Menu
Libération
CheckNews
Vos questions, nos réponses
CheckNews

Une vidéo prouve-t-elle qu’un hélicoptère israélien a tiré sur des civils participants au festival de musique le 7 octobre ?

Diffusées par de nombreux comptes depuis jeudi, les images ont été tournées à une dizaine de kilomètres de l’événement, et aucun élément ne permet d’affirmer que des cibles ne sont pas des membres du Hamas. Même si des militaires israéliens ont témoigné de la difficulté, lors des opérations du 7 octobre, de distinguer terroristes et civils.
Le 1er novembre, au-dessus de Sdérot, dans le sud d'Israël. (Ammar Awad/REUTERS)
publié le 11 novembre 2023 à 12h28

De nombreux comptes diffusent depuis jeudi 9 novembre une vidéo présentée comme «inédite» et ayant «fuité», et censée montrer un hélicoptère d’attaque de Tsahal tuer des civils israéliens lors de l’agression du Hamas le 7 octobre. «Israël admet que des hélicoptères Apache ont tiré sur ses propres civils fuyant le festival de musique Supernova», écrit un compte (prorusse et prosyrien) influent sur X (anciennement Twitter), dans un message vu plus de 25 millions de fois, ajoutant ce qui est présenté comme une citation, sans plus de précisions sur la source : «Les pilotes ont compris qu’il était extrêmement difficile de distinguer, au sein des avant-postes et des colonies occupées, qui était un terroriste et qui était un soldat ou un civil… La cadence de tir contre les milliers de terroristes était énorme au début, et ce n’est qu’au bout d’un certain temps que les pilotes ont commencé à ralentir les tirs et ont sélectionné soigneusement les cibles.»

L’agence de presse du Hamas a également repris la vidéo, avec ce commentaire : «Les images d’un hélicoptère Apache israélien du 7 octobre montrent le ciblage de ce qui semble être des civils israéliens du festival de musique et leurs voitures. De nombreux civils israéliens du festival de musique Supernova se sont manifestés, admettant que l’armée israélienne, à plusieurs reprises, a tué des civils.» Certains comptes francophones ont aussi relayé les images, comme dans ce post vu plus de 200 000 fois qui évoque des images inédites.

Les éléments visibles dans la vidéo ne permettent pas d’affirmer que les cibles (un groupe d’hommes, des véhicules) sont civiles. Ces tweets s’inscrivent dans le narratif poussé par les pro-Hamas selon lequel les morts civils du 7 octobre auraient largement été le fait de l’armée israélienne, notamment sur le site du festival de musique.

A dix kilomètres du lieu du festival de musique

Interrogé par CheckNews, Tsahal nous a fait cette réponse : «Le 9 octobre, une vidéo a été publiée sur le compte Twitter officiel de Tsahal décrivant les attaques de Tsahal dans la bande de Gaza. Le but de ces frappes était d’empêcher les terroristes meurtriers de pénétrer en Israël pour commettre des crimes brutaux et inhumains. La publication virale d’une frappe aérienne sur le festival Nova est fausse.»

La séquence n’a effectivement rien d’inédit ni donc d’une «fuite». Elle figure dans une compilation d’images partagées dès le 9 octobre par les comptes officiels de l’armée israélienne, et notamment le porte-parole arabophone de l’armée, avec ce commentaire : «Au cours des dernières vingt-quatre heures, les avions de l’armée de l’air ont lancé des raids massifs le long et à travers la bande de Gaza, causant des destructions et la mort de terroristes du #Hamas.»

Le commentaire se rapporte à une partie de la vidéo montrant effectivement des frappes aériennes sur Gaza. Mais la partie qui nous intéresse (à 2’06”) est captée depuis l’«optique» d’un hélicoptère d’attaque Apache.

Surtout, comme l’a démontré le groupe d’Osint Geoconfirmed, la scène n’a pas eu lieu sur les lieux du festival – contrairement à ce que prétendent les tweets –, ni même sur le territoire israélien mais dans la bande de Gaza, à côté du mur qui enferme l’enclave. L’endroit précis se situe à une dizaine de kilomètres du lieu du festival.

Déformation de témoignages réels

L’autre aspect de l’intox tient à l’aveu qui aurait été fait par les autorités israéliennes d’avoir ciblé les civils, selon les commentaires des tweets. Plus que d’une fake news, il s’agit davantage ici d’une exagération (et de déformation) d’informations qui ont déjà été publiées dans la presse israélienne.

