Question posée par Clément, le 9 février.
Vous nous interrogez au sujet d’une vidéo virale montrant une intervention de police sur un site de La Poste. Partagée mardi par Gaël Quirante, secrétaire du syndicat Sud Poste dans le département des Hauts-de-Seine (connu pour avoir été licencié en 2018 avec l’aval de la ministre du Travail), elle a depuis cumulé près de 250 000 vues sur Twitter. Sur cette vidéo tournée avec un téléphone, on voit un petit groupe de policiers s’adresser à un homme vêtu d’un gilet avec le logo de La Poste. Avant de l’accompagner, en traversant une salle de tri du courrier jusqu’à l’extérieur de l’établissement. Là, une discussion tendue s’engage entre l’homme qui filme et l’un des policiers, lequel finit par lui confisquer son téléphone.
Le tweet de Gaël Quirante est ainsi rédigé : «Qu’est-ce qui peut justifier que des policiers, mitrailleuses en mains, aillent jusqu’en salle de pause chercher des syndicalistes de La Poste qui sont venus discuter avec des collègues ? Ces patrons se croient tout permis, mais cette entrave syndicale devra être sanctionnée !» Vous vous demandez donc dans quelles circonstances cette vidéo a été tournée.
Qu’est-ce qui peut justifier que des policiers mitrailleuses en mains aillent jusqu’en salle de pause chercher des syndicalistes de @GroupeLaPoste qui sont venus discuter avec des collègues ? Ces patrons se croient tout permis, mais cette entrave syndicale devra être sanctionné ! pic.twitter.com/XaFMlrciaK
— Gaël Quirante (@GaelQuirante) February 8, 2022
Réunion sur un projet de réorganisation
La scène s’est déroulée mardi, au sein du centre de traitement du courrier de Versailles, dans les Yvelines. L’homme dont la présence a déclenché l’intervention de la police, c’est Vincent Fournier, secrétaire Sud Poste dans le département. A CheckNews, celui-ci indique être arrivé à 8 heures dans les locaux. Raison de sa présence : consulter le personnel en amont de la réunion du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) – une organisation représentative du personnel –, qui devait se tenir lundi prochain.
Une réorganisation doit se mettre en place sur le site, et pourrait aboutir, selon Vincent Fournier, à la suppression de «14 emplois de facteurs ou postiers», et pour les autres, potentiellement, à la perte de tickets restau et de jours de congé. Ce que conteste de son côté le groupe La Poste : «Le site opérationnel de Versailles a pour projet d’ajuster son organisation de production, dans la concertation et le dialogue social, sans aucun départ de collaborateur.» Quoi qu’il en soit, le syndicaliste cherchait donc à fédérer l’opposition de ses collègues à ce projet, en vue d’appuyer la position du CHSCT s’il décidait de le retoquer. Ou du moins de le retarder, en faisant voter la réalisation d’une expertise concernant la quantification de la charge de travail, qui permettrait, selon les syndicats, de démontrer l’infaisabilité de la réorganisation.
En début de matinée, Vincent Fournier était donc en train de «parler individuellement avec des collègues», sans «créer de remue-ménage», assure Georges Toussaint, qui, en tant que facteur, était présent dans le centre. Syndiqué à Sud et membre du CHSCT, c’est lui qui a filmé la vidéo. Alors que la directrice d’établissement manque toujours à l’appel, ses adjoints commencent à s’opposer à la présence de Vincent Fournier : «Les codirecteurs m’ont demandé à de multiples reprises de partir, m’ont dit que je n’avais pas le droit d’être là», rapporte-t-il. A son arrivée sur les coups de 10 heures, la directrice prend la décision de téléphoner à la police. «Elle les appelle en disant qu’il y a un individu inconnu, fait passer ça pour une intrusion, alors qu’on s’est vus 15 000 fois ces derniers mois», expose le représentant syndical.
