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Une otage détenue par le Hamas a-t-elle accouché en captivité ?

L’information a été relayée par plusieurs sources officielles à la mi-novembre. Mais aucune d’entre elles n’a été en mesure d’apporter des précisions sur l’identité ni même la nationalité de la femme concernée.
Une installation artistique visant à attirer l'attention sur les personnes prises en otage par le Hamas, à Tel Aviv, le 23 novembre 2023. (Shir Torem/REUTERS)
publié le 26 novembre 2023 à 11h24

Alors que vingt-six otages israéliens (des femmes et des enfants), quatorze Thaïlandais et un Philippin ont été libérés depuis vendredi 24 novembre 2023, le Hamas (ou un autre groupe) détient-il une femme ayant accouché récemment ? C’est ce qui a été affirmé, depuis la mi-novembre, et dans une confusion certaine, par les autorités israéliennes. Sans qu’il soit possible d’en avoir confirmation. Le mystère persiste d’autant plus qu’aucune des femmes libérées vendredi et samedi ne correspond à ce profil.

Le 13 novembre, le compte Twitter (renommé X) de la chaîne israélienne N12 publie ainsi un message aussi affirmatif que laconique : «Bilan des forces de sécurité : une femme enceinte kidnappée à Gaza a accouché en captivité du Hamas.»

Le lendemain, l’ambassade d’Israël à Paris se fend elle aussi d’un tweet affirmant qu’une femme enceinte fait partie des otages. Le message précise la nationalité de la femme – israélienne – mais juge ici son accouchement «très probable», et non certain. «Cela fait plus d’un mois qu’une Israélienne, enceinte de neuf mois, a été kidnappée par des terroristes du Hamas, déclare ainsi l’ambassade. Elle est toujours otage à Gaza. Il est très probable qu’elle ait accouché en captivité.» Avant d’ajouter : «Nous ne pouvons même pas imaginer ce qu’elle a vécu. Il s’agit d’un crime de guerre.»

Le 15 novembre, l’affaire prend une nouvelle dimension. C’est en effet au tour de la femme du Premier ministre israélien, Sara Nétanyahou, de prendre la plume pour écrire une lettre à plusieurs premières dames, dont la femme du président des Etats-Unis, Jill Biden. Dans cette missive, elle affirme : «Une des femmes kidnappées était enceinte. Elle a donné naissance à son bébé en étant prisonnière du Hamas. Vous pouvez imaginer, comme moi, ce que cette femme doit vivre mentalement depuis qu’elle est détenue avec son bébé par ces meurtriers.» Cette lettre est très largement relayée par de nombreux médias, tout d’abord en Israël (Time of Israël, I24News…), mais également en France (l’Indépendant, Ouest-France…) à la suite d’une dépêche de l’Agence France Presse.

La piste thaïlandaise

Le 18 novembre, soit trois jours plus tard, le tabloïd britannique Dailymail publie un article où il est fait état d’une femme thaïlandaise, otage du Hamas, qui a accouché en captivité. Le journal écrit ainsi : «La femme qui aurait donné naissance à un bébé alors qu’elle était retenue en otage par le Hamas aurait été identifiée et photographiée par des sources israéliennes. Nutthawaree Munkan, 35 ans, fait partie des 240 otages, dont 25 travailleurs migrants thaïlandais, détenus à Gaza depuis l’incursion choquante du Hamas en Israël le 7 octobre. Israël a confirmé mercredi que l’une des otages, une travailleuse étrangère dans une ville frontalière, avait accouché à Gaza, sans nommer Mme Munkan.» Avant, d’évoquer, dans le paragraphe, suivant, la lettre de Sara Nétanyahou à son homologue américaine Jill Biden. Sous l’article figure la photo d’une femme aux traits asiatiques, présentée comme la Thaïlandaise ayant donné naissance à son bébé. Une nouvelle largement reprise sur les réseaux sociaux, par de très gros comptes comme Visegrad24 ou encore Arsen Ostrovsky.

