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Pourquoi l’ordre d’évacuation par Tsahal du nord de Gaza et l’annonce d’une «nouvelle phase de la guerre» inquiètent?

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L’armée israélienne a ordonné dimanche 6 octobre aux habitants du nord de Gaza «d’évacuer» la zone. Les palestiniens redoutent que ce tournant opérationnel marque le début du plan «Eiland», qui viserait à assiéger cette partie de l’enclave.
A Gaza City, dimanche 6 octobre. Des familles de la partie nord de la ville doivent quitter leurs maisons sur ordre de Tsahal. (Omar Al-Qattaa/AFP)
publié le 8 octobre 2024 à 17h13

Depuis dimanche 6 octobre, les images d’exodes du nord de Gaza se multiplient avec un sentiment de déjà-vu. Carrioles, motos et plus rarement voitures saturées de sacs fuient en direction du sud de l’enclave. Des hommes, des femmes, des enfants qui portent des couches pour bébés ou de l’eau. Et cette scène, filmée dans le quartier de Jabalia : une dame surchargée marche avec un groupe, bâche pliée sur la tête, sac rose arborant Winnie l’ourson sur le ventre, un autre sur le dos. Elle interpelle le photographe sans même s’arrêter : «Nos enfants sont morts. Les chars nous ont roulés dessus. On meurt de faim.»

Dans la continuité d’une année marquée par d’incessants déplacements de population, vers des zones supposées sécurisées sans cesse redéfinies, l’armée israélienne a ordonné dimanche «l’évacuation» de tout le nord de l’enclave, de Beit Lahia à Jabalia en passant par Gaza City.

Cette zone, qui a été au cœur des bombardements et des opérations terrestres durant les premiers mois de guerre, avant que les troupes israéliennes ne se déplacent dans le sud vers Rafah et Khan Younès, est déjà la plus touchée par les destructions. Plus d’un million de personnes vivaient dans cette zone avant la guerre, il y resterait aujourd’hui quelques centaines de milliers de Gazaouis, en fonction des estimations.

L’ordre a été donné par l’armée à travers des flyers, largués dans certains quartiers concernés (comme en témoignent des photos reprises par différents canaux palestiniens) ou sur les réseaux sociaux via son porte-parole arabophone.

L’ordre d’évacuation a été suivi par une incursion terrestre des troupes israéliennes dans Jabalia, la quatrième depuis le 7 octobre 2023. «Les 401e et 460e divisions ont achevé l’encerclement de [Jabalia] et les forces continuent désormais d’opérer dans la zone», a annoncé Tsahal dimanche, précisant que l’opération se poursuivrait «aussi longtemps que nécessaire».

L’armée israélienne évoque une «nouvelle phase de la guerre»

Sur un flyer publié par différents canaux palestiniens dimanche, peu de temps après le premier post du communicant de Tsahal, la carte était accompagnée du texte suivant, que CheckNews a fait traduire : «Aux habitants du nord de la bande de Gaza. L’organisation terroriste Hamas continue délibérément de restaurer sa structure terroriste dans vos zones, en zones civiles, et vous exploite. Elle utilise les refuges et les centres médicaux comme bouclier humain. Nous sommes dans une nouvelle phase de la guerre, c’est pourquoi Tsahal publie une nouvelle carte d’évacuation dans le nord de la bande de Gaza, indiquée dans le QR code ci-joint. Attention, ces zones sont considérées comme des zones de combat dangereuses. Les rues Al-Rashid [il est précisé que celle-ci jouxte la mer, ndlr] et Salah-al-Din seront considérées comme des routes humanitaires pour traverser le sud. L’armée israélienne poursuivra son activité partout où règne le terrorisme.»

Le ministère de l’Intérieur du Hamas a opposé dès dimanche aux instructions israéliennes un contre-ordre, appelant «les citoyens du nord de Gaza à ignorer les menaces israéliennes», prétendant que leurs «affirmations sur la présence de zones de sécurité dans le sud de Gaza sont des mensonges, car Israël commet des crimes et des massacres dans toutes les zones de l’enclave».

