Vous nous avez interrogés à propos d’un post massivement partagé, faisant état du placement en garde à vue d’une femme pour avoir seulement dit «Salam Aleykoum» à des ouvriers dans son immeuble, selon le récit qui a été fait sur les réseaux sociaux.
Cliente placée en gav ce matin car sa voisine l’aurait entendu dire « salam aleykum » à des ouvriers dans l’immeuble. La voisine porte plainte, cliente placée en gav, demande d’explications à l’opj « avec le climat actuel nous ne pouvons pas prendre de risque. »
— Nabil Boudi (@BoudiNabil) October 13, 2023
Gav levée 👀👀👀
Le message a été posté par l’avocat au barreau de Paris Nabil Boudi : «Cliente placée en gav [garde à vue] ce matin car sa voisine l’aurait entendu dire “salam aleykum” à des ouvriers dans l’immeuble. La voisine porte plainte, cliente placée en gav, demande d’explications à l’opj [officier de police judiciaire] : “avec le climat actuel nous ne pouvons pas prendre de risque.”», relate-t-il, avant de préciser que la garde à vue a été levée.
Propos différents et contestés
Contacté par CheckNews, le parquet donne une version différente, affirmant que la cliente de Nabil Boudi a été placée en garde à vue «pour des propos allégués par la victime, propos différents de ceux […] cités [ «salam aleykoum»], et qui ont pu motiver un placement en garde à vue pour menaces de crime à raison de la religion». Le parquet n’a pas détaillé les propos allégués par la plaignante. La même source indique qu’une procédure visant la cliente de Nabil Boudi «a été ouverte le 13 octobre 2023 suite à une plainte déposée à Rueil-Malmaison», et précise que «la suite des investigations a conduit à une levée de la garde à vue pour poursuite de l’enquête, compte tenu des déclarations de la mise en cause».
Contacté, Nabil Boudi explique à CheckNews que sa cliente, qui a souhaité garder l’anonymat, reconnaît un différend de voisinage mais conteste toute menace, et a d’ailleurs porté plainte à son tour le 13 octobre pour «dénonciation calomnieuse». Cette mère de famille, Nora*, d’une trentaine d’années est, selon l’avocat, profondément affectée par cet événement. Un certificat médical daté du 14 octobre, consulté par CheckNews, décrit notamment «un choc émotionnel», des troubles du sommeil et «une anxiété réactionnelle avec peur de sortir de chez elle».
«Amalgame»
L’histoire commence de façon banale, d’après la description des faits donnée par Nora* dans la plainte déposée contre S. pour dénonciation calomnieuse, le 13 octobre, et que CheckNews a pu consulter partiellement. A noter que CheckNews n’a pas eu accès la première plainte déposée par S., empêchant d’avoir accès à sa version des événements.
Le 12 octobre, des techniciens interviennent à son domicile pour décrasser les bouches d’aération. Puis, avec son «bébé de 11 mois dans les bras», Nora explique se rendre avec les agents chez une voisine dont elle possède un jeu de clés afin d’effectuer la même opération.
Sur le palier, elle croise S., une voisine âgée, dont la porte est restée ouverte. Se déroule alors un bref échange tendu au sujet des clés de l’autre voisine, toujours selon Nora. Une fois dans l’appartement, cette dernière engage la discussion avec les techniciens à l’œuvre : «Il s’est avéré qu’ils sont musulmans comme moi. Nous avons papoté de banalités de famille. Lorsque nous sommes sortis de l’appartement, on s’est salué en arabe [donc “Salam Aleykoum”, ndlr]. Il y avait des mots comme “inch’Allah” et “Allahou akbar”, mais ce ne sont que des formules de politesse.»
Au moment de repasser devant la porte de la voisine, cette dernière, selon le récit de Nora, aurait crié «“vive Israël” en faisant un amalgame». D’après la plainte déposée par Nora, le ton est monté entre les deux résidentes. «Je lui ai dit : “Va te faire soigner espèce folle”» ; et elle m’a répondu : “Je vais porter plainte contre toi. Tu vas voir ce qu’il va t’arriver.”». Nora affirme dans sa plainte ne jamais avoir été menaçante. Son avocat Nabil Boudi ajoute qu’elle a fourni aux enquêteurs les contacts des deux techniciens, témoins de la scène. D’après l’avocat, S. aurait par ailleurs invectivé sa cliente en lui demandant si «elle [n’avait] pas honte de parler comme ça avec ce qui se passe en Israël», ce à quoi elle aurait répondu, qu’elle ne voyait «pas le rapport». Cette deuxième partie de l’échange ne figure pas dans l’extrait de la plainte que CheckNews a consulté.
Plusieurs épisodes de conflits de voisinage
Dans sa plainte, Nora évoque également plusieurs épisodes de tension passés avec cette résidente. Cette dernière s’en serait, par exemple, pris à son mari, deux jours auparavant après avoir – là aussi – crié «vive Israël». Toujours selon elle, la voisine l’aurait aussi suivi dans la rue, alors qu’elle était accompagnée de ses deux enfants. «Je lui ai demandé d’arrêter de m’insulter. Elle a dit que ce que je pensais était sale», raconte-t-elle. Une autre fois, Nora raconte que S. s’en serait pris à elle verbalement à elle en lui disant notamment de «changer de pays».
Après l’incident du 12 octobre, les deux femmes se seraient recroisées plus tard dans la journée, et S. aurait «réitéré ses propos», ajoute Nabil Boudi, qui précise que c’est ce nouvel événement qui aurait décidé Nora de se rendre au commissariat. «Le commissariat refuse de prendre sa plainte et lui a remis une convocation pour menaces de commettre un crime en raison de sa race ou de sa religion. Ma cliente est tombée des nues», relate-t-il. Le 13 octobre au matin, Nora s’est rendu à sa convocation et a donc été placée en garde à vue pendant plus de cinq heures.
«Une mesure de gare à vue doit être proportionnée et toujours en rapport avec les faits. C’est du jamais vu dans le cadre de conflit de voisinage, sauf s’il y a menace avec armes ou violence. Il y a un problème de la proportionnalité de la mesure», juge l’avocat. Comme indiqué dans son tweet, l’officier de police judiciaire aurait expliqué que cette décision était en lien avec «le climat actuel». Un élément que CheckNews n’a pas pu confirmer.
Le parquet nous indique avoir enregistré «un certain nombre de procédures en lien avec le conflit israélo-palestinien ces derniers jours».
* Le prénom a été changé.