Pourtant, le 21 novembre, le quotidien thaïlandais Matichon apporte des éléments qui tendent à réfuter cette information. Les auteurs de l’article expliquent en effet avoir rencontré la mère de Nutthawaree Munkan, qui leur aurait déclaré que, bien que fréquemment en contact avec sa fille, y compris dans les jours qui ont précédé son enlèvement, aucune grossesse n’a jamais été évoquée dans leurs conversations. Sollicitée par CheckNews, l’ambassade de Thaïlande en Israël ne nous avait pas communiqué plus d’informations à l’heure où nous publions. Nutthawaree Munkan fait partie des dix otages thaïlandais libérés vendredi, sans nourrisson.

CheckNews – qui tient à jour une liste de tous les otages dont l’identité est connue – a essayé de retrouver sur les réseaux sociaux des indices d’une grossesse pour l’ensemble des femmes otages en âge de donner naissance à un enfant. Nous n’avons trouvé aucune confirmation en ce sens. Ce qui ne permet toutefois pas d’être conclusif. Il est par ailleurs possible que la femme évoquée fasse partie des 9 otages (sur 215, samedi 25 novembre au matin) que CheckNews n’a pas réussi à identifier.

Une homonyme ?

En effectuant cette recherche, nous sommes tombés sur une jeune femme portant le même nom qu’une des otages détenues, à peu près du même âge, et qui avait récemment posté sur ses réseaux sociaux plusieurs images d’elle enceinte. Les deux femmes portent le nom (très commun) de Sapir Cohen. Cette homonymie a-t-elle pu susciter des confusions ? Une publication du National Council of Jewish Women datant du 16 octobre mentionne en tout cas Sapir Cohen dans la liste des otages et indique : «On pense que Sapir serait enceinte.» Aucun des articles consacrés à l’otage Sapir Cohen (ou à son compagnon, Sasha Trupanov, également otage) ne mentionne qu’elle pourrait être enceinte. Pas même une interview de son propre père, publiée le 31 octobre par le média israélien YNet. Rien ne permet toutefois d’affirmer que cette possible confusion ait un lien avec l’affirmation des autorités israéliennes d’une otage ayant accouché en captivité.

Contactée le 22 novembre par CheckNews, l’ambassade d’Israël en France n’était pas en mesure de nous apporter plus d’informations. Lors de nos échanges, «l’otage thaïlandaise» a tout d’abord été évoquée, avant que notre interlocuteur ne soit informé des éléments apportés par le site Matichon infirmant a priori cette piste. Aucune information complémentaire ne nous a, depuis, été transmise. Sollicité à plusieurs reprises, le cabinet de Benjamin Nétanyahou n’était pas non plus en mesure de nous donner d’éléments probants concernant une otage qui aurait accouché durant sa captivité.

Du côté des forces de sécurité israéliennes, ni le ministère de la Défense, ni la police, ni Tsahal, ne nous avaient apporté de compléments d’informations à l’heure où nous publions. La police explique ainsi ne pas être «l’autorité compétente» autorisée à répondre à cette demande. Même réponse côté Tsahal, qui explique n’avoir «aucune autorité pour commenter ce sujet», et renvoie vers le cabinet du Premier ministre. Le représentant des forces armées nous avait précédemment renvoyés vers une «porte-parole en charge des personnes disparues» qui, en dépit de nos sollicitations répétées, ne leur a pas donné suite.

Au moins 203 personnes encore otages

Selon notre décompte, après la libération des premiers otages vendredi et samedi, il restait encore ce dimanche matin 192 otages dont le nom est connu (dont 49 femmes, et 24 mineurs). Samedi soir, le ministère thaïlandais des Affaires étrangères déclarait que 18 de ses ressortissants étaient toujours détenus (7 dont les noms sont connus, 11 non identifiés). Le nombre total de personnes encore otages du Hamas serait donc, a minima, de 203 (les 192 otages identifiés avec ces 11 non identifiés).

Le Hamas avait annoncé début novembre que 60 otages avaient été tués par les bombardements israéliens depuis le 7 octobre, sans plus de précision sur le profil des supposées victimes, et sans que cette information n’ait pu être confirmée.