Cette photographie n'a pas été prise par Jacques Tati sur le tournage de Play Time en 1967, mais par Lars Tunbjörk, dans un bureau de Tokyo, en 1999. Pourtant, du film à la photographie, à deux ou trois bricoles près (dont la relative contemporanéité de la photocopieuse), c'est le même effet, à la fois comique et inquiétant. Qui tient, chez le photographe suédois comme chez Tati, au cadrage. Qui case dans la même image des informations non seulement contradictoires mais au bord de la crise de nerfs. Quoi de plus pacifique pourtant que cette vie de bureau saisie au comble d'une banalité. Une photocopieuse, une employée. Mais déjà le rapport entre la femme et la machine n'est pas banal, puisqu'elles semblent se tourner le dos, ne pas se parler. Drame conjugal ? Querelle de vieux couple ? A l'heure où les engins de bureau sont devenus des quasi-sujets, cette hypothèse passionnelle n'est pas absurde (cf. notre exaspération quand le moindre ordinateur feint de résister aux ordres qu'on lui donne ou tarde à les exécuter). C'est cette scène de ménage qui capture l'attention, met en alerte, inquiète.
La femme regarde ailleurs. Mais regarde quoi ? L’ailleurs justement qui semble, dans la profondeur de la perspective, ne ressembler à rien. Cette dame japonaise n’est pas monsieur Hulot mais sa façon de fixer le vide fait sourire autant qu’elle instille son grain de folie douce. De fait, par un curieux effet d’optique, cette madame Hulot de Tokyo semble comme en légère apesante