Dans seconde vague de communication israélienne, que l’on retrouve dans différentes photos de flyer diffusées lundi, et sur le post sur X du communicant de Tsahal publié le même jour, l’entièreté de la zone est toujours surlignée en jaune, mais seuls les habitants des villes les plus aux nord (surlignées en rouge), dont Jabalia et Beit Lahia, ont ordre explicite d’«évacuer immédiatement ces zones» vers Al-Mawasi. A noter que la route côtière de Gaza, Salah-al-Din, identifiée la veille comme un axe d’évacuation, a ensuite été enlevée des routes «humanitaires» désignées par Tsahal, sans que ce retrait soit explicité. Ce n’est pas la première fois que l’armée israélienne est floue dans les contours de ses zones «humanitaires», qui ont d’ailleurs été plusieurs fois ciblées par des bombardements.

Dans un communiqué diffusé le 7 octobre 2024, le bureau de la coordination des affaires humanitaires des nations unies (Ocha) a déclaré que «selon les premières informations disponibles ce matin, plus de 50 000 personnes ont été déplacées dans le nord de Gaza et certains patients ont quitté les hôpitaux de la zone d’évacuation. De nombreuses autres personnes dans le nord, notamment dans le camp de Jabalia, sont bloquées chez elles, incapables de quitter leur domicile en toute sécurité. Jusqu’à présent, peu de familles ont traversé Wadi Gaza en direction du sud.»

A «l’évacuation» générale annoncé ce week-end, s’est ajouté mardi l’ordre donné par Tsahal de vider les hôpitaux du nord de Gaza. Le ministère de la Santé de Gaza, contrôlé par le Hamas, a annoncé le 8 octobre en fin de journée que l’armée israélienne avait donné 24h à l’hôpital Kamal Adwan, l’hôpital indonésien, et l’hôpital Al-Awda pour évacuer leurs patients et leurs personnels soignant. Une information confirmée par différentes sources. Interrogé par Al-Jazeera, le directeur de l’hôpital Kamal Adwan a répondu qu’il «est évident qu’il y a un nouveau plan pour déplacer notre people du nord de Gaza en démantelant le système de soin dans tous les secteurs de la région. Nous demandons au monde d’intervenir pour arrêter cette décision terrifiante», ajoutant que l’hôpital va «continuer à offrir des services médicaux quel que soit le coût».

Le début d’un plan déjà mentionné dans différents médias ?

L’opération en cours ressemble beaucoup à ce qui s’est passé à Gaza il y a presque un an, le 13 octobre 2023, quand 1 million d’habitants du nord avaient été sommés de fuir avant l’entrée des troupes israéliennes dans l’enclave.

Mais elle résonne aussi avec différents articles de presse de ces dernières semaines, ayant fait état du «plan Eiland» (du nom du major général à la retraite considéré comme en étant à l’origine). Ce dernier consisterait à évacuer le nord de Gaza de toute population civile, avant d’assiéger et d’affamer la zone, en coupant les approvisionnements en eau et en nourriture, de manière à forcer les quelques milliers de combattants du Hamas qui sont censés s’y trouver à la reddition. Le 17 septembre, le média israélo-palestinien +972 avait mentionné ce plan de «liquidation totale», le présentant comme une hypothèse «qui gagnait du terrain». Quelques jours plus tard le chaîne américaine CNN et différents médias israéliens évoquaient la mention de ce plan, devant la commission de défense du Parlement par le Premier ministre, Benyamin Nétanyahou.

Plusieurs commentateurs ont vu dans l’ordre d’évacuation du nord de Gaza et l’offensive terrestre les signes de l’activation de ce plan. «Cela arrive enfin, a ainsi réagi sur X Avichay Buaron, l’un des 27 députés de la Knesset (dont trois sont ministres) qui ont soutenu publiquement la proposition Eiland. Comme nous l’avons demandé, […] Tsahal est en train d’évacuer le nord de la bande de Gaza. C’est la première phase du programme. Il est en cours de mise en œuvre et c’est une bonne chose.»

L’armée israélienne n’a fait aucune déclaration en ce sens.

Mise à jour 8 octobre 18h40 : ajout réaction Ocha

Mise à jour 9 octobre : ajout de l’ordre d’évacuation des hôpitaux