Invitée lundi sur TF1, Marine Le Pen a demandé que l’Etat restitue une partie de la TVA générée par la hausse des prix : «Plus il y a d’inflation, plus l’Etat engrange de l’argent. Cette situation est inadmissible : l’Etat ne peut pas s’enrichir en appauvrissant les contribuables. C’est la raison pour laquelle je considère que sur les 30 milliards de surplus de TVA qui ont été encaissés par l’Etat cette année et l’année dernière, il faut que l’Etat en restitue une partie, c’est-à-dire 8,5 milliards, c’est-à-dire ce qu’il reste quand il a rempli ses obligations budgétaires.»
Quelques jours plus tôt, le président de la région Hauts-de-France, Xavier Bertrand, déclarait sur CNews : «Deux euros le litre [d’essence], c’est insupportable pour les Français. Je dis à Bruno Le Maire : monsieur le ministre, vous récoltez un pactole en ce moment, parce que quand le pétrole augmente, l’Etat voit ses recettes fiscales gonfler. Et en plus, la TVA en France, elle s’applique sur le pétrole, mais elle s’applique ensuite sur la TICPE, la taxe. Tout ça constitue un pactole. […] Je demande clairement [au ministre] quelles sont les recettes fiscales en plus, car quand vous avez un pactole, vous devez le rendre aux Français, ou alors ça s’appelle une augmentation des impôts.»
10,7 milliards d’euros de recettes imputables à l’inflation
L’Etat s’est-il enrichi, avec la TVA, grâce à l’inflation, que ce soit sur l’ensemble de la consommation ou sur les carburants ?
Selon l’Insee, les recettes de TVA, après remboursements et dégrèvements par l’Etat, se sont montées, en 2022, à 200 milliards d’euros, contre 185 milliards en 2021. Soit +8 % en un an, alors que la croissance s’affichait à +2,6 % et l’inflation à +5,2 %. En 2023, elles étaient attendues, dans le projet de loi de finances, à 215 milliards. Soit environ 30 milliards d’euros sur deux ans (la prévision de comptabilité budgétaire est un peu différente de la comptabilité nationale de l’Insee).
A combien, en 2022, s’est élevé le surplus de TVA lié à cette inflation particulièrement forte ? Cette année-là, la consommation des ménages a augmenté, en volume (c’est-à-dire hors inflation), de 2 %, tandis que l’inflation était un peu supérieure à 5 %. On peut donc considérer qu’en 2022, la part de recettes supplémentaires de TVA liée à la croissance de la consommation en volume a été de 4,3 milliards, tandis que celle imputable à l’inflation s’est montée à 10,7 milliards (1).
Si l’inflation n’avait été que de 1 % (moyenne des dix années précédentes), alors la hausse de TVA liée à la hausse des prix aurait été de 2,1 milliards, et non 10,7 milliards. Soit, schématiquement, un surplus de TVA lié à la forte inflation de 8,6 milliards d’euros. Grosso modo ce que souhaite rendre aux consommateurs Marine Le Pen (qui, selon le député RN Jean-Philippe Tanguy, parlait de l’année 2022 comparée à 2021 et non pas de 2022 et 2023).
«Dire que l’Etat s’est enrichi n’a pas vraiment de sens»
Sauf que la TVA en France ne revient pas uniquement à l’Etat. La moitié, environ, est redirigée vers les organismes de Sécurité sociale et les collectivités locales. Sur ces 8,6 milliards de «surplus» de TVA en 2022, seuls 4,3 milliards iraient donc à l’Etat. «Nous n’endossons pas, politiquement, ce partage de TVA entre les différents destinataires», répond sur ce point Jean-Philippe Tanguy qui préconise d’autres impôts, «sur les superprofits ou les rachats d’action».
Concernant 2023, l’année n’étant pas terminée, difficile de se prononcer. Pour le spécialiste en Finances publiques, François Ecalle (auteur du blog Fipeco), «sur les sept premiers mois de cette année, on est plutôt sur 1 % à 1,5 % de hausse de recettes de TVA, donc très loin de l’augmentation prévue. Au total, on ne sera sûrement pas sur 30 milliards de hausse sur 2022 et 2023».
Pour Ecalle, par ailleurs, difficile de parler de «cagnotte» : «Oui, l’Etat gagne plus de TVA, comme il engrange plus d’impôts sur les sociétés ou d’impôt sur le revenu grâce à l’inflation. Mais en contrepartie, il a lui aussi des dépenses en hausse, notamment liées à l’inflation, comme des dépenses sociales, les achats de biens, et dans une moindre mesure les rémunérations des fonctionnaires, avance-t-il. Surtout, dire que l’Etat s’est enrichi n’a pas vraiment de sens quand il présente un déficit de 4,7 % du PIB la même année…»
«Il n’y a aucun pactole»
Quant à la seule TVA sur les carburants, Bercy a reconnu, jeudi 14 septembre dans un communiqué, que «la hausse des prix des carburants s’est traduite par une hausse des recettes de TVA sur les carburants utilisés par les ménages d’environ 2 milliards d’euros en 2022 et 2 milliards en 2023». Soit 4 milliards sur ces deux années. Avant de rappeler, lui aussi, que seuls 50 % de ces sommes vont à l’Etat, soit 2 milliards d’euros.
Selon Bercy, cependant, l’Etat a mis en place des dispositifs d’aides aux consommateurs : la remise sur les prix des carburants jusqu’à la fin 2022, pour 7,5 milliards d’euros, et depuis le début de l’année, l‘indemnité carburant pour les travailleurs (10 millions de personnes les plus modestes), pour 500 millions d’euros. Soit 8 milliards en tout. Et donc un coût final pour l’Etat, selon Bercy, de 6 milliards d’euros, entre les aides aux consommateurs et la hausse de TVA générée par la hausse des prix des carburants. «Sur 2022-2023, l’Etat a dépensé quatre fois plus pour amortir l’impact sur les ménages des prix du carburant qu’il n’a “bénéficié” des prix hauts : il n’y a aucun pactole», se défend ainsi le ministère de l’Economie. Reste que si le surcoût est effectivement important en 2022, il disparaît néanmoins en 2023, le surplus de TVA rapportant cette fois-ci davantage que l’indemnité carburant pour les travailleurs.
(1) Ce calcul donne un ordre de grandeur seulement, la consommation des ménages ne représentant que 2/3 de l’assiette de TVA.