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Une hausse de l’imposition des dividendes toucherait-elle des millions de salariés actionnaires, comme le suggère Bruno Le Maire ?

Même si la France est championne d’Europe en matière d’actionnariat salarié, la part de capital détenue par les salariés reste extrêmement minoritaire. Les dividendes, surtout, sont déjà exonérés d’impôt sur le revenu.
Bruno Le Maire, ministre de l'Economie, à la sortie du conseil des ministres, à l'Elysée, le 26 avril 2023. (Albert Facelly/Libération)
publié le 27 mars 2024 à 16h03

Les finances publiques vont mal. Rendu public mardi 26 mars par l’Insee, le déficit des administrations publiques en France a atteint 5,5 % du PIB en 2023, contre 4,9 % attendu jusqu’ici. Une dégradation due en partie à un ralentissement des recettes, qui n’ont progressé que de 2 % l’année dernière, contre +7,4 % en 2022.

Où trouver l’argent manquant ? Invité sur RTL dans la foulée de cette publication, le ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, était interrogé sur d’éventuelles hausses d’impôts, notamment sur les dividendes : «Les dividendes ? Ils sont taxés à 30 %, a expliqué Le Maire. Et je rappelle qu’il y a plus de 3 millions de salariés en France qui ont des actions, et quand ils les vendent, ils sont taxés. Quand vous augmentez l’imposition sur les dividendes, ça fait bien parce qu’on a l’impression qu’on tape les riches… [Mais] vous tapez les salariés actionnaires ! Donc faisons très attention.»

2,7 millions de salariés actionnaires

Les salariés actionnaires, plus que les «riches», seraient les vrais perdants en cas de hausse de la taxation des dividendes, comme le suggère Bruno Le Maire ? Si la France est le pays d’Europe comptant le plus de salariés actionnaires, ces derniers restent extrêmement minoritaires parmi les bénéficiaires des dividendes distribués chaque année. Selon le rapport 2022 de la Fédération européenne de l’actionnariat salarié (FEAS), l’Hexagone comptait, parmi ses plus grosses entreprises, 2,7 millions de salariés actionnaires en 2022, soit 40 % de l’ensemble des salariés actionnaires en Europe.

Mais parmi les collaborateurs – au sens large – des entreprises, la manne n’est pas vraiment équitablement répartie. Ainsi, et toujours selon la FEAS, au sein des 271 principales entreprises françaises regroupant 2,6 millions de salariés actionnaires, les 588 principaux dirigeants («top executives») détiennent, en moyenne, 74 millions d’euros de capital chacun, quand les «employés ordinaires» doivent se contenter d’un peu plus de 32 600 euros par personne. Soit, sur la base d’un rendement moyen de 3 % en 2022 pour le CAC 40, un dividende annuel moyen, pour les salariés actionnaires, d’un peu plus de 1 000 euros. Surtout, les quelque 84 milliards d’euros détenus au total par ces «employés ordinaires» ne représentent, en réalité, que 3,5 % du capital de ces entreprises. Autrement dit, 96,5 % du capital est détenu par d’autres personnes que les salariés actionnaires.

Déjà exonérés

D’une manière générale, la répartition des dividendes en France reste très concentrée. Selon le dernier rapport de France stratégie (p.192), pour les dividendes éligibles au prélèvement forfaitaire obligatoire, 98,3 % des foyers touchant des dividendes en 2021 ont bénéficié de 1 000 euros maximum, captant ainsi 1 % seulement de l’ensemble des dividendes distribués cette année-là. A l’inverse, les 0,78 % des foyers les plus choyés (touchant plus de 10 000 euros de dividendes), ont raflé 94 % de l’ensemble des dividendes. Et parmi eux, 0,14 % des foyers ont touché plus de 100 000 euros de dividendes, bénéficiant ainsi de 69 % des gains distribués. Dans la perspective d’une hausse de la fiscalité des dividendes, les «riches» seront donc beaucoup plus impactés que les salariés actionnaires.

En fait, ces derniers ne seraient même pas du tout concernés en cas d’imposition plus forte, dans la mesure où aujourd’hui, les dividendes liés à l’actionnariat salarié, dans le cadre d’un plan épargne entreprise, l’outil le plus répandu pour ce dispositif, sont déjà exonérés d’impôt sur le revenu, et ne supportent que les prélèvements sociaux. Même chose pour les plus-values, contrairement, là aussi, à ce qu’affirme Le Maire quand il dit que lorsque «[les salariés actionnaires] vendent, ils sont taxés».

Pour Mathieu Chauvin, président d’Eres, gestionnaire d’épargne salariale, «en cas de hausse de la fiscalité sur les dividendes pour l’ensemble des actionnaires, les entreprises pourraient toutefois décider de distribuer les revenus différemment, et de ce fait priver les salariées actionnaires des dividendes dont ils bénéficiaient auparavant». Tout en pénalisant, de la même manière là aussi, les autres actionnaires.