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Un député macroniste a-t-il tenté de truquer un vote à l’Assemblée ?

L’examen du projet de loi sur la sûreté nucléaire a fait l’objet d’un vote contesté en commission. Sur les réseaux, vidéo virale à l’appui, le président est accusé d’avoir essayé de fausser les résultats.
Capture d'écran issue du compte X @jdicajdisrien. (Capture d'écran X)
publié le 9 mars 2024 à 14h40

La vidéo a été visionnée près de deux millions de fois. Elle montre, sur une durée de plus de deux minutes, et en accéléré, le déroulé d’un vote chaotique en commission, à l’Assemblée nationale, présenté comme la preuve flagrante d’une tentative de trucage d’un scrutin. Le montage montre un premier vote à main levée, aboutissant au rejet d’un amendement. Plusieurs députés contestent le décompte et demandent un nouveau vote, que le président de la Commission refuse à plusieurs reprises. Le même finit par concéder un nouveau scrutin, qui aboutit cette fois à l’adoption de l’amendement. Preuve selon les commentateurs qu’il y a bien eu tentative de trucage lors du premier décompte.

Partagée par le compte influent écolo «J’dis ça j’dis rien», la vidéo est assortie de cette légende : «C’est à peine croyable. Le type compte à la volée et tente de truquer le vote, refusant un recomptage précis. Faut voir sa tronche à la fin quand il tente de garder la face… La conception de la démocratie par la macronie c’est très très spécial.» A l’origine, cette vidéo était diffusée mercredi 6 mars, en début d’après-midi, par la députée La France insoumise Clémence Guetté. Cette dernière qualifiait alors la séquence de «magouilles des macronistes».

Cette séquence (ici en intégralité) s’est en réalité tenue la veille, le mardi 5 mars, dans le cadre de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée nationale. La Commission, présidée par Jean-Marc Zulesi, examine ce jour-là le projet de loi sur la sûreté nucléaire (de fait porté par le gouvernement). Le débat concerne alors l’article 1, très attendu, qui prévoit la fusion entre l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Les groupes LFI, GDR, socialistes, écologistes et Liot, tous opposés à ce projet de fusion – car ils y voient une opportunité de démantèlement de l’IRSN – ont déposé un amendement de suppression, qui est porté aux voix.

Alors qu’un premier vote à main levée (habituel dans ce contexte) est réalisé, le président annonce qu’à vingt voix pour, vingt voix contre, l’amendement est rejeté. C’est la règle en cas d’égalité. On constate un moment de flottement. La députée LFI Anne Stambach-Terrenoir prend la parole, s’adressant au président : «Vous sentez qu’il y a un doute dans la salle, je pense que ça ne coûte rien de refaire le vote», suggère-t-elle. Dans un premier temps, Jean-Marc Zulesi refuse de procéder au recomptage, puis annonce une suspension de séance, qui n’est pas visible dans la vidéo partagée sur les réseaux sociaux. A la reprise, sur demande de Clémence Guetté, un nouveau vote est organisé. Chaque député doit se lever à l’annonce de son nom et annoncer sa position, tandis que le président et l’administratrice reportent les voix sur papier.

Amendement adopté

Ce second vote aboutit alors à un résultat de 23 voix pour, 21 voix contre. L’amendement de suppression est donc adopté. Sur les soixante-dix noms appelés, le nombre de députés s’exprimant pour ou contre est passé, entre les deux votes, de 40 à 44. Une voix de plus est dénombrée côté «contre», trois voix de plus côté «pour».

A quoi est dû ce différentiel ? Et indique-t-il forcément que le premier décompte était faux ? Auprès de CheckNews, Clémence Guetté estime que «la tentative de fausser le résultat du scrutin [lui] semble avérée». La députée annonce qu’elle «envisage de saisir la présidente de l’Assemblée nationale afin de témoigner de la rupture de confiance qui s’est créée, de demander l’impartialité de la présidence de commission et d’éventuelles modifications des modalités de scrutin, qui permettraient d’en finir avec ce type de pratiques».

De son côté, l’équipe de Jean-Marc Zulesi réfute catégoriquement «cette version, qu’il considère comme calomnieuse». Elle assure : «Au moment du vote, de nombreux députés ont volontairement perturbé le comptage en ne levant pas leur main. Monsieur Zulesi et l’administratrice qui l’accompagnait n’ont donc pas pu compter des députés qui ne se manifestaient pas. C’est à ce moment-là que Clémence Guetté et certains autres députés La France insoumise ont demandé un second comptage, qui n’avait pas lieu d’être en l’état.»

Et de poursuivre : «Après de nombreux atermoiements et une suspension de séance, le vote par scrutin a été accepté par Monsieur le Président. Seulement, le quorum avait alors changé, et les députés La France insoumise, main dans la main avec les députés Rassemblement national, ont réussi à gagner le vote pour deux voix, des députés ayant finalement levé la main ou étant arrivés entre-temps.» Auprès de CheckNews, le député complète : «Il n’y a pas de déni de démocratie. Le deuxième scrutin, je l’accepte, dans une volonté d’apaisement.»

Selon lui, le différentiel s’explique donc non par une erreur de comptage, ou une volonté délibérée de truquer les résultats, mais plutôt par un changement de positionnement, ou un rappel des troupes, entre le premier et le second vote, répartis de part et d’autre d’une suspension de séance. «A ma connaissance, le quorum n’a pas changé entre le premier et le second scrutin», rétorque Clémence Guetté. «Dans mes souvenirs, une députée est arrivée en retard et s’est installée à proximité des bancs LR mais n’a pas pu prendre part au scrutin.»

Tractations entre les deux votes

Mais du mouvement, il semble bien qu’il y en ait eu au moins chez les autres partis. C’est ce que confirme à CheckNews l’équipe de la députée écolo (Nupes) Julie Laernoes, également opposée à l’article 1er. «D’une part, nous explique-t-on, des députés LR se sont abstenus entre le vote à main levée et le second vote nominatif.» D’autre part, «à l’annonce d’une suspension de séance et de la tenue d’une seconde délibération, les groupes politiques ont fait des rappels et les parlementaires qui étaient en séance sont venus en renfort en commission sur ce texte. Et force est de constater que les opposants à la réforme ont été plus rapides et plus nombreux». Une autre source indique également à CheckNews que le Rassemblement national a fait évoluer sa position sur le sujet, faisant finalement pencher la bascule en faveur de l’amendement de suppression, après la suspension de séance.

Ces tractations entre les deux votes ne permettent donc pas d’affirmer avec certitude que le second résultat prouve que le premier décompte était faux. Mais à l’inverse elles n’excluent pas non plus la possibilité d’une erreur de comptage au premier tour. Aucune image ou liste précise ne permettant de déterminer le nombre de mains levées à ce moment-là.

L’imbroglio aurait été évité si le président avait fait revoter dans la foulée. «C’était objectivement très serré, il m’a semblé que les gens pour la suppression étaient légèrement en majorité. Ce ne serait pas étonnant que dans ce contexte, Zulesi ait peut-être tenté un comptage un peu rapide», suggère un député présent. L’entourage d’une autre ajoute : «On ne peut pas assurer avec preuve qu’il y a eu magouille. Néanmoins, il est vrai que la volonté avec laquelle le président Zulesi a voulu passer à autre chose peut en effet interroger, laisser songeur.» De son côté, Jean-Marc Zulesi répète qu’il a d’abord refusé le recomptage car «autour de [lui], les administratrices [lui] confirment le 20-20».