Toujours d’après Vincent Fournier, après que la police a débarqué «assez rapidement» et s’est rendue en salle de pause où il se trouvait, «la directrice est obligée de changer de version : elle dit que je suis syndicaliste mais pas mandaté pour être présent. Je leur explique que c’est faux et leur montre mon mandat.» Soit le document authentifiant les missions syndicales confiées à un individu par une organisation départementale ou régionale.
«Dans les Yvelines, la situation est assez particulière, commente Eddy Talbot, membre du bureau fédéral Sud PTT (fédération des activités postales et des télécommunications). M. Fournier est expressément mandaté, la secrétaire départementale de Sud Poste 78 a envoyé un courrier à la direction de La Poste dans les Yvelines. Mais un dirigeant – et c’est inédit – s’est permis de dire que le mandat de M. Fournier n’était pas reconnu, sans expliquer à quel titre.» CheckNews a en effet pu consulter la dernière version du document, en date du 2 février, qui donne mandat à Vincent Fournier, notamment pour «qu’il intervienne auprès des salariés dans les centres postaux des Yvelines».
Par ailleurs, alors que le syndicaliste de Sud Poste 78 faisait jusque-là l’objet d’une mise à pied qui s’est terminée le 31 janvier, il explique avoir reçu dans la foulée sa 9e convocation à un entretien préalable au licenciement. Manœuvre destinée, à ses yeux, à sanctionner ses activités syndicales.
«On est appelés donc on vient»
La suite : Georges Toussaint sort son téléphone et commence à filmer. «Je ne suis pas pour filmer la police à la base, mais pour le coup, je me suis dit que si je ne filmais pas, il n’y aurait pas de preuve», retrace-t-il. Equipées d’armes longues pour certaines d’entre elles, les forces de l’ordre accompagnent Fournier hors de la salle de pause, jusqu’à l’entrée de l’établissement. Toussaint les suit. «Je reste à distance pour ne pas gêner. Au début, ce sont les cadres [de La Poste] qui me disent d’arrêter de filmer. Puis je vois un policier à qui ça n’a pas l’air de plaire que je le filme, il s’approche de moi et me prend le téléphone des mains en déchirant la housse [dans laquelle était glissé l’appareil].»
Dans la vidéo, on peut entendre l’échange entre Georges Toussaint et ce policier :
«Bonjour monsieur, vous avez une pièce d’identité s’il-vous-plaît ?
- Pas sur moi là.
- Bon alors vous allez nous suivre au poste.
- Je vais vous suivre au poste ? Je suis en train de travailler […]
- Coupez le téléphone [saisit l’appareil]. Vous n’avez pas de pièce d’identité, vous nous filmez, vous voulez jouer au malin.
- Vous me lâchez. Je sais marcher, donc vous me lâcher. Dans mon sac, j’ai une pièce d’identité.
- Elle doit être sur vous […] Vous n’avez pas à entraver une mission de police d’abord.
- Je n’entrave rien du tout […] Je vous laisse travailler, en quoi ça vous gêne d’être filmé ? […] Ça fait plusieurs années que ça dure. A chaque fois la police elle vient, à chaque fois il n’y a rien parce que vous vous rendez compte qu’elle se fout de votre gueule.
- Non, c’est juste qu’on est appelés donc on vient. S’il n’y a rien, on repartira.»
Le téléphone sera rendu quelques minutes plus tard, sans que la vidéo n’ait été effacée. Vincent Fournier raconte qu’après un quart d’heure de discussions, et un appel à l’officier de police judiciaire, décision est prise de le maintenir hors de l’établissement. «Les policiers me répondent qu’ils ne peuvent pas caractériser de délit, qu’aucune faute n’a été commise, mais menacent de “trouver quelque chose” si je reviens et qu’on les rappelle», relate le représentant syndical.
Contactée, La Poste «déplore une intrusion, survenue sur le site opérationnel de Versailles, ce le 8 février.» Interrogée sur le mandat syndical dont disposait Vincent Fournier, l’entreprise ne répond pas, mais avance que «cette intrusion s’est accompagnée de menaces sur les postiers, ce qui a justifié l’appel à la police du quartier». Le groupe postal, qui entend donc ne pas en rester là, fait savoir qu’«une pré-plainte a été déposée en ligne» et qu’«une plainte définitive sera déposée en début de semaine prochaine».
