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Violences urbaines : l’Intérieur a-t-il demandé au compte Twitter Cerfia de «calmer» le relais de vidéos ?

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Le directeur adjoint du média a rapporté avoir été appelé par le ministère pour discuter de sa ligne éditoriale dans la couverture des violences urbaines. La porte-parole de Beauvau «assume totalement» cette démarche.
Le ministère de l'Intérieur, à Paris. (Franck Guiziou /Hemis. AFP)
publié le 3 juillet 2023 à 15h15

Dans l’enregistrement d’une conversation audio ayant eu lieu sur Twitter le samedi 1er juillet, on peut entendre Pierre Delcombel, le directeur adjoint de la page d’actualités sur Twitter Cerfia, raconter qu’il a été contacté par le ministère de l’Intérieur dans le contexte des émeutes afin de «calmer un peu les choses. Ils nous ont demandé notre soutien pour faire passer un peu les bonnes infos et apaiser la situation».

Un autre membre de l’équipe de ce compte d’actualités, lancé en septembre 2020 et désormais suivi par près de 650 000 abonnés sur Twitter, insiste pour qu’il «précise bien qu’on a quand même le choix» de publier les contenus qu’ils veulent. Pierre Delcombel poursuit, évoquant la responsabilité de son média quand il relaie ce type de vidéos, en mentionnant la mise en avant désormais «d’informations positives».

La diffusion de cet audio fait l’objet de critiques. Il est notamment reproché au ministère de l’Intérieur de vouloir censurer certaines vidéos des violences urbaines, en faisant pression sur un compte influent comme celui de Cerfia. Très actif, Cerfia se définit comme un média hybride ayant pour but d’informer rapidement les internautes, en postant des informations et des vidéos dénichées sur les réseaux sociaux. Il a gagné en visibilité grâce à la crise du Covid, en relayant des informations chocs, parfois erronées. Il est géré par une équipe d’étudiants bénévoles.

«Le tri n’était pas évident»

Joint par CheckNews, Pierre Delcombel confirme avoir été appelé samedi par Camille Chaize, la porte-parole du ministère de l’Intérieur, avec qui il indique avoir déjà été en contact précédemment pour l’organisation de discussions publiques sur le thème du harcèlement. «Samedi midi, elle m’appelle pour prendre de nos nouvelles. C’était un échange amical» raconte-t-il. «Elle me demande si ce n’est pas trop dur en ce moment de suivre les émeutes. Elle a voulu savoir comment on voyait la situation et comment on couvrait ça. Elle n’est pas venue me voir pour dire “arrêtez vos vidéos”. On a parlé de comportements de mimétisme et j’ai été d’accord pour dire qu’il peut y avoir des gens qui reproduisent ce qu’ils voient.»

De cet échange, il obtient le fait «qu’elle puisse nous communiquer des informations officielles avant. On a un groupe maintenant avec le ministère et on échange par message privé». Il cite comme exemple un message lui fournissant le bilan provisoire d’une nuit d’émeutes, où apparaît le détail du nombre d’interpellations, de policiers blessés, d’incendies et d’atteintes aux bâtiments officiels. Il voit l’échange avec la porte-parole du ministère «comme une volonté d’apaiser les tensions» et assure que «le ministère de l’Intérieur ne se mêle pas de nos tweets».

Pierre Delcombel souligne qu’il n’a pas attendu l’appel du ministère pour réfléchir à la question des vidéos que leur compte publie. S’il reconnaît que «le tri n’était pas évident» lors des premières nuits d’émeutes, durant lesquelles le compte Cerfia a partagé de nombreuses images, il indique avoir «informé en interne que les vidéos de type : un mec qui se balade avec une tronçonneuse dans la rue, il faut moins le faire». «On est humains, on se rend compte que ce n’est pas la démarche à faire si on veut calmer les choses», observe le cofondateur de ce média de veille d’information, «on a une responsabilité aussi et bien sûr que ça joue. Maintenant on est plus vigilant à ce qu’on relaie mais on n’est pas censurés du tout.» Le compte continue de couvrir les émeutes en partageant des images dénichées sur le web.

Un signalement à Twitter

Contactée par CheckNews, la porte-parole du ministère de l’Intérieur, Camille Chaize «assume totalement» d’avoir appelé l’équipe de Cerfia samedi «pour discuter de leur ligne éditoriale et des effets de mimétisme [que peuvent causer les vidéos de violences urbaines]. […] Après la première nuit des émeutes, j’ai trouvé qu’ils relayaient beaucoup de vidéos [des violences]. J’ai eu Pierre et je sais qu’ils ont discuté entre eux après. Il m’a dit qu’ils manquaient d’informations officielles, donc je me suis engagée à leur fournir des informations, comme sur le nombre d’effectifs engagés. Je pense que ça les a fait réfléchir et que ça peut participer à l’apaisement de la situation. C’est un groupe d’étudiants qui sont très suivis par les jeunes».

La porte-parole affirme qu’il s’agit de l’unique page d’actualités qu’elle a contactée. Joint par CheckNews, le compte concurrent AlertesInfos confirme qu’il n’a «pas été contacté et même si ça avait été le cas je n’aurais pas cédé». Ce dernier nous a transmis un message envoyé par la modération de Twitter lui indiquant que «Twitter a reçu un signalement de la part des forces de l’ordre française au sujet de votre compte @Alertes Infos, demandant la suppression» d’un tweet. Cette publication montrait un passage à tabac de policiers en civil à Marseille. Camille Chaize précise que la plateforme Pharos, gérée par des policiers et des gendarmes spécialisés et qui permet de signaler des vidéos illicites, a effectivement demandé le retrait de cette vidéo.

Pierre Delcombel assure n’avoir reçu aucun avertissement dans ce sens de la part de Twitter.