sénatorial explore deux grandes pistes, entre lesquelles il ne tranche pas : un possible «effet de mode» notamment alimenté par «l’influence des réseaux sociaux», et d’autre part un début d’acceptation par la société d’une réalité jusque-là invisibilisée. Il n’est pas question, en revanche, d’une quelconque influence de l’exposition à des substances telles que le glyphosate ou les perturbateurs endocriniens.

Interrogée sur le lien de causalité établi lors de son passage sur BFM TV, Ségolène Royal répond à CheckNews que «ce sont des hypothèses de recherche à ce stade», dans le cadre de travaux portant tout à la fois «sur la baisse de la fertilité, la baisse de l’âge de la puberté mais aussi sur les cancers des organes génitaux hommes et femmes, ou encore les bébés nés avec des malformations». Et l’ancienne ministre de renvoyer vers Emmanuelle Amar, l’épidémiologiste à la tête du Registre des malformations en Rhône-Alpes (Remera), dont «ce sont les travaux» selon elle. Ajoutant même : «vous pouvez l’appeler de ma part». Ce que CheckNews a fait.

«Il y a beaucoup de confusions dans les propos que vous me rapportez», déplore d’emblée l’intéressée. De fait, Emmanuelle Amar rappelle que le registre qu’elle dirige se consacre, dans le cadre de ses travaux de surveillance des naissances enregistrées en Rhône-Alpes, à la prévention des malformations congénitales (présentes à la naissance). A ce titre, cette structure avait d’ailleurs été médiatisée en 2018, de par son rôle de lanceuse d’alerte dans l’affaire des bébés sans bras. Inversement, au sein du Remera, «on n’a aucun intérêt à travailler sur la question des transgenres», pointe Emmanuelle Amar : «Le terme “transgenre” désigne des personnes dont l’identité ou l’expression de genre diffère du sexe qui leur a été assigné à la naissance. Ce n’est évidemment pas une malformation. Par conséquent, nous n’avons jamais abordé et encore moins étudié ce sujet.» Plus largement, balaye-t-elle, «c’est une question qui intéresse les sociologues, pas les médecins».

S’agissant des substances évoquées par Ségolène Royal, les travaux du Remera permettent de conclure que «les perturbateurs endocriniens sont suspectés de favoriser la survenue de malformations génitales chez le petit garçon» – deux en particulier, les hypospadias et les cryptorchidies – et que par ailleurs, «parmi les facteurs de risque de ces malformations, on trouve les produits phytosanitaires, dont le glyphosate fait partie». Au-delà du Remera, les liens suspectés entre anomalies congénitales et perturbateurs endocriniens ont fait l’objet d’études nombreuses, qui «vont toutes dans le même sens». A l’inverse, relève Emmanuelle Amar, «absolument aucune étude, à ma connaissance, n’a mis en évidence un lien entre une substance quelconque et le fait que des personnes ne se reconnaissent pas dans tout ou partie du genre assigné à la naissance».

Glyphosate et perturbateurs endocriniens, un point toujours en débat

Pour rappel, le terme «perturbateurs endocriniens» regroupe les substances suspectées de perturber le système hormonal, ou système endocrinien dans des mots plus scientifiques. «Les effets sur la santé humaine sont complexes et encore mal connus, mais de plus en plus de données scientifiques suggèrent qu’ils altèrent de nombreuses fonctions du système hormonal : fonctions reproductives, thyroïdiennes, métaboliques, surrénaliennes, etc.», note Santé publique France. On retrouve ces substances dans de multiples objets et produits de la vie courante : médicaments antidouleurs ou antidépresseurs, produits ménagers, cosmétiques, produits alimentaires comme le soja, ou encore certains pesticides.

Quant au fait de savoir si le glyphosate peut ou non agir comme un perturbateur endocrinien, ce point est toujours sujet à débat. L’Inserm relevait récemment que «des études expérimentales suggèrent des effets délétères en lien avec un mécanisme de perturbation endocrinienne». Des travaux de synthèse récents, comme ceux de l’Inrae, suggèrent également des effets potentiels sur la reproduction animale et humaine. Toutefois, leur ampleur (doses seuil, impacts en termes de santé) reste difficile à déterminer. De son côté, l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) juge que «le glyphosate n’est pas considéré comme satisfaisant aux critères de perturbation endocrinienne pour l’homme». Position qui reste controversée, en raison du poids accordé par l’agence à certaines études plutôt qu’à d’autres. Dans le document présentant ses conclusions, l’EFSA admet que son approche se distingue de celle des Etats membres de l’UE, «à cause d’une légère différence dans l’évaluation de la pertinence et de la fiabilité des données disponibles».

Dans un commentaire posté ce jeudi 21 mars sous le post du compte «Le coin des LGBT +», Ségolène Royal s’est excusée pour «la brièveté de [ses] propos», qui «a pu porter à confusion». «J’ai toujours combattu les théories médicalisées de l’identité de genre, qui me font horreur, comme mes amis le savent.»