A partir de la mi-octobre, plusieurs médias ont accédé à des témoignages de pilotes d’hélicoptères racontant l’intervention du 7 octobre. Ces derniers pointent notamment la complexité de l’opération aérienne sur cette scène de chaos, et la difficulté à identifier les terroristes des civils, et les preneurs d’otages des otages. C’est le cas de Ynet, dans un article du 15 octobre, ou du site Mako (de la chaîne N12) dans un article du 21 octobre.

Le 27 octobre, le site Greyzone, connu pour être un relais pro-russe, ayant un positionnement anti-israélien très marqué sur ce conflit, publie un article intitulé : «Des témoignages du 7 octobre révèlent que des militaires israéliens ont bombardé des civils».

Greyzone, pour nourrir son article, s’appuie largement sur les témoignages cités par la presse, parfois en les arrangeant à sa manière. Dans l’article, on lit par exemple la fameuse citation reprise dans les tweets : «Les pilotes ont compris qu’il était extrêmement difficile de distinguer, au sein des avant-postes et des colonies occupées, qui était un terroriste et qui était un soldat ou un civil… La cadence de tir contre les milliers de terroristes était énorme au début, et ce n’est qu’au bout d’un certain temps que les pilotes ont commencé à ralentir les tirs et ont sélectionné soigneusement les cibles».

Cette citation, qui provient de l’article du média israélien Ynet publié le 15 octobre, a été coupée. Elle prend un autre sens quand on la prend in extenso. Voilà ce que déclare le militaire dans Ynet : «Après que les pilotes se sont rendu compte qu’il était extrêmement difficile de distinguer dans les avant-postes et les colonies occupés qui était un terroriste et qui était un soldat ou un civil, il a été décidé que la première mission des hélicoptères de combat et des drones armés Zik était d’arrêter les flux de terroristes et la foule meurtrière qui affluait sur le territoire israélien à travers les brèches de la clôture […]. Au début, la cadence de tir contre les milliers de terroristes était énorme, et ce n’est qu’à un certain moment que les pilotes ont commencé à ralentir les attaques et à sélectionner soigneusement la cible.»

Ce qui peut se retranscrire ainsi : parce qu’il était difficile de faire la distinction, les hélicoptères se sont d’abord focalisés au niveau de barrière pour empêcher de nouveaux assaillants d’entrer sur le territoire. Et ce afin d’éviter de tirer sur des «civils».

«Pas de certitudes à 100%»

Pour autant, les sources militaires israéliennes ont effectivement rapporté dans ces interviews accordées à la presse, que l’opération israélienne a pu toucher des civils. Sur Mako, un lieutenant évoque les pilotes d’hélicoptères : «Ils étaient seuls lorsqu’ils ont dû prendre des décisions extrêmement difficiles. J’étais dans les airs lors d’une des sorties, et il se disait déjà qu’il y avait des otages.» A la question «qu’est-ce qu’on fait dans ce cas-là ? Comment on décide de tirer sur quelqu’un qui revient vers la frontière ?» le lieutenant répond : «C’est un dilemme extrêmement complexe.» Le journaliste relance : «Tirer ? Ne tirez pas ? qu’est-ce qu’il faut faire ?» Il réitère : «C’est un dilemme très difficile.»

Un autre militaire interviewé confirme : «Vous regardez la cible, vous voyez ce qui s’y passe. Je m’autorise à dire que je comprends le comportement des cibles : une personne kidnappée ne va pas courir de son propre gré d’un groupe sans que personne ne la retienne. Et je choisis de les cibles pour lesquelles je me dis que la chance de tirer sur des otages est faible.» «Mais ce n’est pas à 100 % [de certitude] ?» rétorque le journaliste. Réponse : «Non, je ne peux pas dire que c’est du 100 %.» «C’est un gros poids sur vos épaules ?» «Oui, c’est fou.»

Ces difficultés ont également été rencontrées lors des interventions dans les kibboutz. A Nahal Oz, un homme de 48 ans, qui avait pris une arme pour combattre les terroristes, a été abattu par Tsahal après avoir été confondu avec un assaillant.

En résumé : La vidéo n’a rien d’inédit, pas plus qu’elle n’a fuité. Elle a été publiée par Tsahal dès le 9 octobre, et ne montre pas les lieux du festival de musique, puisque la scène se situe à une dizaine de kilomètres, dans l’enclave de Gaza. Et rien ne permet d’affirmer qu’on y voit des civils. Quant à la citation censée apporter la démonstration qu’Israël a ciblé des civils, elle est authentique, mais tronquée. Elle provient d’un article publié le 15 octobre sur le site Ynet revenant sur la journée du 7 octobre. Dans cet article, comme dans d’autres, des militaires font état des difficultés à déterminer les cibles, admettant que dans la confusion, le risque de toucher des civils ou des otages n’était pas nul.