Côté police nationale, on indique que les forces de l’ordre se sont rendues sur place «par rapport à la demande du chef du centre de tri. Le représentant syndical présent n’était pas le représentant du site, donc le chef ne souhaitait pas sa présence. Le site étant un lieu privé et un lieu de travail, il a été invité à sortir». Sur les motifs ayant motivé l’intervention, malgré les relances de CheckNews, la police ne fait pas référence à d’éventuelles menaces ou tout autre comportement inapproprié. Et insiste : «C’était juste sa présence sur le lieu qui posait problème, il n’avait rien à faire là.»
«Cette fois, c’était plus violent»
Quelles qu’en soient les raisons, les syndicalistes de Sud Poste se disent habitués à ce recours à la force de la part de leur direction. Le facteur syndiqué Georges Toussaint dit ainsi avoir été confronté une petite dizaine de fois à des interventions de police, «alors que je ne me déplace pas souvent sur des sites». Notamment en mars 2020, explique-t-il, où il s’était rendu en compagnie de Vincent Fournier dans un centre pour expliquer aux postiers comment exercer leur droit de retrait. «C’était le début de la crise sanitaire, on n’avait pas de masques et La Poste nous faisait travailler.» L’arrivée de la police avait, là aussi, été filmée puis postée sur Twitter par le mouvement d’extrême gauche Révolution permanente.
Des postiers du centre de tri postal de Croissy sur Seine en première ligne face au coronavirus, ont décidé d'exercer leur droit de retrait mais se sont retrouvés face à la police venue les menacer.https://t.co/wuklwSHc1n pic.twitter.com/EyAMswiWnF
— Révolution Permanente (@RevPermanente) March 20, 2020
«Ce n’est pas du tout la première fois que ça arrive, mais là, ça a été plus violent. Qu’on nous arrache par la force le portable, on ne nous l’avait jamais fait», regrette Vincent Fournier. «On n’a pas à subir une confiscation de téléphone, des mots irrespectueux ou un contrôle d’identité, quand on va juste dans un centre demander si la charge de travail correspond bien au nombre de suppressions d’emplois que préconise l’employeur. Il va falloir que tout le monde s’explique de ces pratiques», renchérit Gaël Quirante, auteur du tweet contenant la vidéo. Comme rapporté par Libération, lui-même avait fait face en 2016 à une intervention de police au cours d’une prise de parole syndicale dans un centre La Poste des Hauts-de-Seine, département voisin des Yvelines.
Depuis mardi, la tension ne semble pas être retombée dans le centre versaillais. Gaël Quirante, qui devait se rendre sur place le lendemain, a appris qu’était tombée de la poche d’un vigile posté à l’entrée une photographie montrant deux représentants syndicaux, dont lui-même, et dénonce une forme de «fichage». Georges Toussaint, représentant du personnel sur le site de Versailles, rapporte, pour sa part, la demande qui lui a été faite par le directeur opérationnel des Yvelines : «Il m’a dit que je n’avais pas le droit de consulter mes collègues pendant mes heures de travail sur la décision que je vais prendre en réunion du CHSCT.»
Pour Eddy Talbot, du bureau fédéral de Sud PTT, «rien n’interdit pourtant à un représentant syndical de s’adresser à des collègues» en tout lieu du périmètre concerné par le mandat. En vertu du décret de 1982 relatif à l’exercice du droit syndical dans la fonction publique, les représentants syndicaux ont en outre «le droit de distribuer des tracts, récolter des cotisations ou faire signer des pétitions». Pour lui, l’intervention policière à Versailles s’inscrit dans un contexte d’«accentuation très nette de la répression syndicale». Des rassemblements sont prévus lundi et mardi, à Versailles puis Montrouge (Hauts-de-Seine).