Avec 38 jours, le gouvernement Attal a-t-il atteint, ce vendredi 23 août, le record de longévité d’un gouvernement démissionnaire ? C’est ce qu’affirment de nombreux commentateurs, parmi lesquels Alexis Corbière, député du Nouveau Front populaire (NFP), sur France Info mercredi : «Même sous la IVe République, la période n’a jamais été aussi longue pour un gouvernement démissionnaire, 38 jours j’ai lu [le précédent record, ndlr], là on va dépasser les 38 jours !»
Quelques jours plus tôt, le député avait relayé un post Twitter du journaliste Jean-Marie Pottier, expliquant : «La Ve République va très probablement égaler ou battre cette semaine le record du plus long “gouvernement démissionnaire” de la si décriée IVe République (38 jours en 1953).» Et de citer comme source le numéro 76 de la revue Pouvoirs, de janvier 1996.
On n'aurait jamais parié là-dessus en début d'année mais la Ve République va très probablement égaler ou battre cette semaine le record du plus long «gouvernement démissionnaire» de la si décriée IVe République (38 jours en 1953) [source: https://t.co/XYXxlW1vnE] pic.twitter.com/dU6lRYxGJz
— Jean-Marie Pottier (@jmpottier) August 19, 2024
Cet article rédigé par Jean Massot, ex-membre du Conseil d’Etat, pose la difficulté de définir quand un gouvernement démissionnaire commence et quand il s’achève sous la IVe République. Comme commencement, faut-il prendre en compte la présentation de la démission du gouvernement au président de la République ou l’acceptation de cette démission par ce dernier ? A l’autre extrémité, comme date de fin, s’agit-il de considérer l’investiture, le premier vote de confiance de l’Assemblée en faveur du nouveau gouvernement ou la nomination du nouveau gouvernement ? Les interprétations diffèrent selon les juristes, avec comme conséquence des résultats différents sur la durée des précédents gouvernements démissionnaires.
Record de la IVe République bien battu
Dans son propos, Jean Massot fait le choix de fixer le début d’un gouvernement démissionnaire à l’acceptation de la démission du président du Conseil – l’équivalent du Premier ministre sous la IVe République – par le président de la République. Quant à la date de fin, il choisit le moment de la nomination du nouveau gouvernement. Avec cette définition, Jean Massot recense, sur toute la durée de la IVe République, 250 jours d’expédition des affaires courantes par un gouvernement démissionnaire. Il y ajoute 101 jours de «gouvernement démissionnaire» qui correspondent à l’addition des jours entre lesquels le président du Conseil remet sa démission au président de la République et le moment où celui-ci l’accepte. Un délai lors duquel lesdits présidents du Conseil conservent tous leurs pouvoirs, le passage à la seule gestion des affaires courantes n’ayant lieu qu’après l’acceptation du président de la République de leur démission. Pour le calcul de ce record de longévité, il est donc plus pertinent de ne retenir que la période d’expédition des affaires courantes, de 250 jours.
Selon sa définition, Jean Massot parvient effectivement à un record de 38 jours de gouvernement démissionnaire en gestion des affaires courantes en 1953. Le 21 mai 1953, le président de la République, Vincent Auriol, accepte la démission du président du Conseil, René Mayer, membre du Parti radical socialiste. Le gouvernement de son successeur, Joseph Laniel, est nommé le 28 juin 1953, soit 38 jours plus tard.
Record battu par le gouvernement de Gabriel Attal ? Après une première démission présentée le 8 juillet, refusée par Emmanuel Macron, le Premier ministre a renouvelé sa démission le 16 juillet, acceptée cette fois, et le jour même, par le Président. Ce vendredi, avec 38 jours de gestion des affaires courantes, le gouvernement démissionnaire de Gabriel Attal a donc effectivement atteint ce record de la IVe République.
Fausse date et interprétation de l’événement
Pour ce qui est du record de durée d’un gouvernement démissionnaire sous la Ve République, plusieurs médias citent un record de 9 jours entre le 28 novembre et le 7 décembre 1962, mais en faisant référence à des situations distinctes. Brut et la Provence, par le biais d’une interview du médiatique constitutionnaliste Benjamin Morel, cite un record de 9 jours sous le gouvernement de Raymond Barre, entre l’acceptation de sa démission le 13 mai et la nomination de son successeur le 21 mai 1981.
BFM TV évoque pour sa part «1962, lorsque l’Assemblée nationale a adopté une motion de censure contre le gouvernement de Georges Pompidou. Renversé le 28 novembre, il a été de nouveau nommé à Matignon par le général de Gaulle le 7 décembre – neuf jours plus tard». Sauf que le gouvernement Pompidou est renversé non pas le 28 novembre mais le 5 octobre.
Contacté par CheckNews, Mathieu Carpentier, constitutionnaliste et professeur des universités à l’Université Toulouse-Capitole, considère que BFM TV se trompe à la fois sur la date et sur l’interprétation de l’événement. «Il doit faire référence au décret du 28 novembre 1962 qui met fin aux fonctions du gouvernement. Normalement c’est bien ce décret qui permet de dater le caractère démissionnaire du gouvernement et le début de l’expédition des affaires courantes. Sauf que lorsque la démission suit une motion de censure – comme ce fut le cas en 1962 –, le gouvernement est considéré comme démissionnaire dès l’adoption de cette motion de censure, le décret mettant fin à ses fonctions étant une pure formalité. C’est ce qu’a jugé le Conseil d’Etat dans son arrêt Brocas du 19 octobre 1962».
Encore un peu de chemin à parcourir
Ainsi, selon le raisonnement de Mathieu Carpentier, le gouvernement Pompidou était démissionnaire et en gestion des affaires courantes dès la motion de censure le 5 octobre 1962 et jusqu’à sa nouvelle nomination par Charles de Gaulle le 7 décembre 1962, soit le record qui demeure inégalé de 62 jours de gouvernement démissionnaire en gestion des affaires courantes.
Le constitutionnaliste souligne le caractère exceptionnel de la situation. En 1962, Charles de Gaulle souhaite convoquer un référendum sur l’élection du président de la République au suffrage universel, contre lequel s’opposent les députés avec le vote d’une motion de censure adoptée le 5 octobre. Georges Pompidou présente le lendemain sa démission à Charles de Gaulle, qui la refuse. L’arrêt Brocas du 19 octobre 1962, déjà cité, a néanmoins jugé que le gouvernement de Georges Pompidou était malgré tout considéré comme démissionnaire dès l’adoption de cette motion de censure. Charles de Gaulle décide de dissoudre l’Assemblée nationale le 9 octobre, ce qui a conduit à l’organisation d’élections législatives anticipées les 18 et 25 novembre 1962. Peu avant, le référendum constitutionnel sur l’élection au suffrage universel direct du président de la République s’est tenu le 28 octobre. «C’est l’organisation du référendum et les élections législatives qui ont rallongé la durée de vie du gouvernement démissionnaire. Ici [dans le cas du gouvernement de Gabriel Attal], on n’est pas dans ce contexte d’échéances électorales, rien n’empêche Macron de nommer un gouvernement», conclu Mathieu Carpentier.
En résumé, le gouvernement démissionnaire de Gabriel Attal a bien atteint le record de longévité d’expédition des affaires courantes de la IVe République. Mais il a encore un peu de chemin à parcourir avant d’atteindre le record de 62 jours de la Ve.