L’Europe s’apprête-t-elle à restreindre la liberté des conducteurs ? C’est la rumeur qui circule ces derniers jours sur les réseaux sociaux. Florian Philippot annonce notamment que «l’UE veut mener la guerre aux jeunes conducteurs et aux plus de 60 ans». Des accusations reprises par la figure de la complosphère Silvano Trotta, ou encore par le député européen Les Républicains François-Xavier Bellamy. Les griefs ont été résumés dans une infographie, basée sur un article du tabloïd allemand Bild et partagée par Nicolas Dupont-Aignan sur Twitter (renommé X).
Selon ce document, la limite de vitesse serait restreinte à 90 km/h pour les jeunes conducteurs, qui auraient interdiction de rouler de minuit à 6 heures du matin. Le permis B, lui, deviendrait restreint aux véhicules de 1 800 kg au maximum : un permis «B +» serait nécessaire pour conduire les véhicules de 1 800 à 3 500 kg, réservé aux plus de 21 ans.
La limite de vitesse pour tous les véhicules serait elle plafonnée à 110 km/h dans l’ensemble de l’UE, tandis que les seniors devraient faire régulièrement renouveler leur permis (tous les sept ans au-dessus de 60 ans, puis tous les cinq ans au-dessus de 70 ans et tous les deux ans au-dessus de 80 ans) – un renouvellement «soumis à l’UE».
Nouvelle initiative délirante de l’UE : selon le journal allemand Bild, le parlement révise la directive sur le permis pour empêcher les européens de conduire. Limitation du poids des véhicules et de la vitesse pour les jeunes, et permis à validité réduite pour les Séniors. pic.twitter.com/kwvjjtJZu8
— N. Dupont-Aignan (@dupontaignan) September 21, 2023
Un «projet de résolution législative» pas encore examiné par le Parlement européen
La réalité est plus contrastée. Le document visé est un «projet de résolution législative du parlement européen», issu de la commission des Transports et du tourisme au Parlement européen (disponible en ligne) et publié le 18 septembre. La présidente de cette commission et rapporteuse du projet, l’eurodéputée écologiste française Karima Delli, en a d’ailleurs présenté les grandes lignes dans un fil Twitter mis en ligne ce même jour. S’il fait bien suite à une proposition de modification de la directive européenne relative au permis de conduire issue de la Commission européenne, il n’a pas force de loi. «Ce n’est que la première version qui vient de sortir, a confirmé Delli. On n’a même pas encore commencé la négociation des amendements !»
S’agissant du contenu, certaines mesures figurent effectivement dans le projet, comme l’a admis son parti, Europe-Ecologie Les Verts, dans un fact-checking publié sur son site ce jeudi. C’est notamment le cas de la mise en place d’un permis B + pour les véhicules lourds, «qu’il ne serait possible de passer qu’après deux ans de période probatoire de permis B et après 21 ans». Une mesure justifiée, selon ses promoteurs, par le fait que «les voitures particulières lourdes (SUV) sont plus sujettes aux collisions que ne le sont les voitures particulières légères», que les conséquences de ces collisions sont plus graves, et que les jeunes sont plus exposés aux accidents de la route.
La limite de poids, fixée à 1 800 kg ne concernait que 2 % des véhicules vendus en France en 2020 – et aucun des 20 modèles de SUV les plus vendus en France à cette période. Par ailleurs, des dérogations sont prévues pour les détenteurs de permis B, «pour des raisons professionnelles ou pour des usages spéciaux (véhicules de secours par exemple)». Enfin, le projet ne se veut pas rétroactif : selon Delli, «les gens qui ont un permis B aujourd’hui seront considérés comme titulaires des permis B et B +».
Plusieurs «vitesses maximales absolues autorisées par les États membres» sont également incluses dans le projet. Cependant, s’il est bien évoqué une limite de 110 km/h pour la catégorie B, elle serait de 130 km/h pour la catégorie B +, du fait, selon Delli, de la plus grande expérience des conducteurs.
Pas de limitation à 90 km/h pour les jeunes
D’autres mesures dénoncées, à l’inverse, sont absentes du projet présenté, ou ont été quelque peu exagérées. S’agissant des jeunes, la limitation de vitesse à 90 km/h ne figure pas dans le projet. Une limite maximale européenne de 90 km/h est bien évoquée, mais elle concerne les permis A1, qui permettent la conduite des motos légères. La mesure inscrite dans le texte, qui peut être mal compris, consiste à «abaisser la vitesse maximale autorisée en dehors des zones urbaines si cette vitesse maximale autorisée est supérieure ou égale à 90 km/h» pour les conducteurs «novices». Ce qui correspond à ce qui se fait déjà en France : les jeunes conducteurs sont limités à 80 km/h sur les routes limitées à 90, 100 sur les routes limitées à 110 et 110 sur les routes limitées à 130.
S’agissant de la conduite de nuit, il est seulement écrit que «les Etats membres peuvent établir des règles spécifiques applicables aux conducteurs novices afin de limiter la durée de conduite nocturne entre minuit et 6 heures», ce qui n’implique pas forcément une interdiction. Un système de «tolérance zéro» en matière d’alcool au volant est par ailleurs proposé.
Enfin, là où Florian Philippot affirme que les conducteurs novices «devront passer un nouvel examen après une période d’essai», le texte n’évoque qu’une «séance de retour d’information obligatoire pour le conducteur novice avec un moniteur d’auto-école», qui servirait également de «mise à jour des différentes attitudes à adopter au volant» au terme des deux années que durerait la période de jeune conducteur. Bref, pas de nouvelle épreuve au programme.
Des visites médicales plus fréquentes avec l’âge
Le renouvellement du permis, lui, n’est qu’une question de «validité administrative» de dix ans, à l’instar de la carte d’identité : il n’impose pas de repasser l’examen. Un «contrôle des normes minimales concernant l’aptitude physique et mentale à la conduite» est cependant bien prévu par le texte, ce qui, selon Karima Delli, devrait se traduire par un «examen médical obligatoire». En cas de doute, des «examens médicaux supplémentaires» ou «une séance de contrôle ou de remise à niveau obligatoire avec un instructeur» pourraient venir s’ajouter. Il s’agirait, entre autres, de vérifier que la vue du conducteur reste suffisante pour pouvoir conduire.
De ce fait, il est bien prévu que la durée de validité décline avec l’âge, afin d’augmenter la fréquence des visites médicales : elle devrait passer à un maximum de sept ans pour les plus de 60 ans, cinq ans pour les plus de 70 ans et deux ans pour les plus de 80 ans.
Reste que ce projet, qui inclut également la généralisation du permis à points, est loin d’être validé. Comme le relate le Spiegel, les propositions du rapport ont suscité un tollé en Allemagne – y compris auprès des Verts allemands, qui se sont désolidarisés de leur collègue française. Le texte devrait donc être largement modifié avant son éventuelle adoption, espérée avant la fin de la mandature et les élections européennes de juin 2024. Si de nouvelles règles sont adoptées, elles devront ensuite être traduites dans les législations nationales : selon Delli, elles ne rentreront pas en vigueur avant «trois-quatre ans».