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Une fuite de données de l’agence antidopage polonaise prouve-t-elle que les stars Robert Lewandowski ou Iga Swiatek ont été testées positives ?

L’agence antidopage polonaise a bien été victime, début août, d’une fuite de données orchestrée par des hackers prorusses. Mais elle dément le contenu d’une liste affirmant que les sportifs polonais les plus célèbres ont été convaincus de dopage.
La joueuse de tennis Iga Swiatek et le footballeur Robert Lewandowski.
publié le 19 août 2024 à 18h55

Robert Lewandowski, l’attaquant du FC Barcelone et ancienne star du Bayern Munich contrôlé positif aux stéroïdes en 2022 ? La numéro 1 mondiale de tennis Iga Swiatek, également testée positive la même année à l’EPO ? Mercredi 14 août, quelques jours après la fin des Jeux olympiques de Paris 2024, une liste de onze athlètes, tous de nationalité polonaise, circulait sur les réseaux sociaux avec, pour chacun une date correspondant à un contrôle antidopage positif, et le nom du produit censément détecté. En plus des deux stars du football et du tennis, on retrouve dans la liste Katarzyna Niewiadoma, toute récente vainqueure du Tour de France féminin, ainsi que des champions olympiques en athlétisme ou en saut à ski. Ces derniers jours, plusieurs médias internationaux ont rapporté ces suspicions contre ces sportifs de haut niveau. L’agence polonaise antidopage Polada, si elle a reconnu avoir été l’objet d’une fuite de données, a démenti les informations visant la dizaine de stars dont le nom circule, assurant que les contrôles évoqués n’ont jamais eu lieu.

A l’origine de cette affaire, on retrouve le groupe de hackers prorusses Beregini. Le 6 août 2024, en plein Jeux olympiques, le collectif publie sur le réseau social Telegram une liste de 22 liens censée rassembler «la base de données complète des athlètes polonais avec les résultats des contrôles antidopage portant sur l’ensemble des substances interdites, y compris les drogues». Le texte de revendication du piratage ne met pas en avant le nom des stars du sport polonais suspectées de dopage.

Attiser le sentiment anti-ukrainien en Europe

Sur son site, Beregini se présente comme «le mouvement ukrainien des femmes hackers», hostile au gouvernement ukrainien et qui tient des positions favorables à la Russie de Vladimir Poutine. Il est surtout identifié par le DFR Lab, le laboratoire spécialisé dans la désinformation du think tank américain Atlantic Council ou encore par les entreprises de cybersécurité américaine GroupSense et Mandiant, comme étant spécialisé dans opérations de désinformation au profit de la Russie. En décembre 2022, Beregini a été épinglé par nos confrères fact-checkers du site d’investigation allemand Correctiv pour avoir diffusé plusieurs faux documents, qui ressemblaient à des lettres officielles du ministère des Affaires étrangères ukrainien ou polonais. L’objectif : attiser le sentiment anti-ukrainien en Europe, et notamment en Pologne.

Le 8 août, le journal sportif polonais Przegląd Sportowy révèle cette fuite de données. L’agence polonaise antidopage confirme dans un communiqué qu’«à la suite d’une attaque de pirates, des données appartenant à l’Agence polonaise antidopage (Polada) ont été divulguées. Les résultats indiquent que l’attaque est l’action d’un groupe soutenu par les services d’un Etat ennemi». Le même jour, le cycliste polonais Wojtek Pszczolarski dévoile le mail que les athlètes polonais ont reçu pour les avertir du piratage. Dans ce message, Polada prévient les sportifs de la nature des données volées et indique qu’il s’agit des noms et prénoms, adresses résidentielles, numéros de téléphone et adresses mail.

Dans un article publié le 11 août, le site polonais Zaufana Trzecia Strona, spécialisé en sûreté de l’information révèle, au grand dam des sportifs polonais, que le piratage concerne près de 242 gigaoctets de données, soit près de 50 000 fichiers. «Contrairement à ce qu’a annoncé la Polada, les données divulguées (et toujours disponibles en ligne) contiennent une multitude d’autres informations que les données personnelles des athlètes. Nous ne sommes pas en mesure de savoir combien de personnes ont vu leurs données divulguées – mais il s’agit probablement de toutes les personnes qui ont été soumises à des contrôles antidopage en Pologne au cours des dernières années, et il y en a des milliers», alerte le fondateur du site Adam Haertle. Il détaille ainsi qu’il a retrouvé des données médicales, notamment des rapports de contrôle antidopage ou des prescriptions de médicaments.

