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Un abbé a-t-il qualifié l’attentat à «Charlie Hebdo» de «châtiment divin» après un blasphème contre la Vierge Marie?

10 ans après l'attentat contre Charlie Hebdodossier
Au cours d’une messe, l’abbé Denis Puga a présenté des «dessins qui se moquent de la Vierge Marie» comme la cause d’un «châtiment terrible». Ce prêtre appartient à une église traditionnaliste fréquentée par l’extrême droite catholique.
Saint-Nicolas-du-Chardonnet, où officie Denis Puga, a été prise par la force en février 1977 par des catholiques intégristes, et fait encore aujourd’hui l’objet d’une occupation illégale. (Bertrand Gardel/Hemis. AFP)
publié le 13 avril 2022 à 14h48
Question posée par Ange le 9 avril 2022.

Bonjour,

Vous nous interrogez au sujet d’une vidéo publiée sur la chaîne YouTube de l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, où sont diffusées chaque jour en direct les messes célébrées au sein de cette paroisse du Ve arrondissement de Paris. Votre question porte sur l’office prononcé le 23 mars dernier par l’abbé Denis Puga : celui-ci semble justifier l’attentat commis en janvier 2015 dans les locaux du journal satirique Charlie Hebdo, en expliquant qu’il s’agissait d’un châtiment de Dieu, une punition qui s’est abattue après un blasphème contre la Vierge Marie.

Qu’a dit précisément l’abbé Denis Puga ?

L’objet de cette messe était d’abord de revenir sur la guerre actuellement menée par la Russie en Ukraine. L’abbé Puga y affirme que «la Russie est dans les mains de Dieu», et qu’elle ne pourrait réparer ses «péchés» qu’en se convertissant au catholicisme (l’Eglise russe appartient au christianisme orthodoxe). Cette «dévotion réparatrice» s’impose, selon l’abbé, lorsque sont commis des «outrages», «insultes» ou «blasphèmes» dirigés contre la Vierge Marie. «Dieu qui est miséricorde veut pardonner les péchés» mais «la colère de Dieu s’enflamme d’une manière particulière contre ceux qui offensent le cœur de sa mère», déroule-t-il. L’ecclésiastique s’emploie ensuite à lister les «espèces d’offenses» qui déclenchent la colère de Dieu. La Russie est visée à deux reprises, les orthodoxes ne partageant pas tous les dogmes et figures sacrées caractéristiques du catholicisme.

Parmi ces offenses, figurent notamment les blasphèmes «contre la virginité de la Vierge Marie» et «contre sa maternité divine». «Combien de fois on entend ces histoires, ces moqueries, ces dessins qui se moquent de la Vierge Marie ? Cela monte jusqu’au ciel et attire la colère de Dieu», enchaîne l’abbé Puga. «On a vu l’exemple il y a quelques années en France. Ces journaux satiriques qui avaient gravement offensé la virginité, la maternité divine à l’occasion de la fête de Noël», renchérit-il dans une référence implicite à la couverture d’un numéro de Charlie Hebdo titré «la Sainte Vierge violée par les Rois Mages», publié en décembre 1976. Ce qui semble justifier, à ses yeux, que «le châtiment [soit] arrivé, et pas par des amis de Dieu. Le châtiment était terrible», se référant cette fois à l’attentat qui a coûté la vie à douze personnes, dont huit membres de la rédaction de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015.

Pourquoi l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet est-elle contestée ?

Saint-Nicolas-du-Chardonnet, où officie Denis Puga, n’est pas n’importe quelle église. Prise par la force en février 1977 par des catholiques intégristes, elle fait encore aujourd’hui l’objet d’une occupation illégale. Les religieux à la tête de l’édifice se revendiquent «de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X fondée en 1970 par Monseigneur Marcel Lefebvre», comme ils l’indiquent d’ailleurs sur leur site.

Comme l’écrivait Libération il y a dix ans, «à la fin des années 60, après le concile Vatican II qui avait souhaité ouvrir l’Eglise catholique sur le monde moderne, la suppression de la messe en latin et son remplacement par une liturgie dans les langues de chaque pays avaient mis le feu aux poudres. L’évêque français Marcel Lefebvre avait pris la tête de la fronde. Le combat du prélat était aussi théologique ; monseigneur Lefebvre, en schisme avec Rome depuis 1988, contestait les décisions de Vatican II sur la liberté religieuse et les relations avec les autres confessions chrétiennes, le protestantisme et l’orthodoxie. Replié en Suisse, il y avait créé un séminaire pour former les prêtres à sa manière et la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X (FSSPX) afin d’organiser ses troupes.» A Paris, en plein cœur du quartier latin, «l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet est devenue, au fil des ans, une sorte de cathédrale officieuse du lefebvrisme». En page d’accueil du site consacré à l’église, est ainsi rappelée sa «spécificité» : «La liturgie y est exclusivement célébrée selon les rites traditionnels latins de l’Eglise catholique tels qu’ils existaient partout dans le monde à la veille du Concile Vatican II.»

Dès les années 1980, le combat religieux s’est doublé d’un affrontement sur le plan politique. Des élus ont à plusieurs reprises contesté l’occupation de l’édifice, devenu un rendez-vous pour l’extrême droite catholique française, et même un lieu de pèlerinage pour les traditionalistes du monde entier. Malgré l’arrêt rendu en juillet 1997 par la cour d’appel de Paris pour ordonner l’expulsion des occupants de l’église, les autorités n’ont jamais procédé à son exécution. «La permanence des risques de troubles pour l’ordre public que pourrait susciter une expulsion avec le concours de la force publique justifie encore à ce jour l’inexécution de l’arrêt. On notera au demeurant qu’aucune demande n’a été réitérée de la part de l’occupant des lieux», a souligné le ministère de l’Intérieur en 1999, en réponse à un sénateur inquiet.

Depuis 1977, le nom de Saint-Nicolas-du-Chardonnet a régulièrement été cité dans diverses affaires. En 2019, l’église a fait parler d’elle en raison de la proximité de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X avec Viviane et Pierre Lambert, parents de Vincent Lambert, qui était plongé depuis 2008 dans un état végétatif chronique (proximité évoquée notamment dans un article du Parisien). Les époux Lambert, fervents catholiques proches des milieux traditionalistes, avaient engagé un recours contre l’arrêt des traitements prodigués à leur fils. Après un long combat judiciaire, Vincent Lambert est finalement décédé en juillet 2019.

Plus récemment, en avril 2020, alors que la France était plongée dans son premier confinement destiné à lutter contre la pandémie de Covid-19, des policiers sont intervenus afin de faire cesser une messe célébrée à l’église Saint-Nicolas-du-Chardonnet pour Pâques, et ont verbalisé le prêtre de la paroisse (20 Minutes a consacré un article revenant sur les motifs de cette intervention). En effet, l’une des restrictions alors mises en place par l’exécutif imposait que les lieux de culte n’accueillent «aucun regroupement fortuit ni rassemblement organisé» tel qu’une «cérémonie cultuelle».