Il faut attendre le 14 août pour que la liste des onze athlètes contrôlés positifs aux produits dopants émerge sur les réseaux sociaux et attire l’attention des médias. Sur le réseau social X, le compte @triviumcolombia publie une série de messages indiquant les noms des onze sportifs supposément testés positifs aux produits dopants. La liste y mentionne leur nom, prénom, date de naissance, le produit testé et la date du contrôle. Robert Lewandowski est ainsi accusé d’avoir été testé positif au stanozolol, un stéroïde anabolisant, le 12 mars 2022. La joueuse de tennis Iga Swiatek est présentée comme ayant été contrôlée positive à l’EPO le 5 juillet 2021. La rumeur est alors reprise par certains médias internationaux, comme le magazine allemand Focus, qui cite les noms des deux sportifs comme étant accusés d’avoir échoué aux contrôles.

«Je n’ai jamais été testée ce jour-là»

L’agence antidopage polonaise a réagi le jour même à la diffusion de cette liste en assurant qu’il s’agissait de «fake news» et a affirmé qu’«aucun des athlètes mentionnés n’a obtenu de résultat positif et aucune des dates présentées ne correspond à des contrôles antidopage». Figurant dans cette liste, la cycliste Katarzyna Niewiadoma, future vainqueure du Tour de France féminin 2024, a réagi depuis la compétition française pour démentir la rumeur, qui la disait contrôlée positive au cannabis en mai 2023. «Je n’ai jamais été testée ce jour-là, je n’ai jamais été contrôlée positive à la marijuana et, de plus, Polada a clairement indiqué que la fuite me concernant, ainsi que tous les autres athlètes polonais, était fausse», a déclaré la sportive auprès du média néerlandais AD.

Autre élément qui soutient l’hypothèse de fausses accusations : l’Agence nationale antidopage allemande (Nada), responsable de la réalisation des contrôles antidopage dans la Bundesliga, indique à CheckNews que Robert Lewandowski «n’a pas été contrôlé par la Nada [le 12 mars 2022]». Ce jour-là, l’équipe du Bayern Munich, pour laquelle jouait Lewandowski, était opposée au TSG 1899 Hoffenheim. L’agence allemande assure que «le match en question était sous la souveraineté de la Nada Allemagne et n’a pas été contrôlé». Elle ajoute qu’«il n’existe pas non plus de soi-disant «résultat d’analyse anormal» pour cet athlète». Elle précise qu’en principe, la Polada peut mener des contrôles à l’étranger. Or, cette dernière assure que Lewandowski n’a pas été contrôlé à cette date-là.

A l’origine des rumeurs, le compte @triviumcolombia a fini par retirer la liste. Et d’expliquer qu’il n’a pas pu confirmer l’information selon laquelle cette liste figurait bien dans le leak (désormais inaccessible). L’internaute derrière le compte admet n’avoir jamais accédé aux fichiers des hackers et indique que sa source est une publication du 12 août 2024 «sur un blog 4chan, avec les mêmes liens inutiles fournis par les pirates». CheckNews a retrouvé cette publication dans laquelle apparaît la liste de onze athlètes. @triviumcolombia conclut finalement que «le piratage a pu avoir lieu mais les noms et les positifs sont des conneries à moins que les pirates ne fournissent les fichiers».

Le site Zaufana Trzecia Strona, qui a également suivi la propagation de la rumeur, a émis l’hypothèse d’une manipulation. Après le démenti de l’agence Polada, le site a ainsi observé que «de fausses nouvelles concernant le dopage d’athlètes polonais célèbres sont déjà apparues sur plusieurs sites. Ces sites semblent avoir été préparés à cette action. L’ensemble donne l’impression d’une campagne organisée.»

Joint par CheckNews, son fondateur Adam Haertle nous indique qu’il a pu obtenir toutes les données de la «fuite» avant qu’elles ne disparaissent. «J’ai recherché tous les noms «célèbres» (à la fois avant et après la publication des athlètes prétendument célèbres) et je n’ai trouvé aucune trace des athlètes célèbres dans les données.» Il estime également que la liste est apparue pour la première fois sur 4chan, le 12 août. En l’état de ses recherches, les accusations de dopage contre les onze sportifs polonais décriés «ne sont pas documentées dans les données divulguées». Contrairement à ce qu’affirmait le collectif de hackers Beregini, Adam Haertle présente par ailleurs la fuite de données comme n’étant «qu’un déversement des fichiers d’une trentaine d’ordinateurs portables d’employés [de la Polada], et non une base de données complète».

Contacté par CheckNews, le collectif Beregini n’a pas répondu à nos demandes concernant la liste des onze athlètes polonais qui a circulé. A ce stade, il est impossible d’affirmer que la liste provient de la fuite de données. Et donc que les onze sportifs incriminés ont été contrôlés positifs aux produits dopants.